Quels sont les points clés à retenir du rapport du groupe 3 du GIEC ? Voici un résumé des grands enjeux mis en avant par les scientifiques du GIEC.
Le groupe 3 du GIEC vient de publier son 6ème rapport. Consacré à la lutte contre le réchauffement climatique, il explore les pistes d’action à mettre en oeuvre dès aujourd’hui pour limiter les dégâts liés à la crise climatique.
Pour comprendre ce que contient ce rapport, il est possible de consulter le résumé pour les décideurs (64 pages) ou le résumé technique (145 pages) ou le rapport complet (2913 pages). Sinon, voici une liste de 10 points clés à retenir.
Voir aussi :
- Quelles solutions face au réchauffement climatique ?
- Les conclusions des rapports 2022 – 2023 du GIEC
1 – Une réduction drastique et immédiate de nos émissions de CO2 est nécessaire
C’était attendu : le dernier groupe du GIEC a à nouveau mis l’accent sur l’urgence d’une baisse drastique de nos émissions de CO2 dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Les modélisations climatiques analysées par le GIEC convergent : pour limiter le réchauffement à 1.5 degré il faudrait que les émissions atteignent leur pic dès aujourd’hui ou au maximum d’ici 2025, puis qu’elles baissent de 48% d’ici 2030, 80% d’ici 2040. Les émissions de méthane (l’autre principal gaz à effet de serre) devraient baisser de 34% d’ici 2030 et de 44%. Pour parvenir à cet objectif de 1.5 degré, il faudrait atteindre la neutralité carbone avant 2050.
Concernant l’autre seuil emblématique, celui des 2 degrés, les chiffres restent vertigineux : pour rester sous 2 degrés, il faut baisser de 37% nos émissions d’ici la fin de la décennie, ou de 52% d’ici 2040 (24% et 37% pour le méthane). Et atteindre la neutralité en 2070 au plus tard.
Le rapport confirme également que la neutralité carbone doit être atteinte le plus rapidement possible pour éviter les temps de dépassement (overshoot), c’est-à-dire les périodes où la Terre sera à des niveaux de températures élevés (au-delà de 1.5 voire de 2 degrés).
2 – Les politiques climatiques actuelles sont loin d’être assez ambitieuses
L’autre constat, c’est que les politiques climatiques contemporaines sont très insuffisantes pour lutter contre le réchauffement climatique. Ainsi, malgré les politiques climatiques mises en place depuis deux décennies, malgré le recours aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique, aux nouvelles technologies, les émissions continuent à augmenter. Pour preuve : 17% de tous les gaz à effet de serre émis depuis 1850 ont été émis durant la dernière décennie. Nous émettons chaque année près de 60 milliards de tonnes de CO2, soit 12% de plus qu’en 2010 et 54% de plus qu’en 2000.
Si cette tendance se poursuit, le monde se dirige vers 3.2 degrés de réchauffement climatique, et donc vers des conséquences écologiques, sanitaires, sociales et économiques catastrophiques. Si les centrales à charbon, les puits de pétrole et de gaz et autres infrastructures de production d’énergies fossiles actuelles sont utilisées comme prévu aujourd’hui, leurs émissions seront suffisantes pour nous amener à 2 degrés de réchauffement climatique.
Même avec les promesses faites dans le cadre de l’Accord de Paris, les émissions seraient suffisantes pour nous mener à un réchauffement supérieur à 1.5 degré. Ces promesses sont donc insuffisantes pour affronter la crise climatique, et dans les faits, les politiques mises en place sont elles-même moins ambitieuses que les contributions promises dans l’accord de Paris.
Il faudrait donc accélérer massivement les efforts des politiques climatiques.
3 – La fenêtre d’opportunité se réduit pour limiter les dégâts
Le problème c’est que la fenêtre d’opportunité pour agir face à la crise climatique est en train de se refermer. Si l’on voulait avoir de bonnes chances de maintenir la planète sous 1.5 degré de réchauffement climatique, il ne faudrait pas émettre plus de 500 milliards de tonnes de CO2 supplémentaires. Ce budget carbone représente à peine 8 années aux taux d’émissions annuelles actuels. Pour se maintenir sous les 2 degrés, il ne faudrait pas dépasser les 1150 milliards de tonnes de CO2, soit à peine 20 ans aux taux d’émissions actuels.
Le GIEC estime donc que pour mettre en oeuvre une transition climatique réaliste à même de nous maintenir sous ces seuils, nos émissions devraient baisser en valeur absolue dès aujourd’hui, ou au maximum dans les 2 à 3 prochaines années. Chaque année supplémentaire que nous passons sans réduire nos émissions de CO2 augmente les risques climatiques, et augmente donc aussi les coûts qui devront être supportés par la collectivité à cause de ces risques climatiques.
