Les appareils électroniques sont souvent perçus comme des objets trop complexes pour être réparés par soi-même. Et pourtant, depuis quelques années des ateliers « participatifs » sont proposés afin d’aider les individus à réparer leurs appareils électriques et électroniques.
Que faire d’un téléphone cassé ? D’un sèche-cheveux ? D’un aspirateur ? Pour une simple fissure sur un écran ou un bouton cassé, c’est toute une petite mine de ressources qui part à la poubelle ou reste éternellement entreposée dans un carton. De plus en plus de personnes se décident pourtant à prendre leurs appareils électriques et électroniques en main, à se réapproprier ces outils longtemps laissés au rang d’objets trop complexes pour être maîtrisé.
Car le soin de l’électronique et du numérique n’est pas un art inatteignable. Quelques associations proposent des ateliers de réparations « participatifs », des espaces d’échange et de partage pour apprendre à réparer soi-même ses outils du quotidien.
Ateliers participatifs : apprendre à réparer soi-même ses appareils
L’électronique semble être une muraille infranchissable pour tout néophyte qui souhaite réparer soi-même son appareil. Sur internet, des sites tels que IFIXIT existent bien pour apprendre les rudiments de cette forme de bricolage. Des dizaines de milliers de vidéos permettent de faire disparaître les petits bris des appareils du quotidien, mais l’investissement reste tout de même important pour les non-connaisseurs. La peur de l’erreur ou le manque d’outils sont des freins certains à l’autoréparation.
D’autant plus qu’on observe l’arrivée sur le marché d’appareils gorgés de technologies, de plus en plus performants, connectés, « intelligents »… Une raison en plus pour ne pas s’aventurer seul dans la réparation en solitaire.
Pour pallier à cela, quelques ateliers, dits « participatifs », sont proposés en France. Des lieux de partage de connaissances et d’ateliers pratiques où des bénévoles experts accompagnent certains curieux dans le processus de remise en état de leurs outils
Ces ateliers participatifs trouvent leur origine aux Pays-Bas grâce à l’impulsion de Martine Postma, qui en 2009 organise le premier Repair Café. Par ce projet, elle réhabilite le mouvement culturel du Do It Yourself (DIY), « faites-le vous-même », dont l’objectif est la création et la remise en état des vêtements, des meubles, des jouets et des appareils (électroniques ou non) en tout genre. En France, le premier Repair Café a été organisé en 2013, et près de 3000 Repair Cafés existent aujourd’hui dans le monde.
À une plus petite échelle, l’association « L’Atelier Soudé » propose à Lyon et en périphérie « des ateliers de réparations électroniques participatifs, des pièces et des appareils reconditionnés, des animations ludiques et créatives”, des espaces de partages donc, où les personnes qui veulent en découdre avec leurs appareils électroniques cassés peuvent le faire accompagnées.
Mais au delà de la simple curiosité, ou de la simple envie de bricoler, les Repair Cafés et L’Atelier Soudé défendent aussi des modes de consommation différentes. Réparer soi-même est un acte militant en soi.
À rebours des impératifs de surconsommation, l’autoréparation des objets électroniques porte également un message politique et écologique de lutte contre l’obsolescence programmée et les déchets électroniques.
Contourner l’obsolescence programmée
Ordinateurs, téléphones portables, radios, mixeurs, enceintes, réfrigérateurs ce sont plus de 2 473 423 tonnes d’équipements électriques et électroniques qui ont été mis sur le marché en 2021 en France, dont la majorité a rejoint les foyers français selon les données de l’Ademe. Ce ne sont pas moins de 1,4 milliard d’équipements, soit 11% de plus qu’une année auparavant. Une quantité importante qui est représentative d’un secteur qui est globalement en bonne forme. Les appareils sont régulièrement changés, même trop souvent.
La recherche de rendement chez les géants de l’électronique a produit des objets moins durable, afin de pousser les citoyens à consommer des produits électroniques le plus souvent possible. Certaines entreprises ont même été épinglées pour ce qui a été nommé l’obsolescence programmée, que le droit français définit comme « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement ».
