À quelques semaines des Jeux olympiques de Paris 2024, le Comité olympique dresse le bilan de sa Charte sociale. Une initiative inédite pour un événement sportif de cette envergure, mais qui n’a pas permis d’éviter certains scandales sociaux.

Le 25 avril 2024, au sein du Conseil économique, social et environnemental (Cese), les éloges fusent pour dresser un premier bilan de la Charte sociale de Paris 2024. Cette initiative, signée en 2018 par les organisations syndicales et patronales est « une première à saluer dans l’histoire des jeux olympiques et paralympiques », insiste Dominique Carlac’h, présidente du comité Sport du Medef, côte à côte avec Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT. 

Les deux co-présidents du Comité de suivi de la charte sociale, malgré leurs divergences politiques, se sont félicités en compagnie de Tony Estanguet président du comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 (COJO) et de Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), du travail réalisé ces derniers mois sur les chantiers des JO. 

La charte aux 16 engagements sociaux tente en effet de tourner la page de précédents grands événements sportifs comme les Jeux olympiques de Sotchi en Russie, de Rio au Brésil, ou bien de la Coupe du monde de football au Qatar, entachés autant par les mauvaises conditions de travail et les décès élevés sur les chantiers ainsi que par la construction d’installations sportives dorénavant inutilisées. « Les syndicats l’ont dit depuis le début, ils veulent la réussite des JO mais ils la veulent adossée à des engagements, des droits sociaux et du progrès social. Ce qu’on veut démontrer, c’est que les droits sociaux ne sont pas incompatibles avec les grands événements sportifs », affirme Bernard Thibault. 

Bien que non contraignante, la charte cristallise cet engagement, et réunit pour la première fois autour de la table les représentants patronaux, les syndicats et le COJO, afin de « montrer le meilleur de la France », grâce à des jeux olympiques et paralympiques « responsables d’un point de vue environnemental et social », ajoute Tony Estanguet.

Bertrand Thibault, Dominique Carlac’h, Tony Estanguet et Nicolas Ferrand au Cese lors de la présentation de la Charte sociale des Jeux olympiques de Paris 2024.

Charte sociale : des objectifs tenus

À 72 jours de la cérémonie d’ouverture, les objectifs fixés par la charte sociale semblent en passe d’être atteints, estime le président du COJO. 

« La première cible de cette charte sociale pour les ouvrages olympiques, c’était l’insertion professionnelle », explique Nicolas Ferrand pour la société de livraison des structures olympiques. D’après une étude de l’Insee, le volume d’heures travaillées pour les JO est de 25,8 millions d’heures. La charte imposait au moins 10% des heures travaillées réservées aux personnes éloignées de l’emploi. “Nous avons dépassé ce chiffre-là, nous en sommes à 118 %”, précise le DG de la Solideo. Plus de 4 000 personnes en insertion professionnelle ont participé aux travaux des JOP, pour un total de 2,934 millions d’heures travaillées.  

Deuxième engagement : faire en sorte que les jeux et les ouvrages profitent à toutes les entreprises, françaises, de préférence. « 90% des marchés ont été remportés par des entreprises françaises, ajoute Tony Estanguet, et plus de 75% par des TPE, PME, et de l’ESS ». La charte réserve un quart de la valeur des marchés de travaux à ces différentes entreprises. Cette fois aussi, les objectifs ont été dépassés. 36 % de la valeur des marchés ont été attribués à ces dernières. Ce qui représente plus de 800 millions d’euros de valeur des marchés pour près de 2 600 entreprises, « dont 505 entreprises de l’ESS et de l’économie circulaire mobilisées pour les JO », précise Nicolas Peyronnet, directeur de la plateforme ESS 2024

Dernier point, celui des accidents au travail. « Nous avons divisé par 4 sur les chantiers olympiques le taux moyen d’accidents du travail », explique Nicolas Ferrand. Ce sont 180 accidents, 31 graves, un avec des séquelles irrémédiables et 0 mort. Un bilan dont le comité est fier et qui dénote des précédents événements sportifs, notamment au Qatar et ses centaines de morts sur les chantiers.

Un chantier pas socialement responsable sur toute la ligne

Pour autant, la CGT n’hésite pas à égratigner le satisfecit général autour de la Charte. Une note de la SNTEFP-CGT (syndicat des services déconcentrés du ministère du travail, dont l’inspection du travail) montre ainsi une face plus sombre. Si les chantiers des ouvrages olympiques connaissent une baisse notable des accidents du travail, les autres chantiers indirectement liés aux JO n’ont pas été exempts d’accidents mortels comme ceux du Grand Paris Express (GPE), accélérés pour être prêts à temps pour l’événement. Cinq personnes y sont décédées depuis 2020.

En outre, la Charte sociale n’aura pas permis d’effacer totalement les scandales qui ont ponctué la préparation de ces Jeux olympiques. La présence de travailleurs sans-papier sur les chantiers, l’expulsion de personnes sans-abri en dehors de la capitale, le recours au travail gratuit des bénévoles, l’expropriation des étudiants des logements Crous ou la destruction des jardins d’Aubervilliers fissurent la dimension sociale des Jeux olympiques 2024.

Des Jeux Olympiques sur fond de crise sociale

Or, à quelques semaines des JO, l’objectif du COJO et du gouvernement français est de calmer les colères, d’éviter à tout prix une crise sociale qui viendrait perturber cette fête sportive et entacher le visage de la France. La Charte fait partie des outils destinés à maintenir le dialogue entre les organisations syndicales et patronales, et d’assurer une trêve sociale pour les JO afin de ne pas revivre le même épisode qu’en 2005.

Pour de nombreux observateurs en effet, les mouvements sociaux auxquels avaient alors été confrontés le Comité International Olympique lors de leur visite préparatoire dans la capitale française, auront été l’une des raisons de la victoire de Londres pour les JO 2012. 

Pas sûr que le climat soit pour autant apaisé cet été. La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a ainsi donné « un carton rouge » au gouvernement, estimant que la charte sociale des JO était « en panne ». Son syndicat, comme Force ouvrière, a déjà déposé des préavis de grève pour cet été pour demander des recrutements pérennes, des compensations salariales ou des droits aux congés au titre des contraintes professionnelles générées par les jeux. Les éboueurs de Paris sont quant à eux entrés en grève mardi 14 mai 2024, et assurent qu’ils la poursuivront pendant les JO si leurs revendications ne sont pas entendues. 

Photo de Nicolas Michaud depuis Flickr.