Faire une pause dans les normes environnementales ? C’est l’idée émise par Emmanuel Macron. Alors, est-ce réaliste ? Pertinent ? Les normes environnementales sont-elles déjà suffisantes ? On fait le point.

Le 11 mai 2023, Emmanuel Macron, président français, déclarait qu’il souhaitait une « pause réglementaire européenne » sur les normes environnementales. Selon le chef de l’Etat, les réglementations européennes étant déjà les plus ambitieuses du monde, il faudrait faire une pause dans les réglementations nouvelles, pour éviter de perdre les acteurs économiques et sociaux, et pour prendre le temps d’appliquer les règles déjà votées. Ironique, un jour seulement après avoir été enjoint par le Conseil d’Etat à justement « prendre de nouvelles mesures » pour la lutte contre le réchauffement climatique.

Cette posture, celle d’un réformisme progressif, qui se veut pragmatique, rejoint les revendications de nombreux acteurs économiques pour qui la transition écologique irait trop vite. Pourtant, elle sonne à contre-temps des urgences de cette transition. En effet, contrairement à ce que sous-entend le président, les normes européennes sont loin d’être à la hauteur des objectifs écologiques européens, et surtout des efforts à fournir pour éviter une crise destructrice. Alors, pause ou pas pause ? Tentons de faire le point sur l’état des règles et normes européennes environnementales, et sur leurs enjeux, pour mieux comprendre.

Les normes européennes, les plus ambitieuses ?

L’idée que les normes européennes en matière environnementale seraient les plus ambitieuses dans le monde revient régulièrement dans les débats publics sur la transition écologique. Et il est vrai que dans certains domaines liés à la transition écologique, les pays européens, ou l’Union Européenne, sont plutôt « en avance ». La loi PACTE sur la raison d’être, qui propose aux entreprises d’intégrer à leur intérêt social les préoccupations écologiques et sociales, a été une avancée en matière de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). La loi sur le devoir de vigilance, votée en 2017 en France, a également été l’une des premières à mettre les entreprises devant leurs responsabilités juridiques en matière d’atteintes aux droits humains ou à l’environnement.

Un certain nombre de lois européennes vont aussi dans le bon sens ces dernières années : la CSRD, par exemple, qui oblige les entreprises à faire le reporting de leurs impacts environnementaux, ou encore la SFDR, qui contraint les acteurs du monde financier à mieux prendre en compte les indicateurs écologiques. La loi sur le devoir de vigilance européen, qui devrait être votée au parlement d’ici quelques semaines, va également dans la bonne direction.

Pourtant, on ne peut pas dire non plus que l’Europe soit un exemple d’action structurée et ambitieuse en matière de réglementations et de normes environnementales. D’abord, car sur un certain nombre de ces réglementations, l’UE est en train de faire marche arrière : l’Europe recule sur la CSRD et la SFDR, les négociations sur le devoir de vigilance sont minées par le lobbying. L’Europe risque même de s’aligner sur les standards, moins ambitieux, des institutions américaines comme l’ISSB, ce qui serait un recul considérable en matière de transition durable des entreprises.

L’Europe en retard sur ses objectifs environnementaux

Ensuite, d’une manière générale, l’Europe est en retard sur de nombreux sujets. En matière de lutte contre l’obsolescence programmée, il n’existe toujours pas de vrai droit à la réparation en Europe, qui permettrait par exemple de limiter les impacts environnementaux de l’industrie des smartphones. Sur les pesticides, l’Europe avance et recule un jour sur deux : on interdit certains pesticides, pour les ré-autoriser à coups de régimes d’exception et d’exemptions les années suivantes. En matière de transition énergétique, l’Europe n’est pas spécialement en avance. Environ 35% de l’électricité générée en Europe venait de sources renouvelables en 2022. Au moins 30 à 40 pays font mieux que l’Europe dans ce domaine : Vietnam, Gabon, Canada, Brésil, Colombie, République démocratique du Congo, Nouvelle-Zélande, Pérou, Turquie, et bien d’autres.

La protection environnementale ou la défense de la biodiversité sont également souvent négligées par les gouvernements européens. Ainsi, en France, les réglementations sur les aires marines protégées sont peu efficaces, et permettent toujours de pratiquer la pêche industrielle dans des zones fragiles, en dépit des conséquences environnementales. Les réglementations sur la déforestation importée a abouti, après 3 ans de négociations, à une loi qui est un premier pas, mais reste lacunaire, puisqu’elle exclut de nombreux écosystèmes, et n’oblige pas les banques à réguler leurs financements dans les activités qui contribuent à la déforestation.

Malgré le Pacte Vert, qui est certes plutôt ambitieux dans ses objectifs, l’Europe continue par ailleurs à signer des accords de libre échange avec des pays qui ne respectent pas ses propres normes environnementales, et pousse pour des politiques économiques qui ne permettent en aucun cas de faire émerger un modèle économique plus sobre et soutenable. Avoir des objectifs ambitieux ne suffit pas à les atteindre : pour ça il faut justement des normes.

