Réduire notre consommation de viande engendrerait des bénéfices sanitaires et écologiques, et permettrait à nos systèmes sociaux de faire plusieurs milliers de milliards d’économies chaque année. C’est ce que révèle une étude publiée dans la revue Nature.
La production d’aliments d’origine animale comme la viande, les produits laitiers ou le poisson engendre, on le sait, des impacts écologiques considérables. Mais les conséquences de la production et de la consommation de produits d’origine animale sont aussi sanitaires : consommer trop de viande, c’est augmenter ses risques de maladies cardiaques, de diabète et autres problèmes métaboliques. Et ce, sans même parler des impacts sanitaires liés à la crise écologique.
Mais alors, combien tout cela coûte-t-il à la collectivité ? Si l’on chiffre le coût de ces externalités négatives, on se rend compte que la consommation de produits d’origine animale coûte beaucoup d’argent aux économies mondiales, tout en pesant sur les écosystèmes et la santé globale. Une étude publiée dans la revue Nature revient sur cette problématique, et met des chiffres sur l’impact de la filière des produits d’origine animale. Elle montre qu’en réduisant notre consommation de viande et de produits d’origine animale, on pourrait engendrer d’énormes bénéfices environnementaux, sanitaires, et même économiques.
Les externalités négatives de la production et de la consommation alimentaire
Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont d’abord tenté d’évaluer les externalités négatives liées à notre production alimentaire dans son ensemble. Les externalités, ce sont les conséquences indirectes liées à la production et à la consommation d’un produit ou d’un service, comme les conséquences environnementales, économiques et/ou sanitaires qu’il engendre.
Les chercheurs ont donc identifié un certain nombre d’externalités négatives liée à notre système alimentaire : la production alimentaire génère des émissions de gaz à effet de serre, des pollutions diverses, elle consomme des ressources agricoles, des espaces, dégrade les sols, mobilise les ressources en eau. Ces conséquences écologiques affectent la santé humaine : en polluant certaines ressources en eau, l’agriculture contribue par exemple à augmenter la tension sur les ressources en eau pour les populations. Et puis, la consommation de certains aliments peut avoir des conséquences nocives sur la santé : l’alimentation est ainsi l’une des principales causes de l’obésité, du diabète ou des maladies métaboliques, mais aussi une des principales causes des cancers.
Ces impacts ont un coût pour les économies mondiales : maladies qu’il faut soigner, services écosystémiques défaillants, dépollution… Et ce coût est très élevé. Au total, les externalités négatives de la production et de la consommation alimentaire s’élèveraient à près de 14 000 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale, soit l’équivalent du PIB de l’Union Européenne, ou un peu moins que le PIB chinois. Dans le détail, nos systèmes économiques perdent près de 8 milliards par an à cause des diabètes, maladies cardiaques, obésité ou de la sous-nutrition liée aux externalités de la filière agricole. 6 milliards sont perdus à cause des coûts environnementaux : acidification, éco-toxicité, eutrophisation, usage des sols, climat, ozone, particules fines… En fait, derrière chaque dollar dépensé pour l’achat de produits alimentaires se cache pratiquement 2 dollars (1.9) de coûts cachés.
Le rôle des produits d’origine animale et de la viande
Or, ces coûts gigantesques sont principalement engendrés par la production et la consommation de produits d’origine animale. La viande, à elle seule, est responsable de 51% des externalités négatives de la filière alimentaire, et le chiffre monte à 70% si l’on inclut les produits d’origine animale dans leur ensemble (c’est-à-dire les produits de la mer et les produits laitiers et les oeufs notamment).
