Le rapport de l’Observatoire des Inégalités vient de paraître, et montre que les inégalités persistent voire se renforcent en France. Voici 5 points à retenir pour mesurer l’ampleur de la fracture sociale.

La France est encore et toujours marquée par les inégalités. Qu’elles soient sociales et économiques, environnementales, territoriales, de santé ou générationnelles, les inégalités continuent de peser sur la société française.

L’Observatoire des Inégalités, qui étudie en profondeur ces inégalités, vient de publier son rapport annuel, qui revient sur les chiffres alarmants des inégalités en France. Quels sont les grands chiffres à retenir ? On fait le point.

1 – 5 millions de pauvres, et des écarts de revenus gigantesques

Un premier chiffre donne l’ampleur de la crise des inégalités en France : le pays compterait plus de 4.8 millions de pauvres, gagnant moins de 940 euros mensuels (soit 50% du salaire médian). Près de 8% de la population française vivrait donc sous ce seuil de pauvreté, et ce, pour les données 2020, soit avant la crise sanitaire et la crise de l’inflation qui a durement frappé les ménages les moins aisés.

Ce constat est d’autant plus alarmant qu’à l’autre bout de l’échelle, les 1% les plus riches, soit plus de 600 000 personnes, gagnent près de 7200 euros par mois après impôts. L’écart est donc immense, puisque les 1% les plus riches gagnent en France près de 8 fois plus que pratiquement 5 millions de pauvres.

Ces écarts de revenus se lisent à toutes les échelles : les 0.1% les plus riches, soit 63 000 personnes, gagnent chaque mois près de 17 500 euros nets, soit près de 10 fois plus que ce que gagnent la moitié des Français. En termes de catégorie sociale, même chose : les cadres gagnent ainsi chaque mois près de 2 500 euros net de plus que les employés en moyenne. C’est pratiquement deux SMIC d’écart.

Et ces inégalités ne baissent pas : le niveau de vie des 10% les plus riches est aujourd’hui pratiquement 3.3 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres, au même niveau qu’en 2005. En fait, depuis les années 1980, les inégalités de revenu stagnent, voire augmentent par période, et le partage de la valeur tend à se déformer au détriment des salariés.

2 – La moitié du patrimoine détenu par les 10% les plus riches

L’autre point marquant du rapport, c’est le gouffre considérable qui se creuse entre le patrimoine des plus riches et celui des plus pauvres. Comme le précise le rapport, « les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus grandes encore que les inégalités de revenus. Les 10 % des ménages les plus fortunés possèdent plus de 716 000 euros, contre 4 400 euros pour les 10 % les moins dotés ». Autrement dit, les plus riches possèdent 175 fois plus de richesses que les plus pauvres.

Les plus aisés possèdent ainsi souvent un patrimoine varié, constitué de titres financiers, de véhicules, mais aussi et surtout, de biens immobiliers et autres résidences secondaires. Ils participent ainsi à la hausse des prix de l’immobilier, à la gentrification, et à la crise du logement, qui est en fait plutôt une crise de la répartition de la valeur immobilière. Ils accaparent les ressources et la richesse créée de façon disproportionnée : au total, 47% de toute la richesse en France est détenue par les 10% les plus riches, et cette part ne cesse d’augmenter, puisqu’elle n’était que de 41% en 2010.

Ces chiffres montrent bien que les inégalités en France ne sont pas qu’une question de revenus, mais bien une question de position sociale. C’est la position sociale qui permet (ou non) de posséder, d’emprunter, d’acquérir du patrimoine financier. Et ce patrimoine, qui constitue l’essentiel de la richesse des plus riches, s’enrichit lui même, par des mécanismes comme la spéculation financière, l’investissement locatif, ou l’héritage notamment. En ce sens, les écarts gigantesques de patrimoine dans le pays appellent à s’interroger sur la répartition des richesses, et peut-être, comme le proposait le Conseil d’Analyses Économiques en 2021, de repenser le système d’héritage français, en taxant plus les successions.

3 – Une fracture sociale de l’éducation et de l’emploi

Ces inégalités de revenus et de patrimoines sont à la fois la cause et la conséquence d’une fracture sociale profonde notamment en termes d’emplois et d’éducation.

D’abord, en termes d’emploi ou de qualité d’emploi, on observe une différence marquée entre certaines catégories de population. Par exemple, les plus riches occupent dans leur écrasante majorité des postes de cadre ou équivalent, tandis que les pauvres sont le plus souvent ouvriers, employés, ou dans une situation d’emploi précaire. Le chômage frappe de façon démesurée les catégories sociales les moins favorisées, les emplois les moins rémunérés : 17% des ouvriers peu qualifiés sont au chômage, soit près de 4.5 fois plus que les cadres. Globalement, près d’un actif sur quatre, surtout parmi les plus pauvres est à la recherche d’un travail ou est en contrat précaire. Et c’est la double peine pour les populations les plus pauvres, qui subissent aussi le plus souvent les mauvaises conditions de travail en France : les ouvriers ont 7 fois plus d’accidents du travail handicapants que les cadres, ils sont aussi 3 à 4 fois plus souvent victimes d’arrêts de travail, sans parler des horaires décalés, des journées discontinues, etc. En France, plus de 15% des salariés occupent un emploi précaire en 2021, soit deux fois le niveau des années 1980…

C’est le même schéma dans le monde éducatif. Les populations pauvre sont en moyenne moins diplômées que les populations aisées, et inversement, les populations pauvres ont un accès limité au système éducatif. Dès le plus jeune âge, les enfants de familles pauvres ont moins de chances d’accéder à des parcours éducatifs de qualité : comme le rappelait déjà la Cour des Comptes il y a plus de 10 ans, les zones scolaires les plus en difficultés ont moins de moyens que les autres, et sont moins bien dotées en subventions publiques. Résultat, les élèves issus de familles pauvres sont défavorisés dès l’enfance : là où 75% des élèves de CP en moyenne maîtrisent la compréhension orale, ils ne sont que 42% dans les écoles les plus défavorisées. Moins aidés à l’école, disposant de moins de moyens à la maison, les élèves pauvres sont désavantagés. Tout au long du parcours scolaire, ces inégalités persistent : seuls 19% des élèves en lycée général ou technologiques sont des enfants d’ouvriers, 10% seulement à l’université, 7% seulement en classe préparatoire… Alors qu’ils représentent 30% des élèves en CAP.

