En matière d’écologie, les solutions miracles s’avèrent souvent des impasses. Et si on arrêtait de se faire des illusions et de croire que l’on peut résoudre le problème facilement ?

Il n’y a plus de doute aujourd’hui que la crise écologique est le défi majeur auquel nos sociétés vont devoir s’attaquer si elles veulent survivre. L’ensemble de la vie humaine et des activités de nos sociétés reposent sur les écosystèmes naturels et leur viabilité. Or aujourd’hui, notre mode de développement est en train de remettre en cause cette viabilité. Nos émissions de CO2 provoquent le réchauffement climatique, notre agriculture détruit la biodiversité, l’étalement urbain et l’empiètement sur les espaces naturels provoque l’érosion des sols et la disparition des écosystèmes. En bref : si on veut surmonter la crise écologique, il va falloir trouver des solutions.

Depuis plusieurs années, un certain nombre d’acteurs semblent prendre conscience de cette urgente nécessité et travaillent pour développer des modèles susceptibles de limiter nos impacts négatifs sur l’environnement. Régulièrement, on nous annonce avoir trouvé LA solution à tous nos problèmes écologiques. On parle ainsi de plus en plus de la voiture électrique ou à hydrogène pour limiter nos émissions de CO2 liées au transport, du régime vegan ou des viandes de synthèse pour limiter les impacts de notre alimentation, des aspirateurs à CO2 pour capturer et stocker le carbone de l’atmosphère, des bateaux high-tech pour récolter le plastique dans les océans, et même des énergies renouvelables pour produire une énergie faible en carbone. À écouter les défenseurs de ces solutions, il suffirait de les mettre en place rapidement pour résoudre nos problèmes environnementaux. Il existerait donc des solutions relativement simples à la crise écologique. Mais qu’en est-il vraiment ?

Problème écologique complexe, solution simple : l’équation impossible

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Ces discours optimistes et solutionnistes ont-ils vraiment la clef pour résoudre la crise écologique ? Si l’on analyse leurs propositions dans le détail, il semble bien qu’à l’heure actuelle, la réponse soit négative. Ces solutions en apparence simples résistent en fait assez mal à l’analyse lorsqu’on les met face à la complexité de la réalité et du problème qu’elles sont supposées résoudre. Dans les faits, aucune de ces solutions miracles ne semble réellement assez efficace pour nous libérer de la crise écologique.

Prenons par exemple la voiture électrique. Elle est souvent présentée comme LA solution pour une mobilité durable et « zéro émission ». Mais dans les faits, la voiture électrique a aussi des impacts sur l’environnement. D’abord elle n’est pas « zéro émission » : elle émet du CO2, à hauteur de ce que le mix électrique qui sert à la recharger en émet lui-même. C’est-à-dire que si vous roulez avec une voiture électrique rechargée sur un réseau fonctionnant au charbon, vous émettez probablement autant voire plus de CO2 qu’avec une voiture à essence. Pour qu’une voiture électrique émette peu de CO2, il faut qu’elle soit rechargée sur un mix décarbonné (renouvelable et/ou nucléaire) et encore là, elle émettrait quand même du CO2. Mais en plus, la voiture électrique pose d’autres problèmes écologiques : la gestion des métaux et matériaux utilisés dans les batteries, ou leur recyclage en fin de vie par exemple. Quoi qu’il en soit, il y a donc toujours un impact non négligeable sur l’environnement et ce même si la voiture électrique est beaucoup plus écologique que la voiture essence ou diesel.

Autre exemple : l’idée que la transition vers le régime vegan règlerait la question des émissions de CO2 est assez couramment défendue dans certains milieux écologiques. Mais rien, dans les faits, ne corrobore l’idée qu’il suffirait que tout le monde devienne vegan pour que le réchauffement climatique s’arrête. En premier lieu car les émissions liées à la viande ne sont qu’une petite partie de nos émissions de CO2 (environ 5% du bilan carbone d’un français) et que même les supprimer entièrement ne règlerait pas le problème du réchauffement. Ensuite, il faut savoir qu’au fur et à mesure que la compréhension du lien entre réchauffement climatique et écosystèmes agricole s’améliore, de plus en plus de scientifiques défendent l’idée que la diète vegan n’est pas forcément la meilleure pour la planète (voir à ce sujet notre article : Le régime vegan n’est pas le plus écologique, d’après les scientifiques). Régulièrement, on découvre que les aliments végétaux ne sont pas si écologiques qu’on pouvait le croire. Ainsi, il y a quelques années, des chercheurs ont mis en évidence que la production mondiale de riz émettrait autant, voire plus, de méthane (gaz à effet de serre puissant) que l’élevage. On a aussi pris conscience que tout n’était pas noir dans l’élevage et qu’il contribuait à stocker du carbone dans les sols, à préserver certains écosystèmes, à protéger la qualité organique des sols. Quant à la proposition de consommer une « viande de synthèse » : elle est également difficile à défendre compte tenu de l’impact environnemental considérable (sans parler du coût financier) de la fabrication de ces produits.

Le problème de fond, c’est que lorsqu’on évoque ces « solutions », on se concentre bien souvent sur un seul aspect du problème, sans prendre en compte la complexité globale du système qui est à l’origine du problème écologique initial.

