En tant qu’entreprise, planter des arbres pour compenser ses émissions semble une bonne idée sur le papier. Mais dans les faits, la reforestation est une pratique peu pertinente pour la stratégie environnementale des entreprises, et peut-être même, une idée contreproductive.

De plus en plus d’entreprises mettent en place des programmes de compensation carbone basées sur la plantation d’arbres. Planter des arbres pour réduire ses émissions de CO2, les compenser ? L’idée est bonne sur le papier. Mais dans les faits, cette pratique porte en elle de nombreuses questions, et il n’est pas certain que le développement massif des programmes de plantation d’arbres soit une bonne nouvelle pour la lutte contre le réchauffement climatique dans les entreprises.

Il serait peut-être même temps de mettre en pause les investissement dans ce type de programmes, pour se concentrer sur de meilleures options. Tentons de mieux comprendre pourquoi.

Planter des arbres ne sauvera pas le climat

D’abord, il faut le rappeler, planter des arbres n’est pas la solution miracle au réchauffement climatique. Planter des arbres permet certes de stocker du carbone, en théorie. Mais en pratique, cela ne suffira jamais à lutter contre le réchauffement climatique.

D’abord car l’effort de reforestation à mener pour compenser nos émissions avec des arbres serait bien trop important compte tenu de l’intensité de nos émissions carbone. Mais surtout, car les programmes de reforestation tels qu’ils sont menés aujourd’hui sont bien souvent insuffisants pour répondre aux exigences d’une capture durable du CO2. La plupart des projets de reforestation sont mal conçus, se basant, au pire, sur la plantation de monocultures dans des écosystèmes inadaptés. Les plantations ne sont donc pas toujours très durables, et s’intègrent mal aux écosystèmes locaux et aux besoins des populations. Au mieux, les cahiers des charges recommandent de planter deux essences d’arbres, ou trois ou quatre selon les projets. Mais d’une manière générale, les projets de reforestation restent des projets économiques, gérés avec des logiques économiques. Elles ne fournissent jamais les mêmes capacités de stockage de CO2 qu’une forêt naturelle, ni les mêmes services écosystémiques. Trois ou quatre espèces d’arbres, quand on sait que la forêt de Fontainebleau compte pas moins de 180 espèces d’arbres, sans compter les autres végétaux…

Les projets de reforestation sont donc peut-être mis en œuvre avec les meilleures intentions du monde, mais faute de moyens adéquats alloués à leur gestion, ils ne permettent pas aujourd’hui d’avoir un impact positif significatif sur la situation climatique.

Voir également : La gestion complexe des forêts françaises face à la crise écologique

Les arbres qui cachent la forêt des émissions globales

Mais, peut-être pire encore, il est probable que le buzz qui entoure actuellement les projets de reforestation constitue plus que toute autre chose une diversion face aux vrais défis de la transition climatique en entreprise. En effet, en donnant l’illusion que planter des arbres constitue une solution pertinente et efficace face au défi climatique, il offre aux acteurs privés et publics une opportunité de (se) donner l’impression d’agir et de remplir leurs obligations en matière climatique, sans pour autant changer vraiment leurs modèles de production.

Par des tours de passe-passe de comptabilité carbone, les entreprises utilisent désormais la plantation d’arbre comme un alibi leur permettant de se dire « neutres en carbone », « zéro émissions » ou même « zéro impact ». Et ce, alors même que le concept de neutralité carbone n’a pas de sens pour une entreprise et ne devrait s’étudier qu’au niveau de la planète ou d’un territoire. On voit ainsi fleurir des absurdités au sens écologique. Des aéroports se disent aujourd’hui « neutres en carbone », car, grâce aux arbres, ils « compensent » les émissions de leurs opérations (mais bien-sûr, sans compter celle des avions, qui sont pourtant la base de leur modèle économique). Des entreprises marketent leurs produits comme « neutres du point de vue climatique », donnant ainsi le sentiment que leur consommation n’a pas d’impact sur le climat. Or qui peut sincèrement croire que planter des arbres compense réellement la pollution émise par la fabrication des milliers de bidons de lessive en plastique ?

Dans ce contexte, la reforestation constitue en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt des émissions globales. Le vrai défi aujourd’hui, il est important de le rappeler, est d’abord de transformer radicalement nos modèles de production et nos organisations collectives pour baisser notre empreinte carbone à la source. Les émissions de CO2 mondiales continuent chaque année d’augmenter, (entre 1 et 2% par an avant la Covid-19) et ce, alors qu’elles devraient baisser de 5% par an durant les 30 prochaines années pour répondre à nos objectifs climatiques. Pratiquement aucune entreprise n’est capable d’affirmer aujourd’hui que ses émissions carbone baissent en valeur absolue.

Planter des arbres ne résoudra pas ce problème de fond. Toute l’énergie et tout l’argent utilisé par les acteurs privés pour planter des arbres serait probablement mieux investi à élaborer des stratégies climatiques solides, fondées sur une réorganisation profonde des modèles de production, inspirées par l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité, et surtout, la sobriété. Autant de sujets où les entreprises sont massivement en retard, comme le prouvent les études régulièrement.

