La biodiversité, c’est fondamental. Et c’est pourquoi la perte de la biodiversité est peut-être l’enjeu écologique le plus grave de notre siècle, celui dont pourtant on parle trop peu.

Lorsque l’on parle de la biodiversité et en particulier des espèces menacées, on a instantanément en tête quelques espèces tutélaires qui font la une des médias depuis quelques années : les pandas, les tigres du Bengale, les ours polaires… Des animaux mignons ou majestueux, menacés par les activités humaines ou la pollution. Cette image d’Épinal donne aux questions de biodiversité une connotation très émotionnelle, très patrimoniale. On ressent tous de l’empathie pour ces animaux, de la pitié, de la tristesse…

Mais se rend-on vraiment compte de la gravité de la situation ? Pas si sûr. Pourtant, plusieurs études récentes expliquent pourquoi la perte de la biodiversité est peut-être l’un des enjeux écologiques les plus graves, peut-être plus graves encore que le réchauffement climatique.

Quantifier la perte de biodiversité

Alors sortons un peu des clichés. La perte de biodiversité ce n’est pas seulement la disparition des éléphants ou des rhinocéros. C’est bien plus que ça. Selon les estimations de la Convention sur la Diversité Biologique, entre 150 et 200 espèces sauvages disparaissent… tous les jours. Oui, tous les jours. Sachant qu’il y pourrait y avoir jusqu’à 100 millions d’espèces animales vivantes sur la terre (selon les estimations les plus élevées), cela veut dire que nous pourrions détruire absolument toute la biodiversité animale de la planète en moins de 1500 ans (soit moins de 0.5% du temps depuis lequel l’Homo Sapiens existe).

Une étude du WWF estimait il y a peu que depuis 40 ans, 60% des animaux de la planète auraient disparu (parmi les populations des 3706 espèces vertébrées surveillées par le WWF). Alors bien sûr, on pourrait arguer que la biodiversité fluctue en permanence : c’est l’un des principes de l’évolution. À certaines périodes, des espèces disparaissent, d’autres apparaissent et certaines évoluent. Mais ce qui est inquiétant aujourd’hui, c’est que le rythme de disparition de la biodiversité est environ 1000 fois supérieur au taux normalement observé. C’est le taux de disparition le plus rapide depuis l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années.

Bien sûr, on ne se rend pas compte de ces disparitions, puisque la plupart ne sont pas médiatisées. La grande majorité des espèces qui disparaissent sont des insectes, des petits animaux, des oiseaux, des végétaux et malheureusement, cela est moins vendeur médiatiquement que la disparition des grands mammifères. Parfois, ce sont même des espèces que l’on avait même pas encore identifiées qui disparaissent.

Voir aussi : Quelles sont les causes de la crise de la biodiversité ?

Quelles conséquences de la disparition de la biodiversité ?

Mais alors, pourquoi est-ce si grave que des espèces disparaissent ? Tout simplement parce que le fonctionnement des écosystèmes terrestres repose largement sur la diversité des formes de vie qui les composent. En d’autres termes, chaque espèce sur la planète participe d’une manière ou d’une autre au fonctionnement de l’écosystème global. On pourrait dire qu’elles jouent toutes un rôle dans l' »équilibre » des écosystèmes (même si ce terme est galvaudé car en tant que tel il n’existe pas d’équilibre écosystémique). Or si elles disparaissent, ce rôle n’est plus assuré et cela perturbe le fonctionnement global, et cela a forcément des conséquences sur l’humanité.

En 2005, une étude a tenté de faire la synthèse des différentes manières dont les pertes de biodiversité ont des conséquences dramatiques sur notre environnement de vie. Voici la typologie qu’ils ont dressée sur les liens entre biodiversité et vie humaine :

