Y’a-t-il des pesticides dans l’agriculture bio ? Les pesticides sont-ils autorisés dans la bio ? Les produits utilisés en agriculture bio sont-ils bon pour la santé ou l’environnement ? Décryptage.
Article mis à jour le 4 avril 2023
La question des pesticides suscite de nombreux débats et interrogations. Parmi ces questions, celle des pesticides dits « bio » revient régulièrement. Les pesticides sont-ils autorisés en agriculture bio ? Quelle différence entre les pesticides d’origine naturelle, biologiques, et les pesticides utilisés en agriculture conventionnelle, les pesticides chimiques ? Sont-ils plus ou moins dangereux ?
Il y a énormément de confusion qui entoure cette question : certains défendent que les pesticides sont totalement interdits en bio alors que d’autres expliquent que certains sont autorisés. D’autres encore affirment que les pesticides autorisés en agriculture biologique existent mais sont différents des pesticides utilisés en agriculture conventionnelle. Alors qu’en est-il vraiment ?
Voir aussi : Pesticides : définition et exemples, dangers…
Oui, l’agriculture biologique utilise des pesticides
L’idée que l’agriculture biologique n’utilise pas de pesticides du tout est assez répandue, mais c’est en fait une idée reçue. En réalité, l’agriculture biologique utilise bien des pesticides. Une centaine d’engrais et d’intrants (pesticides, insecticides ou fongicides) sont autorisés par la réglementation de l’agriculture bio en France et en Europe. On trouve la liste des intrants et pesticides autorisés en agriculture biologique dans le Règlement (CE) n° 889/2008 de la Commission Européenne. Parmi cette liste on trouve des matières comme les composts et les fumiers qui sont considérés comme des intrants, mais aussi des intrants ou pesticides comme le phosphate aluminocalcique, le sulfate de magnésium, le chlorure de sodium, le polysulfure de calcium, le sulfate de cuivre et bien d’autres. Sur 68.000 tonnes de produits phytosanitaires vendus en France, environ 27% sont autorisées pour l’agriculture bio.
La principale différence avec les intrants utilisés dans l’agriculture conventionnelle c’est que ceux que l’on utilise en agriculture biologique doivent être « d’origine végétale, animale, microbienne ou minérale, sauf si des produits ou des substances provenant de ces sources ne sont pas disponibles en quantité ou en qualité suffisante ou s’il n’existe pas d’autre solution » (en vertu de l’article 16 paragraphe 2, point b), du règlement (CE) no 834/2007). En résumé, cela veut dire que si les molécules utilisées en agriculture conventionnelle peuvent-être entièrement synthétisées en laboratoire, celles utilisées en agriculture bio doivent être produites à partir de matières « d’origine naturelle ». Mais attention, qu’une matière soit d’origine naturelle ne veut pas dire qu’elle ne soit pas toxique, ou chimique.
Les pesticides autorisés en agriculture biologique sont-ils dangereux ?
Certains pesticides sont donc autorisés en agriculture biologique, à condition qu’ils soient produits à partir d’éléments d' »origine naturelle ». Mais cela ne dit pas si ces pesticides sont dangereux, ou s’ils sont plus sûrs (ou moins sûrs) que les pesticides de synthèse utilisés en agriculture conventionnelle.
Or, il est malheureusement impossible de donner une réponse simple à cette question. Chaque pesticide, fongicide ou insecticide a des usages et des degrés de toxicités différents, qu’ils soient autorisés en agriculture biologique ou en agriculture conventionnelle. D’une manière générale, qu’ils soient d’origine naturelle ou de synthèse, les pesticides restent des matières toxiques, avec des substances actives qui peuvent affecter la santé et l’environnement. Il est donc nécessaire de prendre un certain nombre de précautions quand on les utilise.
Les agences de santé ou les institutions d’homologation des pesticides tendent généralement à considérer que les pesticides (naturels ou non) sont relativement sûrs tant que l’on respecte les précautions d’utilisation. Mais ces mêmes institutions tendent aussi à considérer qu’il est préférable de réduire dès que possible l’usage des pesticides. Il faut donc faire en quelque sorte une analyse bénéfice risque : évaluer les bénéfices (par exemple en matière de productivité agricole) et les comparer au risque sanitaire ou écologique associé, et ce, globalement et pour chaque produit.
Pesticides bio : meilleurs pour la santé ?
