Aura-t-on vraiment assez de lithium pour mettre en place le Plan Climat de Nicolas Hulot ? Pas si sûr. Il faudrait aller plus loin dans le changement de paradigme.

Avec son Plan Climat présenté le 6 juillet 2017, Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique annonce des mesures d’importance, dans le prolongement de la transition énergétique. Parmi les propositions : le passage massif aux énergies renouvelables, la fin des énergies fossiles, la diminution de la part du nucléaire, le passe à une mobilité électrique.

Si elles sont mises en place, toutes ces mesures auront un effet décisif sur l’empreinte environnementale de la France, elles permettront de diminuer nos émissions de CO2, de réduire la pollution de l’air, d’améliorer notre indépendance énergétique… Le problème, c’est que la mise en place de ces mesures pose un certain nombre de questions. Et parmi ces questions, une est particulièrement importante… et particulièrement sous estimée : la question du lithium.

Pourquoi la transition énergétique a besoin du lithium ?

Energie-Renouvelable-ProblemeL’ensemble du Plan Climat et globalement l’ensemble des mesures misant sur la transition énergétique dépendent du lithium. Le déploiement des énergies renouvelables par exemple, ne peut pas se faire sans lithium. En effet, les énergies renouvelables ont un désavantage majeur : elles sont intermittentes, c’est à dire qu’elles ne fonctionnent pas en permanence. Le solaire par exemple, ne produit que quand il y a du soleil (jusque là, tout va bien). Le problème c’est que la consommation électrique de la France est à son pic… quand il n’y a pas de soleil : l’hiver (à cause du chauffage) et le soir (à cause du besoin de lumière et du fait que c’est le soir que l’on cuisine / regarde la télévision / consomme de l’électricité à la maison). De la même manière, l’éolien ne produit pas tout le temps. Si l’on passe aux énergies renouvelables, on aura donc besoin d’une capacité de stockage de l’énergie afin de stocker quand la production est haute pour consommer selon nos besoins. Pour l’heure, stocker l’électricité est quelque chose de complexe : les batteries existantes (qui fonctionnent avec du lithium) ne sont pas assez puissantes et résistantes à la décharge pour permettre de stocker de grandes quantités d’énergie. Mais la technologie progresse vite et il se peut qu’à l’avenir on parvienne à stocker de mieux en mieux des quantités de plus importantes d’électricité. Quoi qu’il en soit, si l’on passe au renouvelable et si l’on parvient à parfaire les techniques de stockage, il nous faudra des batteries (donc du lithium).

De la même façon, interdire les véhicules à essence ou les véhicules diesel signifie qu’il va falloir passer à des véhicules… électriques. Et donc, nous aurons besoin de batteries pour ces voitures. Donc de lithium. En fait, sans lithium, la transition écologique telle qu’elle est actuellement conçue ne pourra pas exister.

Quelles sont les réserves mondiales de lithium ?

Se pose donc la question suivante : aurons-nous assez de lithium ? Le lithium, c’est un métal alcalin que l’on retrouve un peu partout sur terre (dans la croûte terrestre, dans l’eau…). Théoriquement on retrouve l’élément chimique « lithium » de façon assez abondante sur la terre. Néanmoins du fait de ses qualités chimiques et physiques particulière il n’est souvent pas présent sous des formes exploitables. Le plus souvent, sur terre, on trouve du lithium exploitable dans des roches, des argiles ou des saumures. Il faut ensuite procéder à des transformations chimiques type électrolyse afin d’obtenir du lithium utilisable pour faire des batteries.

L’USGS (United States Geological Survey), un organisme chargé de faire l’exploration et l’évaluation des ressources géologiques et minières a estimé en 2016 que les « réserves » mondiales de lithium s’élevaient à environ 14 millions de tonnes. Toutefois, les « réserves », ne représentent pas la quantité de ressource totale disponible sur la terre. Les réserves, c’est la quantité de ressource disponible ET exploitable compte tenu des conditions actuelles (économiques et techniques). En ce qui concerne les ressources globales (c’est à dire la quantité de lithium identifiée sur la terre), l’USGS les estime à environ 40 millions de tonnes. Il aurait donc 14 millions de tonnes exploitables actuellement (techniquement et économiquement) plus 26 millions de tonnes que l’on pourra peut-être exploiter un jour (quand on aura trouvé de nouvelles technologies, ou que ça sera devenu plus rentable), pour 40 millions au total.

