Un cabinet vient d’être nommé pour évaluer l’impact carbone du projet d’Aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Que dit cette nomination de la place accordée à l’écologie dans nos projets d’infrastructures ? Comment cet impact est-il mesuré ? Les experts sont-ils indépendants ?

Le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes (NDDL) supposé remplacer l’aéroport existant à Nantes cristallise depuis des années les tensions. Opposants et partisans du projet échangent depuis des années, se renvoyant tour à tour à des expertises, des médiations et des référendums. Récemment, la décision du comité de médiation de nommer un cabinet pour évaluer l’impact carbone du projet a relancé les débats. En effet, les médiateurs veulent savoir laquelle des solutions envisagées serait la moins lourde du point de vue des émissions de CO2. Et pour le savoir, ils ont nommé le cabinet Carbone 4, géré par deux experts des questions carbone : Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean. Problème : ces experts seraient notoirement opposés au projet, ce qui relance la colère des partisans de l’aéroport. Évidemment, ces deux experts étant reconnus pour leur engagement sur les questions écologiques, leur expertise est forcément orientée sur le sujet.

Orientée, certes, mais est-ce vraiment un problème ? N’est-ce pas ce que l’on attend d’un expert en impacts écologiques que d’avoir un regard orienté sur les problématiques écologiques lorsqu’il étudie un projet ? Pourquoi cette expertise écologique fait-elle débat ? Quid des précédentes études d’impact ? Et si l’on décryptait un peu comment se passe l’évaluation environnementale d’un projet type Notre-Dame-des-Landes, pour mieux comprendre ?

Notre-Dame-des-Landes : comment sont évalués les projets d’infrastructures publiques ?

Comment évaluer la pertinence d’un projet d’infrastructure : que dit la loi ?

Lorsque les pouvoirs publics décident d’un projet d’infrastructure (comme un aéroport, par exemple) leur décision doit reposer (c’est la loi) sur une série d’évaluations sur les impacts du projet sur la communauté. D’une part, une étude doit être menée sur les impacts socio-économiques du projet, afin de savoir si le projet rapportera plus qu’il ne va coûter (en termes économiques et financiers). Pour les infrastructures de transport, cette obligation est définie par deux textes principaux : le Code des transports (articles L.1511-1 à L.1511-6 et R.1511-1 et suivants) et la loi n°2012-1558 du 31 décembre 2012 et son décret d’application. En plus de cette étude socio-économique, une étude doit aussi être faite sur les impacts environnementaux du projet, en vertu de l’article L.122-1 du code de l’environnement, qui précise que les projets d’infrastructures publiques « doivent respecter les préoccupations d’environnement. Les études préalables à la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages qui, par l’importance de leurs dimensions ou leurs incidences sur le milieu naturel, peuvent porter atteinte à ce dernier, doivent comporter une étude d’impact permettant d’en apprécier les conséquences ». 

L’évaluation socio-économique : comment est évalué l’impact environnemental ?

Dans l’étude d’impact socio-économique, on évalue tous les coûts liés au projet (coût de construction, d’entretien, coûts liés au bruit ou à la pollution) ainsi que les gains (gains financiers, gains en termes d’emplois…) On fait ensuite une comparaison des impacts positifs et négatifs afin de conclure si le projet est oui ou non intéressant pour la collectivité, avant qu’une DUP (Déclaration d’Utilité Publique) ne soit prononcée si le projet est jugé positif. Problème : il n’existe pas une méthode scientifiquement objective qui permette de mesurer et de comparer ces impacts. Alors les experts chargés de faire ces évaluations prennent des approximations. Par exemple, dans le rapport d’impact socio-économique de l’Aéroport Notre-Dame-des-Landes, les experts ont voulu savoir quel serait le coût carbone de l’aéroport. Compte tenu des différents facteurs retenus, les experts ont estimé qu’il y aurait toutes choses égales par ailleurs une augmentation du trafic routier et des distances parcourues dans 2 des 3 scénarios du projet (en résumé, puisque l’aéroport est plus loin, il faut prendre sa voiture plus longtemps pour s’y rendre). Plus de trajets voiture, donc une augmentation des émissions de CO2.