Dès lors, les inégalités se reproduisent : les enfants de cadres sont avantagés à l’école, ils obtiennent de meilleurs emplois, et à l’inverse, les ouvriers et employés sont enfermés pour plusieurs générations dans un cercle vicieux, avec moins de diplôme et des emplois moins bien rémunérés.

4 – 10 ans d’espérance de vie d’écart : des inégalités de santé et de vie

Forcément, ces écarts de richesses, d’éducation et d’emploi se traduisent par des inégalités profondes en matière de santé. Résumé en une phrase, on pourrait dire que moins on est riche, moins on est en bonne santé.

Quelques chiffres parlant : les 10% les plus riches vivent en moyenne 10 ans de plus que les 10% les plus pauvres ; les 10% les plus pauvres ont un risque pratiquement 3 fois plus élevé de développer un diabète par rapport aux 10% les plus riches ; il y a pratiquement deux fois plus d’obèses chez les ouvriers que chez les cadres. C’est que les plus pauvres sont exposés à des conditions de vie plus difficiles. Par exemple, en matière de logement, la proportion de ceux qui déclarent que leur logement est difficile à chauffer est 2,5 fois plus importante chez les 20 % les plus pauvres que parmi les 20 % les plus riches. Même chose pour l’humidité : près de 20% des ménages moins aisés ont un logement trop humide, contre seulement 10% des plus aisés. Au total, 6 millions de personnes sont affectées par la précarité énergétique.

De la même manière, les moins aisés ont accès à des modes de consommation et des modes de vie moins « sains » que les plus riches. Les études ont ainsi montré que les inégalités sociales et économiques sont cruciales dans le développement de l’obésité : le manque d’accès à des aliments sains, bio, à des infrastructures sportives, favorise le développement de maladies métaboliques. Les pauvres sont aussi plus exposés aux polluants, aux perturbateurs endocriniens. Les conditions de salubrité étant moins bonnes pour les moins aisés, on comprend qu’ils soient 1,6 fois plus exposés aux maladies respiratoires chroniques et 1,5 fois plus aux maladies neurologiques ou dégénératives comme, par exemple, la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer.

Sans même parler des inégalités d’accès à la santé, les zones défavorisées étant souvent moins bien dotées en médecins ou en structures médicales.

5 – Femmes, jeunes, racisés : les populations défavorisées

Si le gouffre des inégalités en France est surtout une question de position sociale, d’autres facteurs contribuent aux écarts de richesse, de modes de vie, de santé… Certaines populations sont ainsi plus fréquemment défavorisées, c’est le cas des personnes racisées, que l’on dit parfois « d’origine étrangère », des femmes, mais aussi des jeunes.

Le rapport montre ainsi que, si la discrimination de genre à l’embauche tend à disparaître, des inégalités persistent entre les hommes et les femmes. À temps de travail égal, les femmes gagnent 15% de moins que les hommes, et elles subissent aussi 2.5 fois plus souvent le temps partiel subi. Au sein des entreprises, elles accèdent moins souvent aux postes à responsabilité.

Même idée pour les personnes racisées, qui sont surexposées au chômage : « le taux de chômage des immigrés est de 12,7 % selon le ministère du Travail en 2021, celui de leurs descendants s’élève à 11,6 %, contre 6,8 % pour les personnes sans ascendance migratoire ». Outre les inégalités en matière de diplôme ou de réseau, cela s’explique par la persistance des discriminations à l’embauche, comme partout en Europe. Quand ils travaillent les immigrés ou leurs descendants exercent plus souvent que le reste de la population des métiers pénibles, mal rémunérés, etc.

Enfin, les jeunes font partie des populations les moins favorisées dans le pays. Les jeunes sont plus souvent au chômage, et ils occupent en majorité des emplois précaires. D’ailleurs, le taux d’emploi précaire chez les 20-25 ans a pratiquement triplé depuis les années 1990, et le travail précaire est omniprésent chez les moins diplômés. Et ce n’est pas qu’une situation temporaire, liée au fait d’être « débutant » sur le marché du travail : les chiffres montrent que 5 à 10 ans après leur sortie du système éducatif, plus d’un jeune sur trois est encore en emploi précaire parmi les moins diplômés.

Quel bilan tirer du rapport sur les inégalités en France ?

En fait, les inégalités se cumulent : pauvres, jeunes, issus des populations défavorisées forment un groupe hétérogène d’individus qui ne profitent pas du système économique et social, et subissent à la fois des inégalités de revenu, d’emploi, d’opportunités, de santé, des inégalités environnementales, sans même parler des inégalités culturelles.

Ce rapport constitue un véritable signal d’alerte, qui nous rappelle l’urgence de mettre en oeuvre des politiques drastiques de réduction des inégalités et une transformation massive de notre système économique. Problème : les politiques menées depuis la fin des années 2010 ont au contraire eu tendance à renforcer les inégalités, à augmenter le revenu des plus riches et à diminuer les services publics et les prestations sociales qui bénéficient surtout aux plus pauvres et aux plus défavorisés.

Un contre-sens qui amplifie chaque jour la fracture sociale.

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