Soigner les sols grâce aux plantes, c’est l’objectif que se donnent une petite poignée de projets en France qui utilisent la phytoremédiation pour dépolluer les anciens sites industriels. Si cette méthode se révèle être plus vertueuse et moins coûteuse que les procédés traditionnels, le temps nécessaire à la dépollution par les plantes freine la généralisation de la phytoremédiation sur le territoire. 

L’U4 est le dernier des six hauts-fourneaux de l’usine d’Uckange, une commune située dans le département de la Moselle. L’usine s’est éteinte en 1991, mais depuis 2007, le site accueille le projet EVOLU4, une manière de redonner une deuxième vie à cette friche industrielle à travers le développement d’habitations et d’activités économiques, culturelles, et scientifiques.

Ce reliquat du passé industriel de la vallée de la Fensch domine de ses 82m de haut un sol pollué par les anciennes usines sidérurgiques. « Sur le site, on retrouve deux grandes catégories de polluants, explique à Youmatter, Sonia Henry, maître de conférences et enseignante-chercheuse à Université de Lorraine (Laboratoire « sol et environnement »), des polluants organiques – des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) provenant de la combustion et des hydrocarbures aliphatiques dus au stockage, et des éléments traces métalliques (plomb, zinc, arsenic) en très grande quantité ».

La chercheuse participe depuis le printemps 2022 à un projet de dépollution du site. Dans les « jardins de Transformation », une trentaine de parcelles de 250m2 dans lesquelles elle travaille avec d’autres scientifiques de l’Université de Lorraine, elle y observe l’activité des plantes et une de leurs capacités méconnues, celle de dépolluer les sols. C’est la phytoremédiation.

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Les plantes pour soigner les sols

Dans ces friches industrielles isolées, où la main de l’humain est quasiment inexistante, certaines espèces parviennent à se développer dans ces environnements hostiles, et à modifier la teneur en polluants des sols, notamment en dégradant les polluants (phytodégradation), en diminuant la mobilité des polluants (phytostabilisation), ou en les accumulant dans les tiges et les feuilles (phytoextraction). Dans ce dernier cas, les plantes sont récoltées et peuvent être valorisées pour produire des matériaux biosourcés ou de l’énergie

Sonia Henry étudie plus spécifiquement une modalité de dépollution particulièrement polyvalente, le miscanthus x giganteus ou roseau de Chine. « Une plante magique » pour la biologiste qui cumule les qualités, tant par sa capacité à dépolluer les sols, « plutôt les polluants organiques », que par son aptitude à se développer dans des milieux inhospitaliers. « Le système racinaire de miscanthus relargue de petits composés carbonés, qui vont attirer une grande quantité de micro-organismes, qui eux-mêmes vont s’attaquer aux polluants et les dégrader », complète-t-elle. 

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Les « jardins de Transformation » sont en constante évolution, rien n’y est figé. « Parfois, nos projets fonctionnent, d’autres fois non, continue la chercheuse, nous essayons d’améliorer continuellement les espèces actuelles, et nous avons aussi pris en compte une biodiversité qui s’est installée naturellement (plus de 200 espèces différentes), et nous en avons fait une modalité à part entière à étudier ». Le but pour les scientifiques est de multiplier les expériences, de mélanger les espèces – à l’instar des modalités « jardin-forêts » – afin de trouver la bonne combinaison pour réduire drastiquement la concentration des nombreux contaminants qui composent les sols de l’U4.

Miscanthus x giganteus, modalité Miscanthus, friche de l'U4.
Miscanthus x giganteus, modalité Miscanthus, friche de l’U4.
Groseillier à maquereau, modalité "jardin forêts", friche de l'U4
Groseillier à maquereau, modalité « jardin-forêts », friche de l’U4.

Une difficile mise à l’échelle

Dès lors, il pourrait être tentant de généraliser cette pratique de phytoremédiation à l’ensemble des friches présentes en France. Cette méthode s’avère être plus vertueuse, et globalement moins chère à l’hectare que les technologies existantes, mécaniques comme chimiques, souligne ainsi Rose Uomobono, architecte et doctorante à la chaire Arpenter et à la Chaire Territorialisation qui débute une thèse sur la dépollution des sols. La phytoremédiation est toutefois un procédé qu’il est nécessaire de perfectionner, et qui demeure dépendante de nombreuses variables imprévisibles, dont les aléas climatiques et le changement climatique font partie.

Autre souci, le temps de dépollution est difficile à estimer et peut prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies en fonction des sites et des pollutions. Un inconvénient qui est d’autant plus problématique depuis l’instauration de la loi climat et résilience (2021) et son objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN). La ZAN modifie drastiquement l’approche habituelle des communes en matière de foncier pour qui, l’artificialisation de nouveaux espaces naturels fait partie des standards pour le développement des activités industrielles et commerciales. Avec la ZAN, il faudra faire sans. Les quelque 90 000 à 150 000 hectares de friches industrielles estimées en France par l’Ademe s’érigent ainsi comme un moyen de pallier les restrictions imposées par la ZAN.

« Mais, les types de polluants, leur teneur, leur profondeur, le temps nécessaire pour que le projet se fasse… Toutes ces contraintes rendent difficile la généralisation de la phytoremédiation pour la dépollution des friches », estime Laurent Chateau, coordinateur de l’action « Friches » pour l’Ademe. Le temps est donc une ressource rare pour la phytoremédiation, et sans le développement d’un projet de dépollution sur le long terme, ce procédé pourrait rester cantonné à un travail de finition, en complément des procédés de dépollution traditionnels.

Photographies de Sonia Henry.