Plusieurs études et rapports récents montrent qu’en France, certains quartiers et territoires sont moins favorisés que d’autres. Et ces inégalités sont multiformes, à la fois économiques, sociales, et environnementales. Voyons les chiffres.
Au sein d’un pays comme la France, on observe de façon très nette des inégalités entre les territoires. D’une région à l’autre, d’un département à l’autre, d’une ville à l’autre, les situations économiques, sociales ou environnementales peuvent varier considérablement. Au sein d’une même région ou d’une même ville, on peut aussi voir des différences marquées entre différents territoires ou quartiers, que ce soit en termes d’opportunités économiques ou de qualité de vie.
Ces inégalités dites « territoriales » constituent un problème politique, social et économique important. En effet, plus les inégalités entre territoires sont marquées, plus les espaces sont fracturés et fragmentés, plus les problèmes sociaux et économiques sont forts. Dans les territoires défavorisés, on retrouve par exemple souvent les mêmes problématiques : difficultés scolaires, difficultés d’accès à l’emploi, baisse des indicateurs de qualité de vie, etc. Les inégalités territoriales contribuent aussi à la hausse des frustrations sociales, économiques, à la défiance envers les institutions.
Or depuis quelques années, de nombreuses analyses et rapports d’experts montrent que les inégalités entre les territoires tendent à augmenter, et ce, à toutes les échelles. Les territoires pauvres sont de plus en plus pauvres, les territoires riches de plus en plus riches, et cela se répercute sur l’ensemble des indicateurs sociaux et environnementaux.
Des inégalités économiques qui se creusent
En France, comme dans la plupart des pays développés, les inégalités économiques ont diminué tout au long du 20ème siècle, jusque dans les années 1980. À partir de cette époque, la tendance s’inverse néanmoins progressivement : les inégalités économiques, de revenu, ou de capital se sont d’abord stabilisées, puis sont reparties à la hausse à partir des années 2000. En termes d’inégalités de revenus, par exemple, les 10% les plus riches touchent aujourd’hui un revenu autour de 6.5 à 7 fois plus élevé que les 10% les plus pauvres. Dans les années 1990, ce chiffre était plus proche de 6. Le constat est encore plus marqué pour les inégalités de capital : les 1% les plus riches détenaient autour de 16% du patrimoine en France au début des années 1980, contre 26% environ aujourd’hui.
Bref, les inégalités économiques augmentent, et l’indice de Gini, qui mesure le caractère inégalitaire d’un pays, était meilleur en France en 1990 qu’en 2020. En cause : la baisse progressive de la fiscalité sur les hauts revenus et sur les capitaux (notamment financiers et immobiliers) et un ensemble de réformes fiscales et économiques globalement favorables aux plus riches. Résultat : le partage de la valeur se déforme, au détriment des salariés et au profit du capital, c’est-à-dire des actionnaires, des profits, et des plus riches.
Les inégalités économiques des territoires
Assez logiquement, ces inégalités se transcrivent dans les territoires. En effet, les plus riches et les plus pauvres n’habitent généralement pas dans les mêmes quartiers, les mêmes territoires, à cause notamment des dynamiques des prix de l’immobilier, et de l’urbanisation et de la métropolisation. Ainsi, lorsque les riches deviennent plus riches, les quartiers et les territoires riches tendent donc à devenir plus riches. Un rapport de l’INSEE de janvier 2023 revient sur ces données et montre que, ces 15 dernières années, « les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes » en France. De plus, la ségrégation entre les quartiers augmente, c’est-à-dire que les quartiers sont de moins en moins mixtes : les phénomènes comme la gentrification contribuent à produire des territoires de plus en plus homogènes en termes de revenus.
Alors, où sont les territoires « riches » et les territoires « pauvres » ? Eh bien c’est très variable. D’une manière générale, en France, les grandes villes abritent souvent une plus grande part des populations aisées, et les zones rurales une plus grande part des populations pauvres. Mais c’est aussi dans les grandes villes, du moins dans leurs périphéries, que l’on trouve certaines des populations les moins aisées. Certaines régions sont aussi plus « dynamiques » sur le plan économique que d’autres. La faute à des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles : présence ou non d’industries, de bassins d’emploi et d’activité, de quartiers moins favorisés…
On peut donc identifier assez facilement à chaque échelle du territoire, les grandes disparités qui fracturent la géographie française. Et la plupart du temps, ces disparités se superposent comme le montrent ces cartes, représentant la prévalence du chômage, de la pauvreté et des difficultés scolaires en France.
Les inégalités sociales en hausse
Comme on peut donc commencer à le comprendre, les inégalités économiques engendrent à leur tour des inégalités sociales entre les territoires, dans une forme de cercle vicieux. Ainsi, dans les territoires moins dynamiques sur le plan économique, le chômage augmente, ce qui aggrave la pauvreté et / ou provoque une forme d’exode territorial, qui en retour, plombent les dynamiques économiques. Et lorsqu’un territoire commence à cumuler des difficultés économiques, du chômage, de la pauvreté, d’autres problèmes sociaux émergent : difficultés d’accès à la santé, parfois difficultés d’accès aux services publics, difficultés scolaires et éducatives, etc.