Notre fenêtre d’opportunité pour éviter des catastrophes multiformes est donc en train de se refermer.
4 – La sobriété est essentielle à la transition climatique
Pourtant, de nombreux aménagements pourraient être pris dès aujourd’hui pour faire baisser nos émissions. Parmi eux, le GIEC insiste, et c’est une nouveauté de ce rapport, sur la notion de sobriété et sur la nécessité de maîtriser nos productions et nos consommations (d’énergie, de ressource, d’espace…) afin de limiter nos émissions de gaz à effet de serre et la dégradation de nos écosystèmes.
La littérature scientifique s’accorde ainsi sur le fait que la transition climatique devra opérer un changement drastique dans nos façons de produire et de consommer : réduction de la production de viande, réduction de l’usage des véhicules motorisés, réduction de la surproduction de produits manufacturés. Cela implique donc de changer les logiques sous-jacentes de notre système économique (croissance perpétuelle des productions et des ventes, surconsommation…) pour se tourner vers des logiques de sobriété cherchant à répondre à nos besoins par une approche minimaliste.
5 – Il faudra transformer radicalement nos systèmes énergétiques
Le GIEC insiste ensuite sur l’importance de transformer nos systèmes énergétiques. Près de 75% des émissions de gaz à effet de serre mondiales sont liées à la production et à la consommation d’énergies (carburants, charbon, gaz, électricité, chaleur…), notamment parce que notre système énergétique est profondément dépendant des énergies fossiles.
L’urgence est donc de limiter l’usage de ces énergies polluantes. Pour se maintenir en dessous de 1.5 degré de réchauffement, il faudrait donc diminuer notre usage du charbon, du pétrole et du gaz d’environ 95, 60 et 45% respectivement d’ici 2050.
Pour cela, il faudrait mener deux chantiers de front. D’abord, il faut remplacer dès que c’est possible les énergies fossiles par des énergies bas carbone : nucléaire ou énergies renouvelables plutôt que centrales à charbon ou au gaz, biocarburants plutôt que carburants fossiles… En parallèle, il faut soutenir au maximum l’électrification des usages, c’est-à-dire remplacer les usages fossiles par des usages électriques (voiture électrique plutôt que thermique, par exemple, ou pompe à chaleur électrique plutôt que chaudière au gaz).
Les technologies bas carbone (énergies renouvelables, batteries, électrification) ont d’ailleurs vu leurs coûts baisser drastiquement : depuis 2010, les prix des technologies solaires et des batteries ont chuté de près de 85%. Pour intégrer ces nouvelles technologies à grande échelle, il faudra évidemment des aménagements techniques : réseaux intégrés, stockage de l’énergie, smart grids, vecteurs énergétiques comme l’hydrogène…
6 – Les villes et l’industrie doivent être moteurs de la transition climatique
Une partie du rapport du GIEC s’intéresse aussi au rôle de la ville dans la transition climatique. Les espaces urbains abritent aujourd’hui la majorité de la population mondiale et la plus grande part des émissions de CO2 mondiales sont liées à l’activité des villes. C’est aussi dans les villes que les potentialités de réduction de nos émissions sont les plus fortes. La rénovation des bâtiments, la transformation des politiques de mobilité urbaine, l’électrification des transports, la transition vers les mobilités bas carbone (transports en commun, marche, vélo) : tout cela est plus simple et plus pertinent dans les espaces urbains et péri-urbains, où la densité permet des économies d’échelle.
De façon analogue, l’industrie a un rôle crucial à jouer en matière de transition écologique. Accompagnés ou encadrés par la puissance publique, les secteurs industriels peuvent ainsi faire la transition vers les nouvelles technologies et les matériaux alternatifs, des processus bas carbone. Par exemple, la production d’acier pourrait être décarbonée grâce au recours à l’hydrogène. L’industrie peut aussi contribuer aux efforts de transition climatique en participant à la réduction de la surconsommation en se tournant vers des modèles plus vertueux : économie circulaire, économie de la fonctionnalité… Le GIEC met cependant en garde contre ces modèles, qui ne semblent pas pouvoir répondre au défi de la réduction de nos émissions sans recours parallèle à la sobriété.
7 – La gestion des espaces naturels sera au coeur de la neutralité carbone
Une grande partie du rapport s’attache aussi à mettre en lumière le rôle clé que peut jouer la gestion des espaces naturels dans la lutte contre le réchauffement climatique. Reforestation, préservation et entretien des puits de carbone, maintien des zones humides, transformation des pratiques agricoles et de la gestion des sols : toutes ces problématiques doivent être au coeur de la transition climatique et peuvent aider à absorber une partie du carbone excédentaire présent dans l’atmosphère.