C’est logique, car l’élevage est l’une des principales sources de pollution de l’agriculture : c’est l’élevage, notamment des ruminants, qui occupe le plus de terres agricoles, engendre le plus de déforestation et consomme le plus de ressources. C’est aussi l’élevage qui émet le plus de gaz à effet de serre, notamment à cause du méthane émis lors de la rumination. D’autre part, la viande et les produits d’origine animale sont aussi ceux qui pèsent le plus fortement sur la santé humaine, notamment lorsqu’ils sont consommés en excès. Les graisses saturées présentes dans les produits d’origine animale ou les additifs dans la charcuterie participent à la prévalence des problèmes de santé liés à l’alimentation : cancers, hypertension, maladies métaboliques.
Logiquement, ce sont donc les régimes alimentaires des pays développés, notamment en Amérique, en Europe et en Océanie, qui génèrent le plus d’externalités négatives, puisque ce sont dans ces régions que l’on consomme le plus de produits d’origine animale. Par exemple, aux Etats-Unis, en Australie ou encore en Argentine, on consomme près de 120 kg de viande par an et par habitant. En France, 83 kg et en Italie 80. En comparaison, la Chine ne consomme « que » 60 kg par an et par habitant, contre une moyenne de moins de 40 kg par an et par habitant dans le monde.
Des coûts évitables en réduisant la production et consommation de viande
Les chercheurs ont ensuite évalué comment on pourrait réduire le coût de ces externalités en changeant nos régimes alimentaires notamment. Ils ont donc étudié plusieurs scénarios de référence, en se basant sur différents régimes alimentaires : régime sans viande rouge, sans viande, mais avec poisson, végétarien, ou végan, avec ou sans produits transformés.
Leurs constats montrent que l’on peut grandement réduire les externalités négatives de la production alimentaire, et leurs coûts, en réduisant même progressivement notre production et notre consommation de produits d’origine animale. Par exemple, éliminer seulement la viande rouge réduirait déjà de 22% les émissions de gaz à effet de serre, et permettrait d’économiser près des 4 000 milliards de coûts environnementaux et sanitaires par an.
Arrêter totalement la viande en conservant le poisson permettrait de réduire de 32% les émissions, et ajouterait encore près de 2 000 milliards d’économies. Un régime végan diviserait par deux les émissions globales du système alimentaire, et permettrait d’économiser 7 000 milliards d’externalités, soit la moitié de toutes les externalités liées à la production alimentaire. L’étude montre également que du point de vue environnemental comme du point de vue santé, il est préférable de remplacer la viande par des fruits, légumes et légumineuses frais ou non-transformés, que par des produits de substitution transformés (viandes végétales, par exemple). Ainsi, un régime végan avec produits transformés génère autant d’externalités négatives qu’un régime incluant du poisson, par exemple.
Voir aussi : Végétaliser notre alimentation pour capter le carbone
Changer nos régimes alimentaires : le rôle des pays développés et des plus riches
Les chercheurs ont enfin tenté d’évaluer qui devait « montrer l’exemple » en matière de changements alimentaires. Leurs résultats montrent, comme on pouvait s’y attendre, que les efforts à mener sont surtout dans les pays riches et les populations les plus aisées, ce qui est logique puisque ce sont ces pays et ces populations qui consomment le plus de produits d’origine animale.
Concrètement, au moins 80% des coûts évitables sont la responsabilité des pays développés, qui consomment le plus de produits d’origine animale. Cela montre encore une fois que les pays et les populations aisées ont une responsabilité plus importante dans la résolution des problèmes environnementaux (et même sanitaires et économiques) de la planète.
L’étude confirme donc ce que vient de rappeler la Cour des Comptes en France : la réduction de la production alimentaire d’origine animale est essentielle pour accomplir la transition écologique, sociale et sanitaire, et aussi (c’est la spécialité de la Cour des Comptes) faire des économies sur les dépenses publiques. Alors, les gouvernements, si prompt à chercher la réduction des coûts, se saisiront-ils de cette réforme de la production alimentaire, qui représente plusieurs milliers de milliards d’économies potentielles ? L’avenir le dira !
Photo de Jo-Anne McArthur sur Unsplash