Les JO 2024 de Paris sont censés être les plus « verts » de l’histoire des jeux olympiques. Mais au-delà de la communication, qu’en est-il ? Le collectif d’experts climat-énergie éclaircies a co-publié avec Carbon Market Watch un rapport qui analyse la stratégie environnementale / climat et la communication de l’organisation de ces jeux. Décryptage des principaux enseignements et de l’avenir des jeux avec l’un de ses co-auteurs, l’ingénieur diplômé de l’Agro Paris et des Mines de Paris, Guillaume Kerlero de Rosbo, expert de la transition énergétique et écologique. 

Youmatter. La stratégie climat des JO de Paris 2024 visait l’alignement avec les objectifs de la COP 21, voire la « neutralité carbone ». Qu’en est-il vraiment ? 

Guillaume Kerlero de Rosbo. L’engagement initial de neutralité carbone assorti d’une ambition de « contribution positive pour le climat », annoncé en 2021, était mensonger et a été retiré en 2023. Il a été remplacé par l’objectif de réduction par deux des émissions par rapport aux deux éditions précédentes. Est-ce que cet objectif est compatible avec l’Accord de Paris ? Probablement, mais le calcul n’est pas clair. Par ailleurs, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir où en sont vraiment les Jeux de Paris à date. On connaît les grands objectifs de départ et le comité d’organisation est censé communiquer sur un bilan après les Jeux, mais il n’y a pas de communication transparente en temps réel sur le suivi des émissions. Un axe d’amélioration pour les prochaines éditions !

Quels sont les principaux progrès à saluer ?

Dans les principaux progrès à saluer, on peut citer l’établissement a priori d’un budget carbone pour les Jeux (et donc une planification sous contrainte) et un plan d’action solide pour réduire les émissions liées à la construction (avec 70 % des sites de compétition déjà existants, 25 % de sites temporaires et l’affichage de normes ambitieuses pour le reste de bâtiments neufs), qui pèsent pour 30% des émissions. Il y a un réel effort de fait sur l’alimentation (locale, bio, moins protéinée). L’impact est essentiellement symbolique (l’alimentation pesant pour seulement 1% des émissions) mais stratégique car visible par le public.

Pour approfondir : la charte sociale des JO 2024, un pari gagnant ?

Quels sont les principaux freins à la décarbonation des Jeux ?

Le principal frein à la décarbonation des Jeux, c’est le transport international. Des centaines de milliers de visiteurs vont prendre l’avion depuis les quatre coins du monde pour assister aux épreuves, puis pour rentrer chez eux. C’est le principal poste d’émission et rien n’est fait à ce sujet pour l’instant. Ce problème est amplifié par la taille de l’évènement et la centralisation des épreuves dans un pays unique. Cela s’étend aussi au transport de marchandises.

La taille de l’évènement est un énorme frein en soi, car au-delà du transport international, c’est un facteur multiplicateur de l’ensemble des postes d’émissions, des besoins en infrastructures (logement, transport local) aux consommations d’énergie et de nourriture. Dans le cas des Jeux de Paris, la stratégie d’achat (hors alimentation), qui pèse pour 20% du bilan carbone, reste également trop floue. L’ambition affichée d’appliquer des critères de durabilité à 100% des produits achetés est louable, mais en l’absence de précisions, nous ne sommes pas tellement avancés.

Qu’en est-il des partenaires sponsors, dont certains sont épinglés pour leur empreinte carbone ?

Pour un évènement aussi visible et emblématique, le choix des sponsors est crucial et révélateur de la profondeur (ou non) de l’engagement et du changement de logiciel. Pendant tout l’évènement, des spectateurs captifs vont être bombardés de publicités et de logos de marque. Or, à part EDF, aucun des partenaires de l’évènement n’a une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris, et loin s’en faut. Certains, comme Air France ou Aéroport de Paris, véhiculent même, à ce jour, des imaginaires opposés à la décarbonation.

Ce manque de cohérence nuit clairement à la crédibilité de l’engagement climat des Jeux de Paris. On ne peut pas en même temps vouloir être exemplaire sur le plan écologique et promouvoir des activités polluantes. La question écologique n’est pas une petite boîte à cocher dans une liste, toutes choses égales par ailleurs. Elle doit englober l’ensemble des choix stratégiques et organisationnels.

La communication climatique de Paris 2024 a-t-elle fait l’objet de greenwashing ?

La prétention initiale de jeux à « impacts positifs » pour la planète relevait d’un greenwashing, qui a été abandonné en cours de route. Certains sponsors sont régulièrement épinglés pour greenwashing et on pourrait, par extension, étendre cela aux Jeux eux-mêmes car ils mettent en avant ces entreprises, parfois sous un angle exemplaire. Par exemple, Coca-Cola est mis en avant car ils proposeront des fontaines à eau et à sodas pour éviter les emballages plastique, ou encore des consignes de bouteilles en verre. C’est l’arbre qui cache la forêt. Coca est le premier distributeur de plastique au monde et il faut 70 litres d’eau pour produire un litre de soda.

L’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques à l’heure de l’urgence climatique a-t-elle encore un sens ?

La question va au-delà des Jeux de Paris. Un pas a été fait dans la bonne direction avec ces jeux, mais c’est insuffisant. Il faut que les Jeux accélèrent leur mue vers un tout autre modèle, avec plus de localisme et moins de gigantisme. Si cette mue survient, les JO peuvent au contraire devenir le symbole d’une gestion responsable face aux enjeux climatiques et écologiques, et porter haut la flamme d’un monde responsable, désirable et fédérateur à la fois.

Quel nouveau modèle de Jeux plus « climato-compatible » prônez-vous ?

Des jeux « durables » sont avant tout des jeux plus petits, plus locaux et valorisant les infrastructures existantes. Pour limiter les déplacements internationaux, tout en permettant au plus grand nombre d’y assister en personne, on pourrait répartir les disciplines dans différents pays, favoriser ou réserver l’accès physique aux participants pouvant se rendre aux jeux par voie terrestre, et développer beaucoup plus largement des fan zones conviviales, en dehors des sites d’épreuves. Si l’on considère que les compétitions de surf de Paris 2024 se déroulent à Tahiti, et les compétitions de voile à Marseille, ce modèle n’est pas une transformation aussi radicale que ce que l’on pourrait penser au premier abord. Cela permettrait aussi d’amener les Jeux dans d’autres villes que les mégalopoles. 

Propos recueillis par Marie Vabre