On les nomme Irma, Antoni, Xynthia, Martin ou bien Idalia, le nom donné aux tempêtes par l’Organisation Météorologique Mondiale et les institutions météorologiques européennes n’est pas un choix anodin. Donner une identité aux dépressions permettrait de prévenir les dommages et de mieux protéger les populations face à ces événements climatiques extrêmes.

L’Ouragan Idalia, sans doute l’un des plus violents que la région ait connu, s’est abattu sur la Floride (États-Unis) ce 31 août 2023. Submersions, coupures d’électricité, infrastructures détruites et victimes humaines, les vents de l’ouragan Idalia, de catégorie 4 sur 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson, ont entraîné des dégâts importants encore difficiles à estimer dans le sud-est du pays. Un ouragan du nom d’Idalia, destructeur à l’image de Katrina en 2005, de Sandy en 2012, d’Harvey en 2017 ou d’Irma cette même année 2017.

Nommer ces tempêtes peut sembler anecdotique de prime abord. Des études scientifiques démontrent pourtant que donner un nom aux tempêtes permet une meilleure prévention des dégâts et une meilleure protection des populations menacées par ces événements climatiques extrêmes. Ces prénoms ont une influence sur l’imaginaire des gens. Ils aident à reconnaître et à fixer dans les esprits ces événements climatiques exceptionnels, à se remémorer le lieu, la date, et les dommages associés aux tempêtes.

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Pourquoi nommer les ouragans ?

Donner un nom aux tempêtes n’est pas une chose nouvelle, mais celle de donner des prénoms communs est une habitude bien plus récente initiée à partir de 1894 par le météorologiste australien Clement Wragge. Il souhaite à cette époque que les populations se souviennent du passage des cyclones et des dommages qu’ils ont causés. Un souhait qui n’est pas sans intérêt, car rendre « humain » les tempêtes, leur donner un nom, une identité, ce qu’on appelle l’anthropomorphisme, c’est offrir aux individus des outils mnémotechniques pour se rappeler de ces événements.

Armand, Béatrice, Denise en ce qui concerne la France, les tempêtes une fois nommées, les noms deviennent un outil de communication efficace pour les décideurs politiques et les institutions étatiques afin de prévenir, alerter et protéger les populations en cas d’événements climatiques extrêmes.

Cette identité offerte aux tempêtes est donc bénéfique pour les populations locales touchées qui assimileront mieux les mesures de sécurité à adopter face aux dangers que représentent les vents violents, et leur permettent de mieux prendre en considération les dangers des cyclones, de mieux se protéger, mais aussi de mieux protéger ses proches, son foyer et les infrastructures adjacentes.

Comment le nom des tempêtes est-il choisi ?

C’est au sein de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), fondée en 1950, que sont choisis les noms des tempêtes dans la majorité des pays du globe. Débuté en 1953, le projet de dénomination des cyclones consiste de nos jours à piocher chaque année dans une liste (au nombre de six, cette liste change chaque année) un prénom, alternant prénoms masculins et féminins. Lorsqu’une tempête est particulièrement destructrice ou meurtrière, son nom est enlevé de la liste.

En Europe, cette méthode d’attribution de nom aux cyclones a été initiée dès 1954 par la météorologue allemande Karla Wege pour baptiser tant les dépressions que les anticyclones. L’Institut de météorologie de l’Université Libre de Berlin, en charge du nom des tempêtes, se décide à nommer les dépressions avec un nom féminin et les anticyclones avec un nom masculin, soulevant des interrogations et surtout des critiques. Pourquoi donner un nom féminin aux événements destructeurs et masculin aux périodes calmes ?

Une critique également énoncée pour l’OMM qui n’ajoutera des prénoms masculins qu’à partir de 1979, et il faudra attendre 1998 pour que l’Institut de météorologie de l’Université Libre de Berlin emboîte le pas. Depuis cette date, l’institut berlinois nomme les anticyclones avec des noms masculins et les dépressions des noms féminins lors des années paires, et inversement les années impaires, comme le souligne un article de Météo France.

Le service météorologique Berlinois s’est occupé de cette tâche pour l’ensemble des pays européens jusqu’en 2017 pour les dépressions et anticyclones susceptibles de toucher le continent avant que de nouvelles procédures plus en accord avec les besoins régionaux soient mises en place. En effet, les prénoms donnés par l’Université Libre de Berlin possèdent des consonances germaniques, des prénoms auxquels les autres populations européennes non germaniques ont plus de difficultés à s’attacher. 

C’est pourquoi depuis 2017, la méthode a changé en Europe. Les anticyclones et les dépressions sont nommées par régions par les services météorologiques nationaux. La France s’associe par exemple avec l’Espagne, le Portugal, la Belgique et le Luxembourg pour nommer les dépressions, le Royaume-Uni avec l’Irlande et les Pays-Bas…

Attention au risque de discriminations

Si nommer les tempêtes possède un effet positif pour la population en général, au niveau individuel, cette action peut avoir des conséquences malencontreuses. Comme l’expliquent la sociologue de Université de Nottingham Trent, Jane Pilcher et la linguiste Anna-Maria Balbach de l’Université de Münster dans un article du média The Conversation, les prénoms donnés aux tempêtes sont aussi le reflet de la société et peuvent être synonymes de discriminations. 

Si personnifier un objet matériel ou immatériel attire l’intérêt des individus, il peut le faire pour de mauvaises raisons. Un premier exemple vient en tête, celui de la crise du Covid-19 débuté fin 2019 qui a démontré les risques d’associer une maladie à une ville. Le Covid-19 et son association avec la ville de Wuhan a entraîné une vague de discrimination, de racisme et de xénophobie envers les populations asiatiques, en particulier contre les Chinois. Ainsi, un simple prénom en commun avec un élément négatif peut faire naître dans la population une vague de méfiance. Les autrices de l’article de The Conversation relatent ainsi l’histoire d’un jeune enfant australien de 8 ans appelé Corona harcelé en 2020.

Alors lorsqu’une tempête meurtrière prend un nom distinctif d’une communauté minoritaire (ethnique, religieuse, culturelle) dans un pays, c’est une forme de discrimination supplémentaire qui peut s’ajouter à leur quotidien. Les destructions causées par les dépressions deviennent une raison pour une partie de la population d’exhiber différentes formes de racisme, sur les réseaux sociaux comme dans le monde réel.

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