Dans le cas du sulfate de cuivre par exemple, ou de la bouillie bordelaise (sulfate de cuivre + chaux, largement utilisé en agriculture biologique), pesticides « biologiques », l’ANSES a rendu un avis global concluant à sa faible toxicité : « Considérant les données disponibles relatives aux résidus et celles liées aux usages évalués, le risque chronique pour le consommateur est donc considéré comme acceptable. » Toutefois l’institution précise certains dangers, par exemple :
- « Pour les usages d’arboriculture suivants : abricotier, cerisier, noisetier, olivier, pêcher, poirier, pommier et prunier (1,25 g Cu/L) et noyer (0.7-1 g Cu/L), un risque inacceptable pour les opérateurs et/ou travailleurs est observé. »
- « Le nombre d’application doit être réduit pour certains usages pour ne pas dépasser les doses annuelles aboutissant à des risques inacceptables pour les organismes aquatiques. «
Cela montre que même un pesticide dit « d’origine naturelle » peut avoir des effets néfastes, sur l’environnement ou sur la santé, en fonction des doses utilisées ou des contextes. Autrement dit, les pesticides autorisés en agriculture biologique, même s’ils sont d’origine naturelle, peuvent-être dangereux. Par exemple, la roténone, pesticide biologique largement utilisé en bio dans le passé a fini par être interdit en 2011 suite à des suspicions de risque liés à la Maladie de Parkinson.
Les pesticides biologiques sont-ils meilleurs pour l’environnement ou la santé ?
La problématique est la même en ce qui concerne l’impact environnemental des pesticides utilisés en agriculture biologique : ce n’est pas parce qu’un pesticide est « biologique » ou « d’origine naturelle » qu’il est obligatoirement meilleur pour l’environnement. Comme le montre l’exemple du sulfate de cuivre, un pesticide biologique peut très bien avoir des impacts négatifs sur les écosystèmes : dans le cas de la bouillie bordelaise, l’ANSES concluait même à « un risque inacceptable pour les organismes aquatiques ».
Le spinosad, un insecticide « naturel » autorisé en bio est un autre exemple de pesticide biologique dont les effets environnementaux peuvent-être négatifs : il est en effet reconnu comme un insecticide très toxique pour les pollinisateurs (abeilles et autres).
Une étude menée par l’Université de Guelph a par ailleurs montré que dans certains cas, l’usage de pesticides « naturels » ou « biologiques » pouvait se révéler plus nocif pour l’environnement que l’usage d’un pesticide de synthèse. En effet, parfois les pesticides biologiques ont une action moins précise et moins efficace qu’un pesticide chimique équivalent. Résultat, il faut en utiliser plus pour le même résultat, et son action peut avoir un impact négatif sur d’autres organismes ou d’autres aspects de l’écosystème. Mais d’un autre côté, la littérature scientifique récente montre aussi que dans l’ensemble, les pesticides dits d’origine naturelle, ou biologiques, sont moins nocifs pour l’environnement ou pour la santé que leurs équivalents conventionnels, comme le confirme notamment une étude publiée en 2022 dans la revue scientifique Toxics.
Retrouve-t-on des traces de pesticide dans les aliments cultivés en agriculture biologique ?
Il est donc important de noter qu’un aliment cultivé en agriculture biologique n’est pas la garantie de ne pas consommer de pesticides. Ainsi, dans une étude sur près de 80 produits bio, 60 Millions de consommateurs a mis en évidence qu’on retrouve des traces de pesticides dans les aliments bio. Certains (un peu moins de 10%) dépassent même les limites légales du cahier des charges bio.
D’autres études ont mis en évidence que certains produits bio contiennent même des résidus de pesticides de synthèse : cela peut arriver si l’épandage dans un champ voisin contamine les cultures bio, par exemple.
Mais globalement, les produits issus de l’agriculture biologique font mieux que les produits issus de l’agriculture conventionnelle sur la question des résidus de pesticides. D’après un rapport de l’EFSA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments) 98.7% des produits bio respectaient les limites légales en matière de résidus de pesticides contre seulement 96.2% des produits conventionnels. D’autre part, 83% des produits bio contenaient des résidus de pesticides inférieurs à la « limite de quantification » (c’est-à-dire quasiment indétectable) contre seulement 50% des produits conventionnels. Ce qui peut expliquer ces faibles taux de résidus de pesticides dans le bio, c’est le cahier des charges : l’agriculture bio impose de limiter les traitements au maximum, de ne les utiliser qu’en dernier recours. Concernant des produits toxiques comme le sulfate de cuivre, elle limite aussi la quantité utilisée par an : 6 kg par an et par hectare. Tout cela permet de réduire les usages et donc les résidus.
Il y a donc bien des pesticides autorisés en agriculture biologique, mais ce sont des pesticides « d’origine naturelle », différents des pesticides utilisés en agriculture conventionnelle. Ces pesticides « d’origine naturelle » ne sont pas sans risque, mais les études tendent tout de même à montrer qu’ils pourraient être moins persistants dans l’environnement que les pesticides chimiques, et également moins risqués sur le plan sanitaire et écologique. De plus, l’agriculture bio, grâce à un cahier des charges plus exigeant est généralement meilleure sur la question des résidus de pesticide : les produits bio contiennent moins de résidus de pesticides que les produits conventionnels, même s’ils en contiennent eux-aussi. Vous savez tout !
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