Démographie et écologie : voilà un sujet complexe, parfois tabou, qui mérite qu’on s’y attarde un peu pour comprendre les enjeux.
Lorsque l’on parle de protection de l’environnement, on pense spontanément énergies renouvelables, zones naturelles protégées, réduction des émissions de gaz à effet de serre, recyclage ou économie circulaire.
On pense en revanche beaucoup moins à la question de la population. Pourtant, notre impact sur l’environnement est entièrement dépendant de la taille de la population humaine. C’est logique : plus nous sommes nombreux, plus nous avons un impact fort sur l’environnement. Mais alors, quels sont les liens entre démographie et écologie ? Faut-il réduire la population mondiale pour faire face à la transition écologique ? Que faut-il savoir sur ces sujets complexes ?
Démographie et écologie : une équation complexe
Notre mode de vie dégrade l’environnement, c’est une certitude. Nous polluons trop, nous produisons trop de déchets, nous consommons trop de ressources. Mais si cela est devenu dangereux et préoccupant pour l’avenir des écosystèmes mondiaux, c’est aussi parce que nous sommes très nombreux à trop consommer, à polluer et à produire des déchets. Comme nous sommes près de 8 millards d’habitants sur la planète, si nous avons tous un mode de vie très consommateur, forcément cela a un impact gigantesque sur l’environnement. Pour le dire de façon très schématique, si la planète et ses ressources sont un gâteau que l’on doit se partager, plus nous sommes nombreux, plus vite le gâteau risque de s’épuiser rapidement.
Plus nous sommes nombreux, plus notre pression écologique augmente, ce qui fait de la démographie une question écologique essentielle. Mais une fois que l’on a dit ça, on a pas dit grand chose. Car dans les faits, toutes les populations n’ont pas le même impact sur la planète. Un milliardaire se déplaçant toutes les semaines en jet privé ou passant ses vacances en yacht a un impact environnemental infiniment plus grand qu’un habitant moyen d’un pays en développement, par exemple.
L’équation « démographie – écologie » n’est donc pas seulement une questions de nombres : elle est aussi profondément liée à nos modes de vie.
Démographie, écologie et inégalités
Il faut ainsi bien comprendre qu’une minorité d’individus, souvent les plus riches, sont responsables de la grande majorité des émissions de CO2 sur la planète, mais aussi de la majorité des impacts environnementaux en général.
Les estimations les plus récentes montrent ainsi que les 10% les plus riches dans le monde sont responsables de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre. De la même manière, les 20% les plus riches consomment près de 60% de l’énergie produite dans le monde. Inversement, les 50% les plus pauvres ne sont à l’origine que de 12 à 15% des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont aussi les plus riches qui consomment l’écrasante majorité des ressources mondiales, car ils consomment plus de produits polluants : véhicules, produits high-tech, produits d’origine animale…
De ce fait, la croissance démographique n’a pas le même effet sur l’environnement selon les populations que l’on regarde. La croissance démographique aux Etats-Unis ou en France par exemple, aura plus d’impacts sur l’environnement qu’au Niger ou en Chine compte tenu des modes de vie de ces différent pays. C’est logique : un citoyen américain moyen consomme 5 fois plus qu’un Chinois, 30 fois plus qu’un Indien ou 100 fois plus qu’un Nigérien.
Démographie ou mode de vie ? Deux enjeux écologiques profondément liés
Au fond, cela illustre que nos enjeux écologiques sont tout à la fois une question de démographie (une question de nombre) et, surtout, une question de mode de vie (comment ce nombre consomme et produit). Ainsi, lorsque l’on regarde les différentes études menées sur la question de savoir combien d’être humains notre planète peut soutenir de façon durable, les réponses vont de 2 milliards à plus de cent milliards, une étude proposant même un chiffre de 1 000 milliards d’habitants. Le problème, c’est que chacune de ces études se base sur des hypothèses de modes de vie et d’impacts environnementaux différents.
Ainsi, on sait d’ores et déjà que notre planète ne suffira pas à soutenir plus de 1.7 milliards d’habitants si tout le monde adoptait le mode de vie occidental actuel, très énergivore et très consommateur. En revanche, si toute la planète polluait autant qu’un chinois moyen, la planète pourrait supporter 7 milliards d’individus et si tout le monde adoptait un mode de vie aussi polluant que le mode de vie indien, ce chiffre passerait à plus de 13 milliards. Par comparaison, si tout le monde polluait autant qu’un français nous ne pourrions être que 2.8 milliards.
Pour résumer, on pourrait dire que ce n’est pas tant le nombre d’individus qui compte que la façon dont ils produisent et consomment. Et quoi qu’il en soit, une donnée est claire, et elle est rappelée dans les derniers rapports du GIEC, c’est qu’il est aujourd’hui impossible de conserver nos modes de production et nos modes de vie sans dégrader profondément notre environnement.