14 millions de réserves et 40 millions de ressources, cela peut sembler énorme, surtout quand on sait que l’on consomme environ 40 000 tonnes par an sur l’ensemble de la planète. L’USGS estime ainsi qu’il y aurait environ 365 années de réserves et plus de 1000 ans de ressources (si tant est que l’on puisse les exploiter). Cela donc laisse du temps… En apparence !

Nos réserves de lithium seront-elles suffisantes ?

véhicules électriques écologiquesLe problème, c’est que ces estimations ne prennent justement pas en compte l’augmentation de nos besoins en lithium. En effet, si nous faisons la transition énergétique prévue dans le Plan Climat (et que l’ensemble du monde suit notre exemple), il faudra largement augmenter la production mondiale de batteries au lithium : à la fois pour les voitures, mais aussi pour rendre opérationnelle la transition énergétique en équipant les territoires voire les maisons. Compte tenu de l’augmentation de la consommation mondiale de high tech, il faudra aussi augmenter la production de batteries pour les téléphones, pour les ordinateurs et les autres produits technologiques. Il faudra donc, obligatoirement, augmenter notre consommation de lithium. Mais dans quel ordre de grandeur ?

C’est une projection difficile à faire car il est difficile de prévoir réellement comment vont évoluer les modes de consommation et nos technologies. Mais à partir de quelques hypothèses on peut donner une tendance.

  • En 2016 dans le monde il s’est vendu 2 millions de voitures électriques, ce qui représente environ 2.3% des 90 millions de voitures qui se sont vendues dans le monde. Si une bonne partie de la planète suit l’exemple de la France sur la vente de véhicules essence / diesel, cela signifie qu’en 2040, les ventes de voitures électriques vont devoir très largement augmenter, et qu’elles atteindront probablement 40, 50 voire 80 millions de voitures vendues par an (sachant que les ventes de voiture globales vont de toute façon augmenter). Les estimations conservatrices estiment qu’en 2040 il y aura déjà 530 millions de véhicules électriques dans le monde (soit entre 150 et 200 fois plus qu’aujourd’hui).
  • Dans le même temps, les études récentes estiment que d’ici 2040, 35% de l’électricité mondiale proviendra du renouvelable intermittent (éolien et solaire), ce qui signifie qu’il faudra augmenter sensiblement nos besoins en capacités de stockage et de charge statique (en équipant les maisons et les infrastructures). Aujourd’hui, le renouvelable intermittent représente seulement 2.2% de la production électrique.
  • Si nous restons sur les mêmes schémas de consommation qu’actuellement, il faudra aussi augmenter notre consommation de batteries pour les téléphones : les estimations laissent penser qu’il se vendra entre 2.4 et 3.5 milliards de smartphones par an dans le monde en 2040.

Au total, les analyses estiment que la capacité de stockage par batteries sera multipliée par au moins 25 d’ici les 12 prochaines années. Il est prévu que le marché des batteries de stockage d’électricité atteigne 250 milliards de dollars en 2040 (10 fois plus qu’aujourd’hui) tout en subissant une baisse de prix de 73%. Cela signifie que la production et les ventes de batteries devraient être multipliées par 40 à 50 (et cette estimation ne tient pas compte du boom des objets connectés et autre produits high tech qui vont eux aussi, nécessiter des batteries).

Or actuellement, près de 35% du lithium produit sur la planète sert à fabriquer des batteries. Cela représente donc grosso modo 15 000 tonnes par an. Si l’on multiplie ce chiffre par 50, on se retrouve à 750 000 tonnes par an. Ramenée aux 14 millions de tonnes de réserves actuelles, cela représente environ 18 ans de consommation. Et par rapport aux 40 millions de tonnes de ressources, un peu plus de 53 ans de consommation (et cela sans compter tout ce que l’on aura consommé entre aujourd’hui et 2040). En résumé : si on est optimiste, on peut estimer que nous avons assez de lithium pour soutenir notre développement jusqu’à 2075-2080. Une analyse menée par Green Tech Media tombe à peu près sur les mêmes chiffres : 16 ans de réserves à partir du point de maturité du marché des batteries, un peu moins de 50 ans de ressources.

