L’écologie est souvent mal traitée dans les médias. Et pour cause : les experts que l’on invite sur ce sujet sont… tout sauf des experts.

L’une des vertus de la crise sanitaire que nous vivons est peut-être la prise de conscience de la valeur de la parole de l’expert. Pour clarifier le débat chaotique qui est né au début de la crise, de nombreux médias ont pris la décision de donner plus régulièrement la parole à de vrais spécialistes des questions sanitaires : des épidémiologistes, des médecins, des spécialistes de la modélisation. De plus en plus, un mouvement s’est mis en place pour déconstruire les fake news autour de la Covid-19, pour décortiquer les études scientifiques nouvelles sur le sujet.

On a donc mis en avant la controverse scientifique (controverse au sens de processus constructif d’élaboration de la connaissance), ce qui a permis, dans une certaine mesure, d’apaiser le débat et de lui donner une base solide.

Ne pourrait-t-on pas s’inspirer de cette évolution pour les autres grands enjeux de société, et notamment pour l’écologie ? Posons-nous la question.

Média et écologie : où sont les spécialistes ?

Dans les médias, lorsque l’on évoque l’écologie, c’est encore bien trop souvent sous l’angle polémique. On s’interrogera de longues minutes sur la question de savoir si telle ou telle mesure est de l’écologie punitive, si tel ou tel problème est un enjeu pour l’élection municipale, ou pour celle de 2022.

Pour parler de ces sujets, on invitera des partis politiques, des essayistes, des chroniqueurs, des militants. Ces derniers mois, les exemples de débat à l’emporte-pièce sur les sujets d’écologie ne manquent pas. Sur CNews, on nie le réchauffement climatique, puisqu’il fait 3 degrés à Paris ce matin. Sur BFM, on demandera aux représentants de l’association 40 millions d’automobiliste son avis sur la politique de mobilité durable du gouvernement, sans contradicteur, évidemment. Pour parler de la Journée mondiale du Climat, on invitera le représentant d’Europe Ecologie les Verts. Pour parler de la Convention citoyenne pour le Climat on demandera son avis à Cyril Dion, réalisateur de documentaires et militant.

On préfèrera donc aux scientifiques et autres experts des associations militantes, des lobbyistes ou encore des commerciaux. C’est ainsi que Stéphane Lhomme, professeur des écoles, fondateur d’une association anti-nucléaire, est devenu le spécialiste régulier sur les sujets liés à l’impact environnemental de la voiture électrique dans les médias. Sans compétence spécifique sur le sujet, sans formation, sans publication, sans légitimité.

Pas de conseil scientifique, et même, pas de scientifique du tout. Pas d’experts du sujet. On est donc bien souvent limités aux débats polarisés : pour ou contre, bien ou mal, liberticide ou nécessaire.

L’écologie : une science avant tout

Pourtant, il faut le rappeler, l’écologie est avant tout une science. Ou plutôt, un ensemble de sciences : la climatologie, l’étude des écosystèmes, la biologie et d’autres. Cet ensemble de sciences compte évidemment ses spécialistes, comme la santé compte ses chercheurs. On les appelle les écologues, les climatologues, les biologistes. Comme la santé, l’écologie compte aussi ses praticiens : les ingénieurs spécialisés, que ce soit en mobilité durable, en bilan carbone, ou en bio-ingénierie.

Et ces spécialistes, ils ne sont pourtant pas si difficiles à trouver. On en trouve dans les universités, les centres de recherche, dans des institutions comme l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie). Certains sont même actifs sur les réseaux sociaux, à l’image de Valérie Masson-Delmotte, climatologue et co-présidente du groupe nᵒ 1 du GIEC. À défaut, on pourrait aussi interroger des think tank ou des associations qui fondent leur discours sur des éléments scientifiques : The Shift Project sur la transition bas carbone, GreenIT.fr sur les questions du numérique responsable, Transport et Environnement sur la mobilité durable…

En invitant ces spécialistes, ces scientifiques, ces experts, on pourrait sortir des caricatures que l’on entend régulièrement sur les sujets écologiques. Par exemple, on pourrait mettre à nouveau l’accent sur la réalité du réchauffement climatique, sur ses causes, les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaines, et sur les ordres de grandeur.

On pourrait apprendre collectivement à faire la différence entre météo et climat. Et redire que ce n’est pas parce qu’il fait 3 degrés ce matin à Vesoul que le réchauffement climatique n’existe pas, et inversement. On pourrait aussi rappeler que l’automobile, qui suscite aujourd’hui toutes les crispations, est bel et bien l’un des secteurs les plus émetteurs de CO2 en France et qu’on ne luttera pas contre le réchauffement climatique sans s’attaquer à l’impact de la voiture. Même si c’est difficile.

On pourrait montrer les courbes, les prédictions, les modélisations, comme on le fait avec les contaminations ou le R0. Cela permettrait à tout un chacun de juger en connaissance de cause de la nécessité d’agir, et sur les leviers à actionner. On pourrait aussi discuter des analyses de cycle de vie, qui montrent de façon précise les émissions de CO2 de tel ou tel produit, de telle ou telle alternative. On saurait ainsi où en est la recherche sur l’impact écologique de la 5G, avec la prise en compte des effets rebond. Cela éviterait d’en faire un énième sujet de polémique stérile, sans argument factuel, où l’on se limite aux postures, « Amish » ou « scientiste ».

L’information : clef de la transition écologique

Que ce soit pour l’élaboration de politiques publiques, pour les mobilisations citoyennes, pour orienter les choix de consommation ou pour la promotion de modes de vie plus écologiques, l’information est une véritable clef de la transition.

Or, souvent, l’information que l’on trouve aujourd’hui dans les médias au sujet de l’écologie n’est basée sur rien. Les experts sont absents, les études scientifiques encore plus. Tous ceux qui essayent d’adopter un mode de vie plus écologique pourront en témoigner : on trouve tout et son contraire, on ne sait plus où donner de la tête, on n’arrive plus à faire le tri entre le vrai et le faux. Il faut donc d’urgence faire un travail de mise en ordre, et mettre en avant la parole de ceux qui ont une compétence et une légitimité sur le sujet.

Bien-sûr, il ne s’agit pas de stériliser le débat. L’écologie, même comme science, n’est pas qu’une question technique qu’il conviendrait de limiter à l’âpreté des discours scientifiques et des préconisations d’ingénieur. Cet enjeu est complexe, et implique de définir clairement la notion de savant, d’expert, de spécialiste, au sens de Max Weber. Il demande une vraie démarche dans l’élaboration de la ligne éditoriale des médias et ce n’est pas facile. La crise actuelle a aussi démontré que la notion d’expert se discute. Mais faire ce travail d’analyse est fondamental et les médias ne peuvent plus se contenter d’inviter X ou Y parce qu’il est le premier sur la page des résultats des moteurs de recherche ou parce que son budget relation presse est plus conséquent que celui du voisin. Un critère doit prévaloir : la légitimité scientifique.

D’autant que l’écologie, comme transition, est aussi fondamentalement une question sociale, et politique, où la divergence des points de vue, le débat et la négociation a toute sa place. Mais comme pour le reste, ces débats doivent-être fondés sur des faits vérifiés, passés par les étapes de la controverse scientifique et de la construction du consensus.

La question qui reste donc en suspend est la suivante : à quand de vrais experts et de vraies informations sur l’écologie dans les médias ? Espérons qu’il ne faudra pas attendre que la crise soit d’une ampleur similaire à celle de la pandémie de la Covid-19. Car à ce moment-là, il sera trop tard.

Photo par Ilyass SEDDOUG sur Unsplash