Prendre en compte la démographie dans la transition écologique ?
Cela signifie-t-il qu’il ne faut pas s’inquiéter des questions démographiques lorsque l’on parle de la transition écologique ? Évidemment, ce n’est pas si simple. Car si la croissance démographique se poursuit à un rythme trop élevé, il sera, quoi qu’il en soit, difficile ne pas franchir les limites planétaires.
Il faut donc s’intéresser aux questions démographiques lorsque l’on s’intéresse aux questions écologiques. Mais ces sujets sont complexes et on ne peut pas se contenter de discours simplificateurs pour décrypter une problématique aussi complexe que la transition démographique. Or, ce sont souvent des postures caricaturales qui s’expriment dans l’espace public lorsque l’on parle de démographie et d’écologie.
Par exemple, une étude publiée dans les Lettres de la Recherche Environnementale par l’Université suédoise de Lund, affirmait que réduire la taille des familles est ainsi sans équivoque le moyen le plus efficace de réduire l’empreinte carbone et écologique mondiale. Si ce chiffre est plutôt faux et simpliste (voir à ce sujet notre article : Faire un enfant de moins est-il le geste le plus écologique ?), il cache une logique qui, elle, est plutôt vraie : si la taille des familles augmente, la taille de la population (et donc son impact environnemental) augmente aussi. Suite à cet article, de nombreux débats ont eu lieu dans les médias, remettant la démographie au coeur de l’actualité.
Ne pas simplifier le débat écologie – démographie
Mais ce débat sur la démographie est souvent trompeur, voire hypocrite. En France par exemple, chaque année, la publication du taux de natalité suscite la controverse. La plupart des politiques s’inquiètent ainsi de la baisse des naissances (comme Eric Ciotti en 2015), d’autres se félicitent quand le taux de natalité augmente. Régulièrement, la croissance démographique est présenté comme « une arme », une qualité ou un atout pour notre pays. Encore aujourd’hui en France, il existe une « Prestation d’accueil du Jeune Enfant » (PAJE) qui fournit aux jeunes parents un certain nombre de primes financières au moment de la naissance d’un bébé, le tout afin d’encourager les familles à avoir des enfants et si possible assez d’enfants pour que la population continue à augmenter. Pour les retraites, la croissance, la compétitivité, on dit qu’il faut faire des enfants.
Tout se passe donc comme si la croissance démographique était le pré-requis non négociable d’une société en bonne santé. Et pour cause : la croissance de la population est l’une des manières de s’assurer que la croissance économique persiste. Or dans le même temps, on pointe souvent du doigt, pour des raisons écologiques, les pays en développement qui ont des taux de natalité élevés, et ce, alors que ces pays polluent nettement moins que la France. Un débat stérile, qui n’accouche de rien d’autres que des polémiques, car, de toute manière, les évolutions démographiques ne se décrètent pas comme ça.
Comment agir pour une démographie soutenable et écologique ?
Les évolutions démographiques dans un pays résultent en effet de nombreux facteurs, parmi lesquels le niveau de développement du pays, le degré d’autonomie des femmes (notamment dans leur usage de la contraception ou leur accès à la santé, leur niveau d’éducation), le niveau de richesses des populations… Les études montrent que les mesures mises en place par les gouvernements (que ce soit des aides pour favoriser la natalité, ou des politiques contraignantes comme la politique de l’enfant unique en Chine) ont souvent un impact limité sur l’évolution des populations.
En gros : on ne peut pas faire grand chose pour limiter la croissance démographique… Si ce n’est participer au développement social et économique de l’ensemble des populations mondiales. On constate en effet que la croissance démographique ralentit de manière concomitante au développement socio-économique. Alors, comment faire ? Mieux partager les richesses produites, lutter contre les inégalités, favoriser l’accès des femmes à l’éducation, à la santé, par exemple.
Il faut enfin avoir en tête que les évolutions démographiques ne peuvent pas être lues qu’au prisme de la transition écologique. Dans de nombreux pays, le taux de natalité ou le taux de croissance démographique font débat car ils sont liés à de nombreuses autres problématiques sociales et économiques. Au Japon, par exemple, la chute du taux de natalité constitue une source majeure d’inquiétude, car elle menace la stabilité sociale et économique du pays.
Si démographie et écologie sont liées, il ne faudrait pas, à l’inverse, tomber dans une rhétorique qui ferait de la démographie l’alpha et l’omega de la politique écologique. On en oublierait alors que le plus essentiel pour la transition écologique, c’est la transformation massive de nos structures économiques et techniques, fondée sur la sobriété notamment.