Ne pas tomber dans le piège de la start-upisation de la forêt

Alors, bien sûr, il faut concéder que l’engouement pour la reforestation a une externalité positive : il permet de flécher un peu du financement privé vers des projets, qui, pour une fois, font autre chose qu’alimenter la surproduction ou la rente de acteurs financiers. Planter des arbres, après tout, c’est toujours mieux que rien, non ?

Pas sûr. Car un autre problème émerge : avec la généralisation des projets de reforestation, la forêt devient peu à peu un objet purement commercial, elle est peu à peu phagocytée par le modèle « start-up ». Son devenir dépend désormais de perspectives de croissance, des scalings rendus possible par l’enthousiasme des investisseurs, de stratégies marketing formatées. L’arbre, c’est le truc sexy du moment, dans lequel on met un peu d’écologie, un peu de sens, et surtout beaucoup de greenwashing.

Ce mouvement est sans doute séduisant pour le monde de l’entreprise, aujourd’hui en pleine quête de vertu climatique, et pour tous ceux qui souhaiteraient en profiter pour mettre les ressources de ces entreprises au service d’une cause qui semble à priori positive. Mais il est surtout fondamentalement dangereux sur le plan écologique.

Car ce monde là, le monde du capitalisme de marché largement dérégulé, n’a jamais vraiment prouvé dans l’histoire sa capacité à faire passer l’intérêt général au dessus de ses propres intérêts. Il y a donc fort à parier qu’avec ce mouvement, la forêt, qui est à l’origine un écosystème complexe, capable de stocker le carbone mais aussi d’enrichir les sols, de servir d’abri à la biodiversité et de rendre les territoires résilients, sera peu à peu complètement appauvrie par la multiplication des projets de compensation climatique. Qu’elle ne deviendra qu’une ressource exploitable (et surexploitée) comme les autres, au détriment de son inscription dans l’écosystème global, au détriment des logiques de sobriété et de préservation, et au détriment aussi, de son rôle culturel et social.

Voir également : La transition écologique et le risque de marchandisation de la nature

Ne pas financer la dérive de la marchandisation du vivant

Dans ce monde-là, on ne voit rien d’anormal, de paradoxal, d’absurde même, à ce que des milliers d’hectares de forêts soient détruits chaque année pour des projets agricoles, industriels ou d’habitat, pour que d’autres soient plantés, ailleurs ou juste à côté, par d’autres acteurs économiques (ou parfois, pire, par les mêmes). On ne voit rien d’incohérent à remplacer des forêts primaires, abritant des trésors de vie et richesse écologique, par des monocultures plantées bien alignées pour servir d’argument au fond d’un rapport RSE, lui même imprimé sur du papier issu de forêts de culture.

Avec la plantation d’arbre, on regarde le mauvais KPI : il faut planter au maximum, car c’est le nombre d’arbres plantés qu’on communique. Or si l’on s’intéresse au carbone, à la biodiversité, ou tout simplement à la forêt en tant qu’écosystème, ce n’est pas le nombre d’arbres plantés qui compte. Le nombre d’hectares préservés, dans des forêts existantes, primaires ou gérées durablement, la qualité écosystémique des zones forestières, leur intégration dans la vie locale sont des enjeux bien plus pertinents. L’usage du bois est aussi un critère de succès bien plus fondamental : du bois qui meurt ou est transformé en carton ne stocke pas durablement le carbone. Mais ces critères-là n’intéressent pas le monde de l’entreprise, car ils ne parlent pas à ceux qui ne regardent le monde qu’avec les lunettes du retour sur investissement ou des données communicables aux investisseurs et aux actionnaires.

Laisser la forêt tranquille

Ce sont ces dérives qu’il faut aujourd’hui absolument éviter. Et en finançant, parfois avec de bonnes intentions, des projets de plantations, les entreprises les encouragent au contraire. Elles contribuent, volontairement ou non, à une sorte de marchandisation du vivant, une commercialisation des écosystèmes, à rebours total de ce qui devrait être mis en place pour protéger la nature : préservation, sanctuarisation, régénération.

Alors, il est peut-être temps de dire aux entreprises : arrêtez de planter des arbres. Concentrez-vous sur votre business model et la façon dont on peut en réduire l’impact carbone, à la source. Voilà ce que la société attend de vous. En ce qui concerne la forêt, le rôle de l’entreprise devrait surtout être de ne plus la détruire, en agissant tout au long de sa chaîne de valeur pour faire des choix plus responsables en matière d’usage des sols et d’usage du bois et des produits forestiers, pour limiter la déforestation.

Pour la forêt, l’urgence est surtout qu’on la laisse tranquille, qu’on la laisse vivre, et se régénérer, sous le contrôle d’acteurs forestiers compétents en matière écologique. Pas qu’on impose sur elle, à marche forcée, des logiques économiques et marketing nocives. Bref, en plantant des arbres, l’entreprise se plante. Comme souvent lorsqu’il s’agit d’écologie.

Photo par Arnaud Mesureur sur Unsplash

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