Mais alors comment faire sans réserves de lithium ?

ville sans voiture véloOn peut donc s’interroger. Quel est le sens de produire et d’organiser une transition énergétique dont la viabilité ne sera effective qu’une trentaine d’années ? Faut-il vraiment transformer toutes nos infrastructures, tout notre réseau électrique et fonder globalement toute notre organisation économique et sociale sur un modèle technologique qui sera obsolète au bout de 30 ans ?

Il faut garder à l’esprit qu' »en théorie » tout n’est pas perdu. En effet, il est toujours possible en théorie que l’on découvre plus de réserves et de ressources. Il est aussi possible en théorie que l’on découvre une technologie capable d’extraire le lithium de milieux où il n’est pas exploitable car présent dans des quantités trop faibles. Néanmoins, rien de tout cela n’est sûr, très loin de là. Baser la transformation de notre modèle énergétique sur l’idée que peut-être, un jour, avec un peu de chance, une technologie pourra nous sauver peut s’avérer être une décision très risquée. Peut-être aussi que l’on trouvera de nouvelles technologies pour stocker l’énergie, comme les piles au sodium sur lesquelles travaillent le CNRS depuis quelques années (et qui ont pour l’instant un rendement très faible). Mais encore une fois, c’est un pari sur l’avenir et nous n’avons absolument aucune garantie.

Il faut également noter qu’il sera certainement possible de recycler au moins partiellement les batteries. En fait, actuellement il est déjà possible de recycler le lithium des batteries lithium-ion avec des taux de conservations élevés. Cependant les processus de recyclage sont extrêmement lourds et demandent énormément de ressources et d’énergie et ils ne sont pas rentables économiquement. De ce fait, aucun acteurs ne l’a pour l’instant mis en place, à l’exception de l’entreprise belge Umicore ou de la canadienne Toxco et de quelques autres, à petite échelle. À grande échelle, il n’est toutefois pas certain que ce soit intéressant sur le plan environnemental, compte tenu des contraintes en ressources et en énergie.

Mais si l’on souhaite faire une transition énergétique et écologique durable, sans épuiser nos réserves de lithium, il y a malgré tout des solutions envisageables. D’abord, celles de réduire nos besoins en transports. Les estimations actuelles tiennent compte d’un marché où nous continuerions à avoir les mêmes comportements de transport, basé sur la voiture individuelle et sur des déplacements permanents. Mais si l’on imagine un modèle basé sur les transports en commun et sur la réduction maximum des déplacements (grâce notamment au télétravail, à la réhabilitation des commerces de proximité, et à de nouvelles formes d’habitat et d’urbanisation), on pourra grandement limiter le nombre de véhicules (et donc de batteries) nécessaires. De la même façon, si nous renonçons à changer tous les ans voire plus notre téléphone ou notre ordinateur pour la dernière version en date, et que les constructeurs assument leur part d’efforts dans l’économie de la fonctionnalité, l’économie circulaire et la fin de l’obsolescence programmée, nous limiterons le nombre de batteries nécessaires. Enfin, si nous apprenons à vivre une vie plus sobre énergétiquement, basée sur la réduction de nos consommations et l’optimisation des usages, nous pourrons réduire nos besoins en énergie (et donc en stockage).

Aura-t-on assez de lithium ? Si l’on ne change pas de modèle économique et social, qu’on ne transforme pas nos habitudes de consommation pour tendre vers un modèle plus sobre, cela semble peu probable. Les ressources de la planète ne sont pas illimitées, pas plus celles qui servent aux énergies renouvelables que celles qui servent aux énergies fossiles. Pourtant, cette réalité semble complètement ignorée par tous les discours politiques sur le sujet de la transition énergétique, et il serait peut-être temps d’y faire face.

Crédit image : Nicolas Hulot par Frédéric Legrand – COMEO