Pour une multitude de raisons (politiques, sociales, économiques) les départements ou territoires les moins favorisés tendent aussi à être moins bien dotés en services publics, en infrastructures, en moyens financiers pour les acteurs publics. Par exemple, un référé de la Cour des Comptes de 2012 expliquait que les établissements scolaires dans les territoires les moins favorisés tendaient à être moins bien dotés financièrement (voir aussi : Éducation : pourquoi le niveau scolaire en France est-il mauvais ?). Les territoires moins favorisés ont aussi moins accès à la santé : la Seine Saint-Denis, territoire marqué par les difficultés économiques et sociales, compte ainsi deux fois moins d’agents de la fonction publique hospitalière que Paris, selon le rapport annuel sur la fonction publique de 2021. Les territoires ruraux et isolés font quand à eux face à des problèmes multiples : déficit d’infrastructures, enclavement, déserts médicaux (voir aussi : Pourquoi les déserts médicaux augmente en France ?)…
Tous ces facteurs contribuent à leur tour à amplifier la ségrégation territoriale et les inégalités territoriales. En effet, lorsqu’un territoire connaît des difficultés, les populations aisées tendent à le quitter progressivement, et inversement, les territoires les plus favorisés attirent les riches. On a donc un double phénomène de paupérisation et de gentrification, qui accentue les difficultés sociales, la baisse des dotations publiques, la dégradation des infrastructures. En Île-de-France, ces évolutions ont été bien mises en évidence par une étude menée par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Paris-Île-de-France : dans cette région, près de 50 communes parmi les plus pauvres ont ainsi vu leur revenu médian baisser significativement entre 2000 et 2015, quand dans le même temps les communes favorisées (notamment dans l’Ouest parisien) voyaient leur revenu augmenter.
En résumé, les inégalités économiques provoquent ou accentuent les inégalités territoriales, la ségrégation territoriale, l’enclavement, et jusque-là, nos politiques publiques n’ont pas su inverser la tendance.
Un enjeu ignoré : les inégalités environnementales
Et comme si cela ne suffisait pas, les inégalités territoriales ont aussi une dimension environnementale. Les populations défavorisées, plus fragiles, qui sont souvent concentrées dans les communes et les espaces les moins bien dotés, font en effet plus souvent et plus intensément face aux conséquences des crises environnementales.
C’est ce que montrent régulièrement les études scientifiques et les analyses concrètes sur le terrain. Comme l’expliquait par exemple une note d’analyse de France Stratégie sur le sujet, les inégalités sociales et environnementales se superposent souvent. Par exemple, les anciens bassins industriels et miniers, dans le Nord de la France ou autour du Rhône sont les zones les plus exposées aux polluants. Ce sont aussi des zones fragiles sur le plan économique et social, où le chômage et la pauvreté sont souvent élevés, puisque ces zones ont décliné largement avec la fin des activités industrielles au long du 20ème siècle.
Une étude a également montré qu’à Paris, les zones les plus affectées par la pollution de l’air sont les quartiers populaires. Ces zones où l’on circule plus en voiture, où les systèmes de chauffage sont les plus anciens et les moins performants, concentrent en effet parfois la pollution aux particules fines, et surtout, les populations y sont plus vulnérables. Les logements mal isolés, les bâtiments publics (les écoles par exemple) moins bien entretenus et exposent plus fortement les populations.
Canicules, événements météorologiques extrêmes et même catastrophes industrielles tendent ainsi à affecter plus fortement les quartiers moins favorisés. Et puisque les inégalités économiques et sociales augmentent, et que les pressions environnementales augmentent, ces inégalités environnementales devraient donc elles-aussi continuer à augmenter.
Inégalités territoriales : comment les réduire ?
Les données montrent ainsi que les inégalités territoriales dans leur ensemble (sociales, économiques, environnementales) sont en augmentation plus ou moins forte en France. Le contexte économique complexe et les politiques fiscales et économiques menées depuis une vingtaine d’années contribuent souvent à fragiliser encore plus des territoires déjà fragiles et enclavés. Cette hausse des inégalités provoque évidemment des tensions, entre les territoires et les populations qui les habitent, comme en témoignent les fractures entre la France dite rurale et la France urbaine, ou entre les centre-villes et les quartiers périphériques. Ces inégalités sont un frein à la cohésion sociale, mais aussi à la transition écologique et sociale, et elles alimentent les tensions politiques.
Alors comment éviter ça ? Comment réduire ces inégalités territoriales ? Les leviers d’actions sont probablement aussi pluriel et complexes que les causes de ces fractures. Il s’agit évidemment dans un premier temps d’agir pour réduire les inégalités économiques entre les individus. Mais l’enjeu est aussi structurel : il s’agit de ré-investir dans les services publics dans les territoires défavorisés, de permettre des dynamiques de mixité sociale, de désenclaver. Il faut donc une volonté politique forte, et des moyens financiers adaptés, mis au service d’une planification de développement des territoires. Soit l’inverse des dynamiques de privatisation et de baisse des dépenses publiques qui sont aujourd’hui au coeur de la majorité des politiques publiques en France.
Photo de Paul Hanaoka sur Unsplash