Pourquoi les médias sont-ils des acteurs clés dans la lutte contre les stéréotypes de genre ? Comment parvenir à plus d’égalité dans les salles de rédaction et sur le devant de la scène médiatique ?
L’état des lieux des inégalités hommes/femmes dans les médias à travers le monde permet de constater les nombreux progrès qu’il reste à faire dans ce domaine.
Discréditées sur la scène médiatique, les femmes sont trop peu à s’exprimer en tant qu’expertes, un phénomène amplifié par la Covid-19. Elles sont aussi souvent interrompues par des hommes lorsqu’elles prennent la parole en plateau (phénomène du « manterrupting ») ou encore reléguées à certains domaines comme l’éducation ou le social et généralement présentées dans une posture passive.
Ce n’est guère mieux dans les salles de rédaction : quand elles ne sont pas victimes de harcèlement moral ou sexuel, elles sont freinées dans leur carrière où certains métiers restent encore majoritairement réservés aux hommes comme celui de reporter, et se heurtent au plafond de verre lorsqu’elles souhaitent monter dans la hiérarchie.
Les stéréotypes de genre sont au coeur de ce problème systémique. Pourtant, lorsqu’ils sont véhiculés à travers des instances de représentation telles que les médias, ces stéréotypes transmettent notamment aux plus jeunes l’image d’une société genrée. C’est en priorité dans ces organes représentatifs que doit en priorité se concentrer la lutte contre les inégalités de genre.
En quoi les médias ont-ils un pouvoir mais aussi un devoir de cohésion sociale et de lutte contre les discriminations ? Comment le concrétiser dans les faits ? Décryptage…
Le rôle des médias dans la prise de conscience des enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes
Les médias, reflet de nos sociétés
Les médias font plus qu’informer, diffuser des émissions ou de la publicité. Que ce soit au niveau de leur organisation ou des citoyens qui les composent, les médias reflètent nos sociétés, leur fonctionnement. Ils ont un rôle essentiel dans la démocratie et permettent notamment aux citoyens de s’exprimer.
Au-delà de ce rôle initial, les médias ont aussi une véritable influence sur les citoyens, positivement ou négativement. Ils conditionnent notre manière de percevoir la société, façonnent notre vision que l’on porte sur celle-ci et permettent la formation de nos catégories de jugement.
« Tout système de représentation est aussi un système de valeurs. (…) Il est important de souligner que les représentations ne sont pas le reflet de l’état de la réalité mais donnent à voir une mise en forme, voire une mise en ordre de la réalité, visant non seulement à expliciter un ordre social établi, mais aussi à le légitimer » souligne Sylvie Cromer, sociologue, enseignante-chercheuse et co-fondatrice de l’association « Du coté des filles ».
Des plateaux uniquement composés d’hommes ou des unes de journaux 100% masculines comme on en voit régulièrement contribuent à ancrer les images stéréotypées dans l’inconscient collectif, et à figer la place des femmes dans la société.
La « moralité médiatique » ou le devoir des médias à traiter de la question de genre
Il s’agit donc de travailler la question des représentations et des stéréotypes sexués les médias pour cheminer vers l’égalité réelle entre femmes et hommes, la mixité mais aussi la prévention des violences sexistes.
Mettre fin aux représentations stéréotypées des femmes et des hommes dans les médias est un réel enjeu pour les jeunes générations qui s’identifient à des modèles pour grandir et se construire. Or, quand on voit que plus de 80% des personnes s’exprimant à titre d’experts en 2015 sont des hommes, ou encore que les femmes sont deux fois plus susceptibles que les hommes d’être décrites comme « personne au foyer » ou « parent », on opère un conditionnement des jeunes filles dès le plus jeune âge à intérioriser une situation d’infériorité par rapport aux hommes.
C’est ce phénomène qu’explicitait Eva-Britt Svensson, lorsqu’elle était présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres au parlement Européen : « si on représente l’homme et la femme de manière stéréotypée, il sera plus difficile de voir les capacités de l’un ou de l’autre dans d’autres domaines que celui qui leur est traditionnellement dévolu. C’est de cette manière que les filles et les garçons sont influencés dans leur choix éducatif et de carrière ».
En tant qu’instances de représentation, les médias ont un rôle à jouer pour lutter contre ce type d’inégalités. Yves Jeanneret, enseignant-chercheur, reprend les termes de l’écrivain Roger Silverstone et parle de « moralité médiatique » pour souligner le rôle des médias. Et il y a un organe en particulier chargé de veiller à la bonne représentation des citoyens sur la scène médiatique : le CSA.
Le rôle du CSA pour veiller au respect des droits des femmes
L’article 3 de la loi Léotard, du nom du ministre de la culture qui l’a proposée, le 30 septembre 1986, crée la CNCL (Commission nationale de la communication et des libertés), remplacée en 1989 par le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel).
Modifié par la loi n°2017-86, l’article stipule entre autres que le CSA « contribue aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle ».
