Parent caché de la pêche industrielle, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) menace à la fois la biodiversité marine et la sécurité alimentaire de millions de personnes. Alimentée par des réseaux criminels et la corruption, elle prive l’économie de plusieurs milliards de dollars chaque année tout en favorisant l’esclavage moderne et la dégradation des écosystèmes.

La pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) est devenue pour la Fondation de la Mer « un fléau économique, social, environnemental et politique ». Loin d’être une pêche pirate marginale, la pêche INN est aujourd’hui fomentée par un vaste réseau d’organisations criminelles alimenté par la corruption qui menace à la fois la sécurité alimentaire mondiale et participe activement à l’esclavage moderne, révèle un nouveau rapport de la Fondation de la Mer sorti en novembre 2024.

En plus des 80 millions de tonnes de poissons pêchés en moyenne chaque année, ce sont 26 millions de tonnes de poissons qui sont sortis de l’eau par la pêche INN. « Cela représente 11 à 19% de la production mondiale de poissons qui serait retirée en plus à l’Océan », constate la fondation.

Des populations de poissons dévastées par la pêche 

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la pêche était limitée par les moyens de navigation et les techniques de pêche artisanales. Mais la forte industrialisation du secteur halieutique a changé la donne. Aux nombreuses fermes aquacoles qui ont vu le jour dans le monde, se sont ajoutés des navires de pêche toujours plus massifs et équipés de technologies de capture performantes. Les plus grands navires qui se destinent à la pêche de masse peuvent désormais dépasser les 80 mètres de long et accueillir des équipages pouvant compter 50 hommes.  

Des techniques et une croissance effrénée qui pèsent sur la biodiversité marine. 38 % des populations de poissons sont surexploitées dans le monde, et seulement 8 pays (Chine, Indonésie, Inde, Pérou, Russie, États-Unis, Vietnam, et Japon) sont responsables d’un peu plus de la moitié des prises (51%). Parallèlement, près d’un tiers des prises mondiales sont des captures accidentelles, qui sont presque autant de poissons morts. Et les marchés continuent de se déployer encore aujourd’hui, menaçant de plus en plus de populations voire d’espèces de poissons.

Or, la moitié de la population mondiale dépend de la pêche pour vivre. En 2021, les aliments aquatiques d’origine animale représentaient 15% des protéines animales consommées dans le monde et « au moins 20 pour cent de l’apport protéique par habitant, issu de toutes les sources d’aliments d’origine animale pour 3,2 milliards de personnes », souligne la FAO dans son rapport 2024 sur la situation des pêches et de l’aquaculture.

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Une pêche illégale, une menace pour la souveraineté alimentaire mondiale

Cette pêche illégale est donc une menace de plus pour les espèces aquatiques déjà largement touchées par la pêche légale, parfois peu durable, le changement climatique et la pollution. « La difficile mise en place d’une gouvernance mondiale crée un environnement propice à la pêche clandestine, où les navires profitent des failles dans les réglementations, l’absence de surveillance, la menace ou la corruption, pour exploiter les ressources marines sans contrainte, mettant en péril la durabilité des écosystèmes océaniques« , complète ainsi la Fondation de la Mer.

Ces méthodes de pêche prennent ainsi plusieurs formes concrètes allant de la sous-déclaration des prises par les navires, à la pêche dans des Zones Économiques Exclusives (ZEE) d’un autre État, en passant par des montages financiers et stratégiques pour éviter les normes de pêche trop strictes. Certains navires procèdent également à d’autres activités illicites telles que le trafic de drogues et la traite d’êtres humains. « La pêche illégale et les activités criminelles qui y sont associées brassent davantage d’argent que le marché des armes légères », alerte la fondation. Cette industrie priverait l’économie mondiale de 10 à 23 milliards de dollars chaque année, sur le dos des populations les plus vulnérables. 

L’Union européenne, le plus gros importateur de produits de la mer du globe, tente malgré tout d’enrayer ce phénomène. Elle a notamment mis en place des certificats de capture et un journal de pêche électronique pour soumettre les pavillons étrangers aux mesures européennes plus strictes. Elle impose aussi aux pays producteurs un système de cartons (jaune, rouge, vert) pour interdire l’accès à son marché intérieur aux pays défaillants. Un carton jaune implique une défaillance à régler et un carton vert que cette défaillance est réglée. Un carton rouge est donné lorsque l’UE observe un manque de coopération de la part d’un pays tiers pour résoudre une défaillance. L’UE a ainsi donné un carton jaune à neuf pays tiers et un carton rouge à quatre autres pays. 

Il n’en reste pas moins que faire respecter ces règles est un défi de tous les jours pour l’Europe, même sur le territoire des 27. « Malgré des normes ambitieuses, il a été observé de nombreuses irrégularités, lacunes, ou disparités dans l’application des normes européennes par les États membres », constate la Fondation de la Mer.

Une stratégie « Al Capone » contre la pêche illégale

Réduire les pêches illégales nécessite donc une implication particulièrement forte des États. En ce sens, la fondation préconise 89 mesures portant sur le droit, la sensibilisation des professionnels de la pêche, le renforcement des connaissances scientifiques, etc., afin de lutter contre la pêche INN. 

Mais face aux difficultés actuelles rencontrées par les États et aux limites claires de l’appareil répressif mis en place pour endiguer la pêche INN, la fondation mise quant à elle sur une « stratégie Al Capone ». 

« Tout comme Al Capone utilisait des méthodes sophistiquées pour maintenir son pouvoir et échapper à la justice », cette stratégie « propose d’utiliser les dernières technologies de surveillance pour démasquer les contrevenants », souligne la fondation. Elle vise notamment à traquer indirectement « les ramifications criminelles » qui accompagnent la pêche illégale en s’attaquant par exemple « à l’état des bateaux et la sécurité des équipages, établissant des bases solides pour des pratiques maritimes responsables », souligne la Fondation de la Mer. De quoi protéger la biodiversité marine et les droits humains, espère-t-elle. 

La pêche INN, trois déclinaisons

La pêche illégale
est pratiquée par des navires nationaux ou étrangers dans les eaux territoriales d’un État, sans l’autorisation de cet État ou contrairement aux lois et réglementations de ce dernier. 
La pêche non déclarée désigne la non-déclaration, la déclaration erronée ou la sous-déclaration des informations relatives aux activités de pêche ou de captures. 
La pêche non réglementée couvre la capture de stocks qui ne font pas l’objet de mesures de gestion et de conservation dans une zone de pêche donnée.

Illustration : canva