Des règlementations trop partielles et pas toujours respectées

En France, même chose : les réglementations actuelles sont aussi très partielles. Décidé face aux sécheresses pour faire émerger une consommation d’eau plus responsable, le Plan Eau du gouvernement est insuffisant, et ne s’attaque pas à l’indispensable transition vers une agriculture durable. Le projet de loi Industrie Verte, lui aussi, manque sa cible, en ne définissant pas clairement ce qu’est ou n’est pas une industrie soutenable, et en ouvrant la porte à une dilution des normes environnementales sous couvert de réindustrialisation. La loi PACTE, qui était novatrice au départ, doit désormais être réformée pour éviter le greenwashing (voir : Pourquoi il faut transformer la loi sur la raison d’être).

Sans compter que, quand les réglementations existent, elles ne sont effectivement pas toujours appliquées, ce que concède d’ailleurs le président Emmanuel Macron. Par exemple, les réglementations sur les véhicules thermiques ont beau être relativement exigeantes, on voit qu’elles ne sont même pas respectées : près de 20 millions de véhicules diesels seraient hors de clou en matière de normes de pollutions.

Mais dans la mesure où ces normes sont en général peu contraignantes, et peu encadrées, ce constat n’est pas forcément étonnant. Il faut le dire clairement : le contexte réglementaire et normatif européen est bien insuffisant en matière environnementale, puisque l’on continue à suivre des trajectoires climatiques et écologiques insoutenables.

L’Europe : l’un des continents les plus polluants au monde

En tout état de cause, il faut rappeler que l’Europe reste l’un des continents les plus polluants au monde. D’abord, les pays européens sont historiquement les plus gros contributeurs aux émissions de gaz à effet de serre mondiales : l’Europe qui représente moins de 10% de la population mondiale, est à l’origine de près de 25% des émissions cumulées depuis 250 ans.

Aujourd’hui encore, l’empreinte carbone moyenne par habitant dans l’Union Européenne est 35% plus élevée que la moyenne mondiale, alors même que l’Europe devrait montrer la voie de la transition climatique compte tenu des moyens financiers et humains dont elle dispose. Et encore, ces chiffres ne prennent pas en compte les émissions importées, considérables en Europe, qui consomme massivement des produits venus d’Asie, d’Amériques et de partout dans le monde.

L’Europe est l’un des continents où les modes de transport les plus polluants (voiture individuelle, avion) sont les plus répandus, où la consommation énergétique par habitant est la plus élevée, où la consommation de ressources par habitant est la plus haute, tout comme la consommation de viande. Les niveaux de consommation, et de gaspillage, sont eux aussi au sommet. Bref, l’Europe est parmi les zones les plus polluantes de la planète.

Le risque de l’immobilisme sur la transition écologique

Au regard de ces données, l’idée de faire une pause dans les réglementations environnementales apparaît en décalage avec l’ambition qu’affichent pourtant les gouvernements européens d’être de véritables champions de la transition écologique.

Le risque d’une telle rhétorique, c’est de tomber dans une forme d’immobilisme. Puisque l’on fait parfois un peu moins pire qu’ailleurs, il deviendrait alors inutile de faire plus, de faire mieux. Comme si le réchauffement climatique ou la disparition de la biodiversité allaient attendre que l’on se décide à y aller franco, tous ensemble. Il faut au contraire rappeler que la transition écologique et climatique est une course contre la montre : les rapports du GIEC ont rappelé que pour respecter les trajectoires compatibles avec un climat soutenable, il faudrait faire baisser nos émissions de CO2 en valeur absolue dès aujourd’hui, et de manière rapide (5 à 7% par an). De même, pour éviter des points de bascule irrémédiables en matière de crise de la biodiversité, il faudrait sanctuariser entre un tiers et la moitié des zones naturelles, pas demain, ou après-demain, après une petite pause, mais dès aujourd’hui. Pour cela, il faudra nécessairement des règles, des contraintes, des taxes, des politiques publiques, des normes.

On peut d’ailleurs s’étonner que celui qui répète à l’envie qu’il n’est pas question de tomber dans « l’immobilisme », qu’il ne faut « rien lâcher », qu’il faut « réformer plus vite et plus fort », tombe soudain dans l’excès inverse quand il s’agit de transition écologique et sociale. S’il n’y avait vraisemblablement aucune urgence à faire travailler les Français deux ans de plus en pleine crise du travail, il y a en revanche urgence à faire le virage écologique, pour éviter d’aller dans le mur. Et pour ce virage là, il faudra des réglementations fortes et ambitieuses, il faudra sortir du modèle d’une transition à la carte, incitative, sans contrainte.

Certes, ces réglementations risquent de perdre un certain nombre d’acteurs, notamment économiques, bien trop habitués au paradigme dans lequel l’économie domine et détruit tout, au profit de quelques uns et au détriment de l’immense majorité. Mais c’est justement le but, un but que ceux qui se veulent des grands réformistes devraient prendre à bras le corps. Sans attendre, sans faire de pause.

Photo de Christian Lue sur Unsplash