Écologie, solutions simples, reports d’impact et coûts cachés

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Ainsi, si la voiture électrique permet bel et bien de réduire les émissions de CO2 lorsque l’on roule, elle ne fait que déplacer le problème des émissions à un autre niveau : celui de la production électrique. Et pour réduire les émissions de CO2 à ce niveau-là, il faut des énergies dites « décarbonnées » qui posent elles aussi un certain nombre de problèmes au niveau écologique. Le nucléaire, par exemple, n’émet pas de CO2, mais pose certaines questions en termes de déchets radioactifs, ou de sécurité. Les énergies renouvelables, si elles ont l’avantage d’être théoriquement illimitées et peu émettrices de CO2, posent des problèmes en termes de matériaux, de fin de vie, et d’équilibre du réseau électrique (voir notre article : Les énergies renouvelables sont-elles écologiques ?). La solution n’est donc pas simple, car bien souvent, elle consiste surtout en un report de l’impact : au lieu de polluer en roulant, on pollue en amont, quand on extrait les matériaux ou que l’on produit l’énergie.

Même chose pour le stockage du CO2 : les technologies actuelles permettent certes de stocker du carbone en l’aspirant depuis l’atmosphère, mais cela demande énormément d’énergies. Au final, avec les technologies de stockage du CO2, on absorbe moins de CO2 que l’on en émet à cause de l’énergie consommée. Généralement, c’est le problème des solutions « high-tech » vis-à-vis des problèmes écologiques : comme elles tendent à nécessiter beaucoup d’énergie et de matériaux, elles sont souvent au final assez polluantes, générant parfois plus de pollution qu’elles n’en économisent.

Il y a aussi des solutions qui sont tout simplement inefficaces. Par exemple, il existe plusieurs projets très médiatiques menés pour récolter le plastique océanique. Ces projets sont régulièrement présentés comme LA solution pour dépolluer l’océan. Mais en réalité, aucun n’est aujourd’hui capable d’atteindre les micro-plastiques en profondeur, qui sont réellement problématiques : ils sont donc régulièrement remis en cause par la communauté scientifique, ce qui ne les empêche pas de faire la une (pour plus d’information à ce sujet, voir : Pollution plastique des océans : cette solution miracle qui n’existe pas).

De la complexité des solutions écologiques efficaces

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Ce constat que les solutions présentées comme « miraculeuses » sont rarement efficaces peut-être répété à l’envie : pour les voitures à hydrogène (carburant dont la fabrication nécessite tellement d’énergie que son impact écologique global n’est pas bon), pour l’idée de planter des arbres pour absorber le CO2 (un chantier impossible à mettre en oeuvre et insuffisant au regard de nos émissions de CO2) et bien d’autres. Même la bio, généralement considérée comme un bon exemple pour une agriculture écologique n’est pas exempt de défauts : elle a des rendements plus faibles, nécessite plus de terres, les produits comme le sulfate de cuivre qu’elle utilise posent eux aussi des problèmes écologiques. Il n’y a donc, véritablement pas de solution miracle.

En isolant une partie du problème, ces solutions oublient que la crise écologique est en réalité systémique. Pär exemple, ce n’est pas seulement le fait que l’on produise notre énergie à partir de sources fossiles qui pose problème. C’est la production d’énergie elle-même qui, par nature, est polluante : il n’existe pas d’énergie propre (les principes de la thermodynamique s’appliquant) et toute production d’énergie aura toujours des impacts sur l’environnement. On peut les réduire, certes, en passant à des sources plus durables, mais pour que ce soit viable à long terme il faut aller plus loin. Il faut réduire notre consommation énergétique de façon à assurer nos besoins sans dépenser trop d’énergie. Même chose pour le plastique : on aura beau tout mettre en oeuvre pour le récupérer, inventer les meilleures prouesses techniques pour filtrer l’eau des océans, ce sera toujours un problème tant que l’on continuera à en consommer des milliards de tonnes chaque année. Il faut limiter la production de plastique, à la source, maximiser le recyclage, choisir des matériaux moins polluants : tout ça à la fois. Pour l’alimentation c’est la même chose : ce n’est pas seulement ce que l’on consomme qui pose problème mais la façon dont on le produit et dont on le consomme. Si l’on continue à penser l’agriculture de façon industrielle et ultra intensive, sans prendre en compte les interactions entre les différents écosystèmes, même se priver de presque tous les aliments possibles ne résoudra pas la question des impacts environnementaux de l’agriculture. Pour cela, il faudra repenser le système, en s’inspirant des pratiques de l’agro-écologie, mais tout en gardant certaines techniques agricoles modernes quand elles sont pertinentes. Il faudra réduire le gaspillage alimentaire, changer nos modes d’alimentation, passer à des productions plus durables : tout à la fois, sans se limiter à un aspect.

Ce qu’il faut parvenir à penser, en fait, c’est une remise en cause globale de notre système de production et de consommation. Ce système qui a été conçu et pensé pour maximiser la production n’a jamais intégré dans son modèle la question des externalités environnementales et c’est bien là le problème. C’est le système global qui est malade, et tenter d’y appliquer des pansements sans traiter la cause du problème ne fera qu’au mieux retarder l’échéance. Les solutions miracles ne fonctionnent pas, et la seule qui pourrait fonctionner est semble-t-il celle qui nous demandera le plus d’efforts collectifs. Et il est grand temps d’en prendre conscience pour se mettre, rapidement, à traiter de ces vrais enjeux.