Dans une collaboration inédite sponsorisée par le GIEC et l’IPBES, des experts alertent sur les menaces communes qui pèsent sur la biodiversité et le climat. 

Pour la première fois, des experts du panel intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et ceux du panel international sur la biodiversité (IPBES) ont travaillé ensemble à la rédaction d’un rapport. “Changement climatique et érosion de la biodiversité sont les deux plus grands défis et menaces qui attendent les sociétés humaines et ils sont inextricablement liés” expliquent les 50 experts, dans ce “Climate and Biodiversity workshop report”. La lutte contre le changement climatique va de pair avec la lutte contre la perte de biodiversité. Les chercheurs mettent aussi en garde contre les projets d’atténuation du changement climatique qui peuvent nuire à la biodiversité. Il est essentiel que tout projet prenne en compte les aspects climatiques, biodiversité et sociaux. Étudions en détails les conclusions de ce rapport.

La lutte contre le changement climatique et celle contre l’érosion de la biodiversité sont inextricablement liées

Les auteurs du rapport soulignent d’abord que préserver la biodiversité est essentiel pour lutter contre le changement climatique. En effet, 50% des émissions anthropiques de CO2 sont absorbées par la biomasse et les océans. Ces derniers absorbent aussi de grandes quantités de chaleur et participent donc à atténuer les effets du changement climatique.

La biodiversité est, aujourd’hui, en danger : 83% de la biomasse de mammifères sauvages et la moitié des plantes ont disparu. La biodiversité est directement menacée par les activités humaines comme la déforestation ou la surpêche. Elle l’est aussi indirectement par le changement climatique qui résulte des émissions de gaz à effet de serre anthropiques. Le changement climatique perturbe l’organisation et le fonctionnement des écosystèmes. Inversement, la dégradation de la biodiversité impacte négativement le climat. Le changement d’utilisation des sols, par exemple, est un contributeur majeur aux émissions de gaz à effet de serre et donc au changement climatique. 

Les mesures qui se concentrent sur le climat se prennent souvent au détriment de la biodiversité

Les experts du GIEC et de l’IPBES mettent en garde contre la tendance des projets d’atténuation ou d’adaptation à ne prendre en compte que les aspects climatiques. Ces projets résultent souvent en une dégradation de la biodiversité. Planter d’immenses monocultures pour produire des agrocarburants a par exemple des effets néfastes sur la biodiversité et la société.

De même, les projets d’afforestation (planter des arbres là où il n’y en a jamais eu) ou de reforestation (replanter des arbres là où il n’y en a plus), dans certaines conditions, menacent la biodiversité. Par exemple, planter des arbres dans une savane pour stocker du carbone est une mauvaise idée du point de vue de la biodiversité puisque l’on se prive d’un écosystème très riche. Reforester en plantant d’immenses étendues d’une seule essence exotique, n’est pas non plus une solution viable. On diminue ainsi drastiquement la biodiversité d’un écosystème et on augmente sa vulnérabilité aux maladies ou conditions climatiques extrêmes. 

Même les énergies renouvelables, perçues comme exemplaires du point de vue de leur impact carbone, peuvent nuire à la biodiversité. Les turbines des éoliennes ou les batteries des voitures électriques nécessitent, par exemple, des terres rares dont l’extraction est très polluante pour les écosystèmes et populations voisines. 

Des mesures d’adaptation au changement climatique qui ne prendraient pas en compte la biodiversité peuvent terminer en “mal-adaptation”. Par exemple, augmenter la capacité d’irrigation d’une région est commun pour faire face aux sécheresses de plus en plus fréquentes. Pourtant, cette irrigation résulte souvent en conflits pour l’accès à l’eau et détérioration des sols. 

Quelles solutions pour allier climat et biodiversité ?

Les auteurs du rapport recommandent d’adopter une vision holistique. Une vison holistique prend en considération le climat mais aussi la biodiversité et la société. C’est, selon eux, la manière de maximiser les bénéfices et de minimiser les effets négatifs de tout projet. L’idée est de répartir plus équitablement les bénéfices et les éventuels coûts d’une action entre la nature et la société. Pour mieux évaluer l’impact d’une politique, les auteurs proposent de ne plus réfléchir en termes de croissance du PIB. Ils proposent plutôt d’évaluer la qualité de vie, la répartition des richesses et le respect des limites planétaires

Préserver la biodiversité pour lutter contre le changement climatique

Les experts proposent aussi une série de mesures qui permettent d’allier lutte contre le changement climatique et lutte contre l’érosion de la biodiversité. Tout d’abord, ils déplorent que seuls 15% des terres et 7,5% des océans soient protégés. Pour espérer ralentir efficacement la perte de biodiversité, il faudrait plutôt que 30 à 50% du globe soient sous le statut d’aire protégée. 

Préserver la biodiversité est un levier puissant pour lutter contre le changement climatique, explique le rapport. Réduire la déforestation et la destruction des forêts pourrait, par exemple, éviter l’émission de 0,4 à 5,8 Gt de CO2 équivalent (eq) par an. Quand on sait qu’en 2019 l’humanité a émis 59,1 Gt de CO2eq, c’est non négligeable ! Certains écosystèmes sont même de plus grands puits de carbone que les forêts, comme les mangroves. Celles-ci peuvent capturer jusqu’à quatre fois plus de carbone que les forêts tropicales. Il est donc impératif de les protéger. De même, transformer notre système agricole pourrait être très bénéfique pour le climat. Les auteurs estiment, ainsi, que des pratiques de conservation des sols et de réduction des fertilisants pourraient éviter l’émission annuelle de 3 à 6 Gt de CO2eq. 

Les experts du rapport proposent aussi d’arrêter la pêche industrielle, notamment celle au chalut. Ses effets délétères sur les écosystèmes marins sont connus. Mais ce que l’on sait moins c’est que cette pêche est aussi néfaste pour le climat. En effet, en raclant les fonds marins, les chaluts font remonter à la surface des sédiments qui piégeaient du carbone. Au total, ces pratiques de pêche ont relâché dans l’atmosphère une quantité de CO2 équivalant à 15 à 20% de ce que l’océan absorbe chaque année. 

Finalement des changements sociaux peuvent bénéficier à la biodiversité, à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à celui-ci. Par exemple, réduire sa consommation, changer son alimentation, réduire le gaspillage alimentaire et exploiter durablement les ressources naturelles peuvent permettre de libérer de l’espace terrestre et aquatique. On peut alors consacrer ces espaces à la conservation de la biodiversité ou à des mesures d’atténuation du changement climatique. 

Voir aussi notre article : Quelles sont les causes de la crise de la biodiversité ?

Des solutions à l’intersection de plusieurs thématiques

“L’humanité n’a pas de temps à perdre”, concluent les auteurs du rapport. Il faut prendre dès maintenant des mesures ambitieuses pour lutter contre le changement climatique et l’érosion de la biodiversité. Le message principal du rapport est que l’un ne va pas sans l’autre. Biodiversité et climat sont inextricablement liés mais ils sont aussi à l’intersection de nombreuses autres préoccupations : sanitaires, sociales, économiques, politiques… On pourrait imaginer de nouvelles coopérations entre les experts du GIEC et de l’IPBES et ceux de l’Organisation Mondiale du Commerce ou de l’Organisation Mondiale de la Santé. Cela saluerait l’importance d’adopter une vision transversale. 

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