La filière de l’ameublement suit la même tendance que la mode jetable. Incitation à l’achat, marketing agressif, prix toujours plus attractifs, les enseignes du meuble et de la décoration généralisent le modèle économique de la « fast déco », au détriment de l’environnement et des conditions de travail.

Cadence infernale de nouvelles références, prix toujours plus bas et promotions quasi-permanentes, incitations à l’achat, campagnes marketing abusives… On connaissait le modèle de la fast fashion, les mêmes recettes sont appliquées à la décoration selon un rapport sur la « fast déco », réalisé par Les Amis de la Terre France, Zero Waste France et le Réseau National des Ressourceries. 

La décoration d’intérieur, un marché en croissance

Si la « fast-déco » n’est pas un phénomène si nouveau, il s’est accéléré depuis la crise de la Covid19. La maison est devenue un lieu de différenciation vouée à suivre les tendances, à se transformer pour correspondre à la personnalité des Français, à leurs envies. « Les géants de la fast-fashion, de l’e-commerce et de la grande distribution, mais aussi les acteurs émergents du déstockage et du e-commerce, ont tout fait pour renforcer cette tendance afin d’en tirer un maximum de profit, avec des conséquences désastreuses pour la planète », estime Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagne de Zero Waste France dans un communiqué.

« Entre 2017 et 2022, le nombre d’éléments d’ameublement mis sur le marché en France a augmenté de 88%, passant de 269 à 505 millions d’unités mises en marché », souligne le rapport. Ce qui représente sur les 30 millions de ménages français, près de 17 éléments d’ameublement neuf par foyer et par an selon les calculs de Zero Waste France. 46 % des acheteurs de produits de décoration renouvellent au moins une fois par an des éléments de leur pièce à vivre. À elle seule, la vente de meubles d’appoint comme les tables basses et les porte-manteaux a tiré la hausse globale du marché sur cette période, suivie par les petits objets type coussins ou le mobilier de jardin. 

L’ameublement rapide (ou « fast furniture »), popularisé par des marques telles qu’IKEA dès les années 80, se généralise à tous les pans de la décoration d’intérieur. « Selon Les Échos Études, le marché conjoint de la décoration et de l’ameublement représente [en 2021] près de 26 milliards d’euros en France, pointe le rapport, réparti à peu près également entre l’ameublement (12,73 milliards d’euros selon l’IPEA en 2020) et la décoration d’intérieur (13,2 milliards d’euros) ». C’est une hausse de 53% par rapport à 2019. 

« Fast déco », « Fast-furniture » : l’art de pousser à la consommation

Cette hausse des ventes s’est également accompagnée d’une mutation de la filière de l’ameublement – décoration. Si les acteurs historiques (But, IKEA, Maisons du monde…) restent en tête avec 38% des parts de marché en 2022, ils se font aujourd’hui bousculer par une fragmentation toujours plus importante de la filière. Le renforcement de certaines entreprises de la fast fashion – H&M et Zara avec leur gamme d’aménagements estampillée Home, et l’arrivée de nouveaux acteurs du commerce en ligne et du discount, telles que les chinois Shein et Temu, déjà bien connus dans le textile, témoignent d’une mutation de la filière vers le commerce en ligne et la consommation jetable.

Malgré leurs engagements sociaux et environnementaux, IKEA et Maisons du monde ajoutent chaque année respectivement 2 000 et 3 000 nouveaux produits à leur catalogue. Les enseignes multiplient les incitations à la consommation à travers des parcours imposés, la production d’objets peu durables ou le recours à des réseaux d’influenceurs pour la promotion des produits. 

En savoir + : l’impact environnemental de la fast fashion

Encadrer la filière, réparer les anciens meubles et développer la seconde main

Pour les ONG Les Amis de la Terre France, Zero Waste France et le Réseau National des Ressourceries, les conséquences de la fast furniture et la fast déco sont multiples et désastreuses tant sur l’usage des ressources que sur les conditions de travail ou notre santé car ces objets neufs émettent des composés organiques volatils (COV), dont certains sont irritants, cancérogènes, mutagènes, ou toxiques pour la reproduction. 

Elles appellent à fixer des objectifs de réductions des nouvelles références sur les catalogues des enseignes afin de respecter les engagements de l’accord de Paris sur le climat. Elles proposent en outre, à l’instar de la loi sur la fast fashion, de « limiter et encadrer les pratiques marketing et la publicité incitant à la surconsommation », mais également de « soumettre les éléments de décoration au principe du pollueur-payeur » et d’ »interdire ou a minima mettre en place des pénalités fortement dissuasives dès 2025 pour les produits non recyclables ou fabriqués avec des ressources non gérées durablement ».

Les trois associations demandent aussi aux décideurs politiques d’encourager les organismes du réemploi en doublant les montants investis dans cette filière, et de mettre en place des aides adaptées, par exemple un bonus réparation, afin d’abaisser le coût des réparations. De nombreuses enseignes de l’ameublement et de la décoration disent aujourd’hui participer au développement de l’économie circulaire en développant notamment des offres de seconde main. Mais cela reste insuffisant. Selon le rapport de l’Ademe, le nombre de déchets d’éléments d’ameublement collectés a été multiplié par un peu plus de 2 entre 2014 et 2020. « Bien que le réemploi et la réparation soient légalement prioritaires sur le recyclage et l’incinération, ces activités restent marginales. Le taux de meubles réemployés, parmi ceux collectés par les éco-organismes, est en baisse constante depuis 2017 et n’a jamais dépassé 3% », regrettent les ONG.

Photo de Rachel Claire sur Pexels.