En ce sens, un paragraphe est dédié à la question des femmes dans les médias audiovisuels :
« Il assure le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle. A cette fin, il veille, d’une part, à une juste représentation des femmes et des hommes dans les programmes des services de communication audiovisuelle et, d’autre part, à l’image des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples. Dans ce but, il porte une attention particulière aux programmes des services de communication audiovisuelle destinés à l’enfance et à la jeunesse. »
Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard)
Top 10 des mesures à adopter pour promouvoir l’égalité de genre dans les médias
Mesure n°1 : instaurer des formations à l’égalité
Les politiques de diversité sont généralement impulsées par les entreprises elles-mêmes. Elles pourraient être étendues plus massivement et considérées comme un véritable axe stratégique, mais on pourrait aussi imaginer l’instauration de ce type de formation dans les écoles de management et de journalisme pour une meilleure inclusion.
Mesure n°2 : promouvoir les femmes à des postes à responsabilité
Dans ce rapport de l’UNESCO datant de 2015, les journalistes suggèrent que le fait de compter sur plus de femmes dans les rôles décisionnels dans les médias, et à tous les échelons, constitue l’une des stratégies clés favorisant l’équité entre les genres dans les médias.
Mesure n°3 : mettre en place et appliquer des mesures disciplinaires en cas de débordement
Pour empêcher les situations comme on a pu le voir au sein de la rédaction sport de France Télé notamment, des sanctions doivent être appliquées envers les auteurs de remarques et blagues sexistes répétées, s’apparentant à du harcèlement moral dans certains cas.
Mesure n°4 : encourager la diversité de genre dans les salles de rédaction
C’est un enjeu essentiel dans la mesure où les recherches tendent à prouver qu’une même information n’est pas traitée de la même manière selon que la personne soit un homme ou une femme. Cela permettrait donc une couverture plus diversifiée des sujets. Cela passe par exemple par la sensibilisation avec des campagnes sur le journalisme éthique comme a pu le faire par le passé la FIJ (Fédération internationale des journalistes).
Mesure n°5 : définir des objectifs de progression chiffrés
Cette suggestion apparait notamment dans le rapport du CSA sur l’exercice 2019 relatif à la représentation des femmes à la télévision et à la radio. Chiffrer les objectifs à atteindre permettrait non seulement d’augmenter le nombre de femmes à l’antenne (expertes, invitées…), particulièrement aux heures de forte audience, mais aussi de veiller à la parité dans les équipes de production de programmes (réalisatrices, monteuses, compositrices…).
Mesure n°6 : offrir de meilleures conditions d’expression aux femmes
Au-delà de la prise en compte du temps de présence et de parole des femmes dans les médias, il s’agit aussi de veiller à ce qu’elles puissent s’exprimer dans de bonnes conditions. Cela signifie notamment de lutter contre le « manterrupting« , c’est-à-dire lorsque les femmes se font couper la parole par des hommes lorsqu’elles s’expriment, une « forme de censure insidieuse » comme le souligne cet article du Monde.
Mesure n°7 : développer des incitatifs pour favoriser l’égalité de genre
On peut envisager le déploiement de certains outils que pourraient employer les acteurs du secteur, avec le soutien de la puissance publique, pour valoriser les bonnes pratiques et faire progresser la représentation des femmes. La méthode des quotas est souvent évoquée mais aussi discutée, car cela signifierait que lors de la phase de recrutement, le sexe du candidat ou de la candidate primerait sur ses compétences.
Mesure n°8 : adopter le réflexe égalité
Pour des plateaux paritaires, Pauline Chabbert coordinatrice du projet « Expertes France » pour mettre en avant les femmes expertes dans les médias, propose le réflexe égalité : « Si demain, on veut qu’il y ait vraiment la parité sur les plateaux télé ou radio, il faut que chaque journaliste, chaque étudiant et étudiante journaliste, se crée un réflexe égalité, c’est-à-dire que de manière systématique, quand on organise une émission, on pense à avoir un panel qui est paritaire et mixte ».
Mesure n°9 : responsabiliser les hommes
Les hommes ont un rôle majeur pour favoriser l’égalité des sexes. C’est ce qu’explique Pierre-Yves Ginet, co-rédacteur en chef du magazine Femmes ici et ailleurs dans cette interview : « les hommes ont une responsabilité. Aujourd’hui, ce sont eux qui sont aux manettes donc la responsabilité est chez eux. Un chef d’entreprise, quel qu’il soit, qui affirme qu’il n’a pas trouvé de femme pour son conseil d’administration, c’est de l’incompétence.«
Mesure n°10 : appliquer en priorité des mesures fortes dans les médias les plus visibles
Pour réellement avoir un impact, il s’agit en priorité d’agir au sein des médias les plus visibles comme les chaînes principales de la télévision, à forte audience. Certains proposent aussi de créer des médias 100% féminins afin de marquer les esprits et faire entendre la voix des femmes. Dans tous les cas, c’est ensemble et en touchant un maximum de monde que l’on pourra véritablement faire bouger les lignes.