Cette obsolescence peut prendre plusieurs formes, notamment par l’usage de matériaux de moins bonne qualité, plus fragiles esthétiquement parlant. Mais l’obsolescence concerne également les composants à l’intérieur même des objets (circuit électroniques, puces, connectiques…) avec des technologies que les industriels savent plus sensibles à la casse.
En plus de la partie hardware, les éléments matériels d’un objet, c’est aussi la partie software, ou logiciel qui peut être concernée par l’obsolescence programmée. Les mises à jour régulières, les nouvelles applications et fonctionnalités, le renouvellement des systèmes de sécurité… tous ces éléments peuvent rendre certains appareils moins performants ou plus sensibles aux attaques externes.
À cela s’ajoutent la tendance de la part des constructeurs de proposer des appareils difficilement réparables sans perte de garantie avec des pièces inamovibles, comme c’est le cas pour de nombreuses batteries de téléphones portables.
La production de nouveaux appareils, principale source de pollution de l’électronique
Ces méthodes poussent logiquement les individus à la consommation puisqu’ils sont incités à renouveler régulièrement leurs appareils. Le faire réparer ? Pourquoi pas. Mais le neuf est toujours plus intéressant, plus performant, plus sécurisé… C’est du moins le poncif de certaines entreprises.
Or, ces nouveaux produits introduits sur les marchés sont polluants et participent à l’extraction de matières premières, à l’instar du lithium, qui pourrait devenir une ressource critique dans quelques années. Chaque nouvel appareil est une pollution supplémentaire, d’autant plus que la phase de production de nouveaux terminaux représente 78% du total de l’empreinte carbone du numérique française contre 21% pour l’usage selon un rapport commun de l’Ademe et l’Arcep.
Encore à ce jour, et ce malgré des marchés florissants de la seconde main et du reconditionné, l’achat de nouveaux appareils électroniques dans les foyers demeure incohérent avec les impératifs environnementaux. Seuls 53 % des appareils provenant des ménages sont collectés par les quatre organismes agréés pour la collecte et le traitement des équipements ménagers. Bien loin de l’objectif des 65% fixés par le cahier des charges.
Approfondir : Faut-il vraiment croire dans un numérique responsable ?
Et comme le rappel un autre rapport de l’Ademe sur les appareils reconditionnés, l’empreinte carbone du numérique dépend aussi des habitudes de consommation. Des achats réguliers de nouveaux produits électroniques même de seconde main a un intérêt écologique limité, et peut entraîner dans certains secteurs un « effet rebond ».
Se réapproprier les outils électriques et électroniques
Réparer soi-même est donc pour beaucoup un moyen d’allier les enjeux environnementaux et la lutte contre la surconsommation. C’est un moyen de se réapproprier des outils qu’on a longtemps laissé à des mains expertes, alors même que le bricolage d’outils électroniques est abordable par tous les publics.
Être en mesure d’entretenir et de réparer soi-même ces appareils électriques et électroniques est, comme L’Atelier Soudé l’indique, un moyen de se les réapproprier, de devenir autonome face aux industriels de l’électronique et de s’affranchir des différentes formes de surconsommation.
Les valeurs de convivialité, de sobriété et de solidarité portées par l’association rappellent ainsi certaines notions clefs chères aux mouvements écologistes, ceux de « Communs » du « Prix Nobel » d’économie de 2009, Elinor Ostrom, et de « Convivialité » du penseur écologique Ivan Illich (1926 – 2002).
En apprendre plus sur les notions de « Communs » et de « Convivialité ».
Si tout le monde n’est pas fait pour le bricolage, ces ateliers appellent cependant à repenser notre rapport aux outils électroniques. L’objectif est de faire entrer les outils technologiques du quotidien dans une nouvelle phase, celle de la sobriété dans la production et dans les usages, du partage et de l’autonomie.
Photo by Dan Cristian Pădureț, Pexels