Presque 2 ans après la promesse de la ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau de former, au plus tard en 2025, l’ensemble des étudiants de premier cycle aux enjeux de la transition écologique, quel bilan tirer de l’intégration de ces formations pour les étudiants de premier cycle ? Youmatter est allé poser la question à Luc Abbadie, co-auteur, avec Jean Jouzel, du rapport « Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’Enseignement supérieur » publié en 2022. Ancien directeur de l’Institut de la Transition environnementale de Sorbonne Université, il est aujourd’hui professeur émérite d’écologie.
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Youmatter. Deux ans après la parution du rapport qui a entraîné un engagement académique inédit du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR) sur les questions d’écologie, où en est-on ?
Luc Abbadie. À ce jour, nous avons un processus qui est engagé, et qui est en train de devenir une réalité : celui de former l’ensemble des étudiants de premier cycle à ces enjeux environnementaux et sociaux. Ce qui était loin d’être gagné. Je pense qu’il a eu sans doute des circonstances favorables entre une ministre qui a lancé l’opération, Frédérique Vidal, et une seconde ministre, Sylvie Retailleau, qui a repris l’opération pour la rendre obligatoire dans l’Enseignement supérieur. Mais ces engagements sont aussi le fruit de pressions, du monde scientifique et des enseignants, bien sûr, mais surtout des mouvements étudiants, notamment ceux de la COP2 (70 établissements volontaires français se sont réunis en avril 2021 pour construire l’accord de Grenoble, 11 objectifs et 5 engagements pour réfléchir aux transitions de l’ESR, ndlr) des étudiants à Grenoble, qui ont clairement préparé le terrain. L’annonce du ministère de former tous les étudiants de l’Enseignement supérieur a donné une légitimité aux revendications de ces mouvements. Tous les établissements concernés se préparent maintenant à mettre en œuvre cette obligation d’ici 2025. Et cela ne s’arrête pas là. De nouvelles formations sont créées dans tous les cursus de l’Enseignement supérieur.
N’y a-t-il pas une peur de revenir en arrière dans les prochaines années avec des gouvernements moins favorables à la transition écologique et aux objectifs de développement durable ?
Pour le monde universitaire, je pense que globalement, il n’y a pas de crainte. Le mouvement est engagé et ça génère beaucoup de dynamisme, d’innovations et de mouvements dans les maquettes d’enseignement malgré les moyens limités disponibles dans les établissements, en particulier dans le public. Donc si les établissements le font avec autant d’engouement, c’est aussi parce que le sujet est légitime, tout simplement. Et ça créer une continuité avec le collège – lycée où les programmes ont eux aussi évolué pour intégrer un contenu de qualité sur la biodiversité et le climat. J’ai cependant plus de doutes sur la formation des agents de l’État annoncée dans le Plan de transformation de l’État présenté par l’ancien gouvernement de Gabriel Attal en mars 2024.
En savoir + : Le plan de transformation écologique de l’Etat en infographie
Que reste-t-il à faire ?
D’après moi, l’objectif est de généraliser ces enjeux, pour que tout le monde ait les éléments de base pour prendre une décision éclairée. Mais il y a bien sûr des blocages. Il y a des inquiétudes chez de nombreux enseignants prêts à faire ce travail d’éducation aux enjeux socio-environnementaux, mais qui se déclarent incompétents par manque de formation pour leur enseignement. Cela demande du temps, de l’argent, des ressources supplémentaires qui ne sont pas souvent disponibles… D’autant plus qu’il n’y a pas eu de moyens mis en place par le ministère pour financer cette nouvelle obligation. Ça repose donc beaucoup sur la bonne volonté des établissements. J’estime qu’il faut également préparer les étudiants à l’action, et c’est l’une des recommandations fortes du ministère de l’Enseignement supérieur. Il faut que les établissements reconnaissent l’engagement étudiant hors du cadre académique, dans une ONG humanitaire, un syndicat étudiant, et pourquoi pas un parti politique, moyennant un suivi pédagogique et une évaluation, bien entendu. Tout cela existe déjà, mais c’est encore assez peu pratiqué.
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