Mais comment comparer cette augmentation des émissions aux autres coûts socio-économiques de l’aéroport ? Pour faire cette comparaison il faut convertir les émissions de CO2 en coût financier, c’est-à-dire en euros. Mais combien coûte une tonne de CO2 en plus dans l’atmosphère ? Difficile à dire. Mais il faut bien choisir un chiffre ! Le rapport estime donc, arbitrairement, à la page 99 qu’une tonne de CO2 vaut 27 euros (prix issu du Rapport Boiteux sur la Taxe Carbone, daté de 2000). Dans ces conditions, sur le pire scénario, l’aéroport coûterait à la collectivité 2.8 millions d’euros à cause du CO2, ce qui représente un peu plus de 100 000 tonnes de CO2 supplémentaire dans l’atmosphère. Ces 2.8 millions d’euros, il faut les comparer aux autres coûts et bénéfices, par exemple les 255 millions d’euros estimés liés aux gains « des usagers du transport aérien » (p.104).

Quelle place pour l’écologie dans les évaluations d’infrastructures publique ?

top-10-villes-durablesLes lacunes de l’évaluation socio-économiques sur le plan écologique

Forcément, si on compare ces deux valeurs, le coût des émissions de CO2 paraît insignifiant. Sauf que : il est vrai qu’à l’époque de la réalisation de l’étude (en 2006), le coût estimé du CO2 était de 27 euros. Mais il est aujourd’hui de 30.5 euros. Et d’après les projections du Ministère, ce prix devrait monter à 56 euros en 2020 et à 100 euros en 2030. Déjà, si l’on actualisait ce chiffre, les résultats seraient différents. De plus, on peut s’interroger : ce chiffre reflète-t-il réellement le coût de la pollution au CO2 quand on sait que l’inaction face au changement climatique pourrait coûter plusieurs milliers de milliards d’euros à la planète d’après la majorité des scientifiques ?

Mais surtout, l’évaluation socio-économique ne prend en compte qu’un seul facteur environnemental : le CO2 (auquel on ajoute parfois d’autres polluants atmosphériques comme le NOx) et encore, pas sur tout le scope. Tous les autres facteurs écologiques (l’effet sur la biodiversité par exemple, mais aussi les particules fines, la consommation de ressources naturelles non-renouvelables, l’éco-toxicité) ne sont pas évalués, et pour une raison simple : il est très difficile de quantifier leur coût financier. Et sans évaluation du coût, on ne peut pas comparer aux autres impacts. Que valent l’artificialisation de 1600 hectares de terrain naturel face à la promesse d’une augmentation de l’activité de transport aéroportuaire ou à la création d’une centaine d’emplois ? C’est impossible à évaluer.

L’évaluation environnementale : à quoi ça sert ?

C’est pour cette raison qu’en parallèle, une étude d’impact environnemental est également menée pour avoir une idée de l’impact environnemental global du projet. Mais bien souvent, ces analyses sont partielles et il est pratiquement impossible d’en tirer une conclusion. Dans le cas de l’aéroport NDDL, l’Autorité Environnementale dans un avis rendu le 20 juillet 2016 jugeait par exemple que l’évaluation environnementale était « relativement lacunaire, par exemple sur l’émission de gaz à effet de serre notamment en phase de travaux, la faune et la flore, la qualité de l’eau, etc.. » Ainsi, sur la question des pollutions de l’air, le rapport de l’étude d’impact environnemental de l’aéroport précise (p.15) que « le projet de l’aéroport et de la desserte routière génèrent des émissions supplémentaires de polluants atmosphériques et notamment d’oxydes d’azote, monoxyde de carbone, hydrocarbures imbrûlés, dioxydes de souffres, fumées. » Il y aura donc des pollutions, mais elles ne sont pas précisément quantifiées. Et que préconise le rapport face à ce problème ? « La mise en place d’un dispositif de surveillance de la qualité de l’air. » Un dispositif de surveillance, sans impact donc sur la qualité réelle de l’air ni sur les conséquences de la pollution de l’air sur la santé des riverains… Au final, les impacts environnementaux sont effectivement évalués (et encore, partiellement) dans le cadre de ce type de projets, mais ils constituent rarement un critère décisif dans la prise de décision. Une fois que ces impacts ont été évalués, ils sont transmis à l’Autorité Environnementale pour avis… mais cet avis est purement consultatif et n’est pas décisif dans la décision de poursuivre ou non le projet. Pire encore : la mesure de l’impact ne signifie pas nécessairement que quelque chose de concret sera fait pour le limiter.