Le GIEC prévient toutefois que ces pistes ne peuvent se substituer à des efforts globaux de réduction des émissions dans tous les autres secteurs, et que leur mise en place ne se fera pas sans transformations globales. Ainsi, la réduction de l’espace dédié aux cultures intensives (par exemple au profit de projets de reforestation ou de projets agro-écologiques) ne peut se faire qu’à condition de transformer globalement notre alimentation, et notamment de réduire notre consommation de produits animaux (première source d’occupation des espaces naturels).
8 – Le stockage du carbone sera indispensable
Le rapport du GIEC insiste également sur le fait qu’une partie des émissions de gaz à effet de serre seront difficiles ou impossibles à réduire directement. Pour compenser ces émissions résiduelles et atteindre malgré tout la neutralité carbone, il faudra donc recourir à des techniques de stockage du carbone. Ces techniques, qui peuvent-être « naturelles » (la reforestation par exemple) ou « artificielles » (comme la capture directe du carbone de l’air) devraient nous permettre d’absorber plusieurs centaines milliards de tonnes de CO2 au cours du prochain siècle, réduisant ainsi les risques de surchauffe de la machine climatique.
Seulement, la mise en place de ces techniques de stockage ne sera pas simple et surtout, elles ne représentent pas une solution miracle. D’abord, car le degré de maturité technique n’est pas toujours atteint pour les technologies de capture. De nombreuses questions les entourent encore : quel rendement ? Quelle faisabilité technique et commerciale ? Quels enjeux en termes d’impact écologique global, de disponibilité des ressources ? Concernant les méthodes naturelles, il y a des enjeux d’occupation des sols, de conflits d’usage.
Il faut donc prendre les solutions de stockage du carbone comme une piste complémentaire à la sobriété et à la transition climatique, et non comme la solution ultime au problème climatique.
9 – La transition devra être sociale et démocratique
Le rapport insiste également, comme le rapport du groupe 2 du GIEC, sur l’aspect « social » de la transition climatique. Tous les enjeux de la transition (transition énergétique, aménagement urbain, nouveaux modèles de consommation) ont en effet une forte dimension sociale, et impliquent de penser une transition « juste », permettant à chacun de s’engager dans la démarche. Par exemple, réduire l’usage de la voiture est indispensable pour lutter contre le réchauffement climatique, mais cela implique une vraie politique sociale : donner accès aux plus isolés aux transports en commun, réduire les inégalités pour donner à chacun les moyens d’accéder aux véhicules électriques lorsque c’est nécessaire. Il s’agit aussi de répartir l’effort de financement de la transition sur ceux qui disposent du plus de moyens, pour une transition juste susceptible de susciter l’adhésion.
Dans le même esprit, le GIEC insiste sur les changements de gouvernance nécessaires pour accomplir la transition écologique. Impliquer les différentes parties prenantes, du citoyen aux entreprises en passant par les collectivités territoriales et les acteurs de la société civile semble indispensable pour construire une transition cohérente et acceptée par tous.
10 – Agir maintenant est possible, rentable et aura de multiples bénéfices
Enfin, il y a un message clé à retenir de ce rapport, c’est que la lutte contre le réchauffement climatique est non seulement possible, nécessaire, mais aussi rentable à tous les niveaux. Si la transition va demander un certain nombre d’efforts et de gros investissements, le coût global de la lutte contre le réchauffement climatique sera nettement inférieur au coût des conséquences climatiques que nous aurons à gérer si nous ne faisons rien. Une bonne partie des technologies nécessaires à la baisse de nos émissions de CO2 existent déjà, à des coûts de plus en plus bas. Les dispositifs les plus innovants approchent du stade où ils seront commercialisables. Couplés à la transition vers de nouveaux modèles de société sous-tendus par des logiques de sobriété, ces aménagements pourraient nous permettre des baisses rapides d’émissions de CO2, grâce auxquelles on évitera de nombreuses catastrophes climatiques.
De plus, la lutte contre le réchauffement climatique est associée à un certain nombre de co-bénéfices sociaux, sanitaires et économiques : lutte contre la pollution de l’air, promotion de modes de consommation plus sains, création d’emplois stables dans des secteurs contribuant au développement, baisse des inégalités…
Tout indique que la transition climatique est non seulement faisable mais rentable et utile globalement. Seulement, pour mettre en oeuvre cette transition, il faut une volonté politique assumée et des mesures ambitieuses. Et voilà justement ce qui nous manque encore cruellement au sujet du réchauffement climatique.