Environ un tiers des émissions totales de gaz à effet de serre sont liées à l’alimentation, de la production au consommateur final. Compte tenu de l’évolution démographique et de l’évolution des comportements alimentaires dans le monde, les émissions de GES liées à l’alimentation risquent d’être multipliées par trois (+187 %) d’ici 2050.
À quoi ces émissions sont-elles liées ? Et surtout, comment les réduire ?
Les sources d’émission de gaz à effet de serre de l’alimentation
Chaque année, le système alimentaire mondial génère entre 10,8 GteqCO2 et 18,1 GteqCO2, soit entre 22 et 37% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la planète d’après une revue de littérature réalisée par le think tank français Institute for Climate Economics (I4CE) en 2019. Cette notion de système alimentaire comprend les activités liées à la production, à la transformation, à la distribution et à la consommation des aliments. Essayons de comprendre l’empreinte carbone de l’alimentation, en prenant en compte les différentes étapes de la chaîne alimentaire.
Les émissions générées par la production alimentaire
L’essentiel des émissions liées à l’alimentation provient de la phase de production de la nourriture, et sont liées à la production agricole et au changement d’affectation des terres.
La production agricole
Les activités agricoles génèrent l’émission de gaz à effet de serre, dont le méthane, essentiellement en raison de l’élevage de bétail. Ce gaz a un pouvoir de réchauffement global 28 fois plus élevé en moyenne que le CO2 à quantité égale sur une période de 100 ans selon le GIEC.
Ce sont surtout la fermentation entérique et la gestion des déjections animales qui produisent d’importantes quantités de ce gaz. La fermentation entérique désigne le processus digestif des herbivores, par lequel les aliments sont décomposés par des micro-organismes en simples molécules destinées à être absorbée dans le sang. Ce processus génère du méthane, en plus ou moins grande quantité selon les animaux (les bovins sont ceux qui en libèrent le plus), qui est libéré dans l’atmosphère par éructation essentiellement (rots). Du méthane est aussi émis au cours du processus de décomposition des déjections animales en condition anaérobie, c’est-à-dire en l’absence d’oxygène. C’est souvent le cas dans les élevages intensifs, où les déjections animales sont stockées et traitées dans ces conditions.
Les engrais représentent également une source importante d’émission de GES dans le secteur de l’agriculture. En effet, une partie des engrais azotés minéraux et organiques épandue sur les sols s’échappe sous forme de protoxyde d’azote. Ce dernier est un gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant sur 100 ans 310 fois supérieur au dioxyde de carbone pour une même quantité.
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Enfin, l’utilisation d’énergies fossiles pour faire fonctionner les engins agricoles, pour l’irrigation, etc, génère des émissions de dioxyde de carbone (CO2).
Le changement d’affectation des sols
Lorsque des terres naturelles, telles que des forêts ou des tourbières, sont converties en terres agricoles, cela entraîne souvent la libération du carbone stocké dans la biomasse et les sols. Le mécanisme de la photosynthèse, qui désigne le processus par lequel les plantes, y compris les arbres, utilisent la lumière du soleil pour convertir le dioxyde de carbone (CO2) en oxygène (O2) participe à un équilibre écologique. Or, la déforestation, souvent pratiquée pour convertir des espaces naturels en terres agricoles, perturbe dangereusement cet équilibre comme le souligne cette étude publiée dans la revue Science et contribue aux émissions de dioxyde de carbone. D’après le rapport sur l’état mondial des forêts publié par la FAO en 2016, 80% de la déforestation est liée à l’agriculture.
Les émissions post-production et post-vente
Les émissions générées par les étapes de post-production et de post-vente sont relativement limitées.
Durant la phase post-production, l’étude menée par I4CE identifie quatre postes d’émission de GES. Premièrement, la phase de transformation des produits, s’ils ne sont pas vendus bruts, implique l’utilisation d’énergie pour faire fonctionner les appareils industriels afin de préparer et cuire les aliments par exemple.
Deuxièmement, la fabrication d’emballages et le conditionnement des produits pour la vente génère une fois de plus des émissions.
Vient ensuite la phase de transport des produits alimentaires du lieu de production à celui de la vente. Elle inclut les émissions provenant du carburant utilisé par les véhicules de transport, qu’ils soient terrestres, maritimes ou aériens. Les émissions dépendent de la distance parcourue, du mode de transport et de l’efficacité énergétique des véhicules.
Enfin, l’énergie utilisée dans les points de vente, tels que les supermarchés, peut contribuer aux émissions. Cela inclut l’électricité pour l’éclairage, la climatisation, les systèmes de réfrigération, etc.
Concernant la phase post-vente, les émissions proviennent de la gestion des déchets alimentaires (par exemple, la décomposition anaérobie des déchets alimentaires dans les sites d’enfouissement génère du méthane, un puissant gaz à effet de serre), mais surtout du gaspillage. Lorsque les aliments sont produits mais non consommés, toutes les émissions associées à leur production, transformation et transport deviennent inutiles.