  • Biodiversité et sécurité alimentaire : l’ensemble des données scientifiques (cela est confirmé par une étude publiée dans Nature en 2015) tendent à prouver que plus un écosystème est riche en biodiversité, plus il est productif sur le plan nutritif. En résumé : plus il y a d’espèces animales, végétales, de champignons ou d’insectes dans un environnement, plus la capacité de cet environnement à transformer les ressources inertes et minérales en ressources vivantes et organiques est élevée. Pour simplifier : les plantes convertissent les minéraux en matière organique, elles sont elles-mêmes converties en éléments nutritifs plus denses et plus complexes par les espèces herbivores, et ainsi de suite. Et plus il y a de plantes, d’insectes et d’animaux différents, plus cette conversion est variée et efficace. La diversité des espèces contribue aussi à maintenir les qualités nutritives des sols et donc à assurer la pérennité de la reproduction des différentes espèces. En résumé : moins il y a de biodiversité, moins les écosystèmes sont efficaces pour produire des éléments nutritifs (plantes, animaux, insectes) que l’Homme peut consommer. L’exemple le plus connu est celui des insectes pollinisateurs : sans eux, le développement des fruits ou des légumes est mis en difficulté.
  • Biodiversité et vulnérabilité des écosystèmes : les méta analyses scientifiques expliquent que la biodiversité est un facteur de stabilité pour les écosystèmes dans le sens où plus un écosystème dispose d’une biodiversité variée, plus il résiste aux « aléas ». Lorsque la biodiversité diminue, les milieux sont moins résilients, plus vulnérables, car ils sont moins « denses ». Par exemple, si certaines espèces de végétaux disparaissent, le sol est alors plus exposé à l’érosion, aux inondations, aux glissements de terrain. Si certaines espèces d’herbivores disparaissent, la multiplication des plantes type arbustes peut rendre les terrains vulnérables aux incendies…
  • Biodiversité et santé : la biodiversité favoriserait aussi les conditions d’une meilleure santé. D’abord par l’alimentation (comme vu plus haut) puisqu’en augmentant la diversité de l’alimentation, on augmente la diversité des sources de nutriments. Mais la biodiversité affecte aussi les risques sanitaires. En effet les études montrent que plus un écosystème est riche en biodiversité, moins la diffusion des virus ou bactéries pathogènes est facile.
  • Biodiversité et qualité du milieu : la biodiversité favoriserait aussi la qualité de l’air et la qualité de l’eau. Que ce soit à travers le monde végétal, microbien, à travers les variétés de champignons ou même à travers les différentes espèces d’animaux ou d’insectes, la biodiversité et la nature agissent comme des filtres pour notre environnement. La qualité de l’air que l’on respire par exemple dépend de la biodiversité. D’une part, l’oxygène que nous respirons est produit par des espèces vivantes (bactéries, plancton et plantes). Le premier producteur d’oxygène sur la planète c’est le plancton et le phyto-plancton océanique. Quand la biodiversité marine diminue, cela affecte le plancton et sa capacité à produire de l’oxygène. Idem avec les arbres des forêts Amazoniennes. En matière de qualité de l’eau, c’est pareil, les plantes agissent comme des filtres, des purificateurs.

Au final, on voit que la perte de la biodiversité pourrait affecter à peu près tous les domaines de notre vie : notre capacité à nous nourrir, notre santé, la qualité de notre air et de notre eau, notre capacité à produire…

La perte de biodiversité plus grave que le changement climatique ?

Il est très difficile d’évaluer avec précision les effets concrets de la perte de biodiversité. En effet, puisque la biodiversité fonctionne en termes d’écosystèmes, les effets peuvent rapidement avoir des conséquences insoupçonnées : effets de rétroaction, effets en chaîne, effets papillon… Ainsi, la disparition d’une espèce de prédateur peut entraîner la multiplication d’une espèce de ses proies, qui elle-même va interagir avec l’écosystème et avoir de nouvelles conséquences (par exemple la surconsommation des ressources végétales)… Au final, la disparition ou l’ajout d’une seule espèce dans un écosystème peut entraîner des effets gravissimes et y compris modifier la géographie de l’écosystème. Pour le comprendre, voici une vidéo qui montre l’effet que la réintroduction du loup a eu sur l’écosystème du parc de Yellowstone :

En termes d’ampleur et d’effets, il se pourrait même bien que la perte de biodiversité ait des conséquences encore plus dramatiques que le changement climatique ou la pollution de l’air. Il serait donc temps que l’on se préoccupe de cette question centrale pour l’écologie, autant peut-être que de celle du réchauffement climatique.