Pourtant, tout le contexte réglementaire récent plaide pour une augmentation de la place de l’écologie dans les évaluations et les décisions de projets d’infrastructures. L’ensemble du Code de l’Environnement plaide en faveur d’un renforcement de l’analyse des impacts écologiques des projets d’infrastructure et pour une meilleure prise en compte de ces impacts dans la prise de décision. La loi de Transition Énergétique devrait logiquement aboutir à la même logique, comme la réglementation européenne et peut être de façon encore plus symbolique, comme la COP21 où la France a pris le lead des engagements sur la réduction de l’impact écologique. Et pourtant, aujourd’hui, non seulement les critères sont insuffisamment ou mal évalués dans ce type d’audit, mais l’écologie reste secondaire au moment de décider si oui ou non le projet doit être mis en place.

L’indépendance des évaluations socio-économiques et environnementales en question

En donnant à une agence spécialisée sur les questions écologiques et les questions carbone la charge d’évaluer l’empreinte carbone du projet NDDL, le groupe de médiation prend acte de cette nécessité réglementaire et normative. Il montre que dans sa médiation, il prendra en compte les critères écologiques. Mais que peut-on dire de l’indépendance de ce cabinet ? Il est avéré que Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean sont opposés au projet. Ils ont maintes fois défendu cette position. Alors seront-ils objectif ? Difficile de répondre oui ou non. Probablement, leur évaluation du Bilan Carbone des deux projets d’Aéroport sera très extensive. Mais le Bilan Carbone est un outil avec lequel il est difficile de tricher : il y a une méthodologie stricte, encadrée par l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, rattachée au Ministère de l’Environnement) et l’Association Bilan Carbone. Le cabinet Carbone 4 le sait d’ailleurs fort bien puisque Jean-Marc Jancovici a fait partie de ceux qui ont le plus contribué à établir cette méthode.

En tout cas, l’analyse ne sera pas moins objective que les précédentes études d’impact. Ces dernières étant commandées, comme il est de rigueur, par les Maîtres d’Ouvrage du projet (qui ont tout intérêt à ce que le projet soit déclaré d’utilité publique) on peut estimer qu’elles ont été menées de façon à mettre le moins en avant possible les impacts écologiques de l’Aéroport. Inversement, l’analyse de Carbone 4 sera sans doute menée de façon à mettre le plus en avant possible ces impacts écologiques (en l’occurence, les impacts carbone).

Mais n’est-ce pas là justement l’objectif ? Bien comprendre et mettre en avant les impacts écologiques, afin de prendre en conscience une décision durable ? N’est-il pas important d’avoir un regard le plus précis possible et le plus orienté possible sur les impacts écologiques d’un projet avant de décider de le mettre en place ?

En 2010, le Grenelle de l’Environnement avait précisément mis en place un gel de toutes les constructions aéroportuaires pour cette raison : on connait les impacts écologiques de la construction d’un aéroport. Ils sont énormes. Et face à l’urgence écologique et dans le cadre de la transition énergétique, de la COP21, et des engagements français en Europe et dans le monde sur ces questions, il est légitime d’évaluer correctement les conséquences écologiques de nos choix et d’en prendre la mesure avant de décider. De toute façon, comme les autres, cette évaluation sera consultative. À la fin, il appartiendra à l’Etat de décider avec lequel de ses engagements il veut être cohérent.

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Crédit image : Aéroport sur Shutterstock