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Des études ont montré que les changement de comportements alimentaires avaient un potentiel de réduction des émissions supérieur à des scénarios probables de progrès techniques (amélioration des rendements agricoles, technologies de réduction des GES issus des bovins, nouvelles machines de production…). Des changements de pratiques alimentaires de la part des populations ayant accès à une quantité suffisante de nourriture représente donc le moyen le plus efficace pour réduire l’empreinte GES de la consommation alimentaire mondiale.
Réduire la consommation des produits de l’élevage terrestre
Toujours selon l’étude de l’I4CE, environ les deux tiers des émissions de l’alimentation proviennent des produits de l’élevage terrestre (viande, laitages et œufs). Plus de la moitié des émissions de l’élevage est directement générée par le bétail (fermentation entérique et déjections), tandis que le reste provient des changements d’affectation des terres et de la production de l’alimentation animale.
La part des produits de l’élevage dans les émissions de l’alimentation est très susceptible d’augmenter encore davantage. La consommation de viande a déjà presque doublé dans le monde en cinquante ans (1961-2011), expliquent les auteurs de l’étude de l’I4CE, cette augmentation est principalement tirée par les pays en développement, où une forme de rattrapage est constatée. Avec l’amélioration du niveau de vie, on observe une hausse de la quantité totale de nourriture disponible et une substitution progressive des produits de base (tubercules, céréales) par des produits plus coûteux (produits de l’élevage, produits transformés, etc.).
C’est néanmoins dans les pays les plus développés que l’on consomme le plus de produits issus de l’élevage terrestre : 300kg/an contre moins de 70 kg/an en Afrique subsaharienne et en
Asie du Sud et du Sud Est.
Par ailleurs, l’étude indique que l’adoption globale d’un régime flexitarien permettrait de diviser par deux la hausse attendue des émissions de GES liées à l’alimentation d’ici 2050 (+90 % au lieu de 187 %).
Réduire le gaspillage alimentaire
Jusqu’à présent, les travaux de recherche et les politiques publiques étaient principalement focalisés sur la modification des processus de production agricole afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
Pourtant, diviser par deux le gaspillage alimentaire des consommateurs permettrait de réduire de 5 % les émissions de GES de la planète selon l’étude. Le rapport spécial du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C, abonde également en ce sens. L’évolution des régimes alimentaires vers une alimentation moins carnée alliée à la diminution des pertes et du gaspillage de nourriture réduit les émissions de GES. De plus, cela génèrerait d’importants co-avantages sur le plan de la sécurité alimentaire, de la santé humaine, de la réduction de la souffrance animale et du développement durable.
Consommer davantage de produits peu transformés, sans emballage, de saison et non importés par avion
Ces actions permettraient de réduire les émissions, mais avec un potentiel moins important. Par exemple, concernant les plats préparés, le potentiel de réduction des émissions le plus important se trouve davantage dans la composition de ces plats (le ratio produits d’origine animale / végétale) que dans la réduction des emballages ou l’optimisation des procédés de transformation.
L’empreinte carbone des produits végétaux est également influencée par leur saisonnalité. Toutes choses égales par ailleurs, un fruit ou un légume consommé en France, produit en dehors de sa saison naturelle et cultivé sous serre chauffée émettrait 6 à 9 fois plus de gaz à effet de serre par rapport à un fruit ou légume similaire produit en saison.
Enfin, consommer local n’est pas toujours moins émetteur que consommer des produits importés, notamment en raison des économies d’échelles réalisées dans la logistique des circuits « longs ». Il faut néanmoins prendre en compte le mode de transport utilisé pour importer les produits, l’avion étant de loin le mode de transport le plus polluant.
La réduction des produits issus de l’élevage représente un potentiel considérable pour diminuer les émissions de GES liées à l’alimentation. Pour cela, il est possible d’agir d’une part sur la consommation. L’adoption d’un régime flexitarien, végétarien ou même végétalien, ou encore l’évolution des recommandations nutritionnelles dans une démarche incitative s’inscrivent dans cette logique.
D’autre part, on peut agir sur la production. Un rapport de la FAO publié le 8 décembre 2023 esquisse des solutions pour réduire les émissions liées à l’élevage tout en répondant à la demande. Par exemple, l’ajout d’additifs à l’alimentation du bétail permettrait de réduire les émissions de méthane.
La question de la transition des systèmes alimentaires s’est en tous cas invitée à la COP 28 de Dubaï. 159 pays ont signé une déclaration d’engagement à diminuer les émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation. Les secteurs agricole et alimentaire devraient dorénavant être pris en compte dans les engagements de chaque pays pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris de 2015.
Photo de David Dolenc sur Unsplash.