A l’heure où, en France, le dialogue politique se polarise autour des aides sociales, des « assistés », du temps de travail et du code du travail, certains pays réfléchissent à l’opportunité de créer un revenu universel, un salaire de base, accordé à tous de façon inconditionnelle. L’idée est-elle irréaliste ou doit-on y réfléchir ? Dans un monde où la technologie rend tout plus rapide, automatique et facile, l’idée fait son chemin… Et elle pourrait bien changer nos vies.

En 2016, 8,5 millions de français gagnent moins de 1 038 euros par mois, et 4,9 millions moins de 865 euros par mois. Dans le même temps, le régime social français coûte globalement près de 700 milliards par an.

Ce constat soulève une question : comment assurer à chaque citoyen un revenu minimum de subsistance, quelle que soit sa situation ? Le concept de revenu de base inconditionnel tente de répondre à cette question. Il s’agirait d’un revenu minimum distribué à tous les citoyens, quelle que soit leur situation, qu’ils travaillent ou non.

Irréaliste ? Peut-être pas ! Les avancées disruptives de la technologie pourraient nous permettre d’y venir, plus tôt que l’on croit.

Le revenu universel, c’est quoi ?

L’idée d’un revenu minimum accordé à tous les citoyens n’est pas neuve. Dès 1516, Thomas More dans son livre « Utopia » expliquait qu’un revenu minimum accordé à tous était la seule manière d’éviter la pauvreté. Il explique ainsi « Aucune peine ne réussira à empêcher de voler ceux qui n’ont aucun autre moyen de se procurer de quoi vivre. […] Ne vaudrait-il pas mieux assurer l’existence à tous les membres de la société, afin que personne ne se trouvât dans la nécessité de voler d’abord et de périr après ? ». C’est la philosophie libérale qui « invente » cette idée, et ce sont encore des philosophes libéraux qui vont la développer et la populariser à travers l’histoire : Johanes Vives, Thomas Paine, Thomas Jefferson, Friedrich von Hayek, et même plus récemment Milton Friedman.

L’idée de ce revenu qui porte beaucoup de noms différents (revenu de base, revenu inconditionnel, revenu d’existence ou encore allocation universelle) est de donner à chacun un revenu de base, sans contrainte, sans condition, aux travailleurs ou à ceux qui ne travaillent pas. L’objectif ? D’abord permettre à chacun de subvenir à ses besoins primaires, ensuite donner à chaque individu la liberté de faire ses propres choix, sans être contraint par le monde du travail, et enfin, réduire les inégalités entre les individus.

L’idée est bien sûr séduisante : éliminer totalement la pauvreté, permettre à chacun de vivre sa vie, créer un monde plus équitable… Mais depuis que ce concept se développe dans les livres de philosophies, il n’a jamais été réellement mis en place. Et pour cause, l’idée paraît folle : si tout le monde était suffisamment payé pour vivre, qui voudrait travailler ? Comment la société pourrait-elle fonctionner ? Qui s’occuperait des taches les moins gratifiantes ? Et comment pourrait-on payer tout ça ?

Le revenu universel dans un monde du travail transformé

Actuellement, le marché du travail est déjà fragmenté : entre les chômeurs, les emplois à temps partiel, les emplois précaires, et même les emplois « uberisés », plus personne ne croît au plein emploi stable comme on pouvait le concevoir pendant les Trente Glorieuses. Résultat, le système social que l’on a pensé à ce moment là semble moins efficace. La trappe du chômage et de la pauvreté installe certaines populations dans des situations durablement précaires, dont il est presque impossible de se sortir.

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Le rôle du revenu universel serait de permettre à chaque individu de disposer d’un moyen de subsistance qui lui permette de rebondir. Si un chômeur dispose de suffisamment d’argent pour se loger et pour se nourrir, alors il peut utiliser son énergie pour se former, chercher un emploi. S’il ne perd pas ce revenu lorsqu’il trouve un emploi, cela l’incite à chercher à travailler pour augmenter son niveau de vie. Le revenu de base laisse la possibilité aux individus de changer de carrière, de ne pas être frappé par l’obsolescence des salariés. Dans un monde où le travail devient de plus en plus flexible, les individus doivent être plus flexibles, et le revenu de base permet cela.

Les défenseurs du revenu de base ne prétendent pas qu’il doit se substituer au travail, mais qu’il doit permettre de faire du travail un véritable choix. Ainsi, ceux qui ne veulent pas travailler pourraient le faire, mais ils ne gagneraient que de quoi subvenir à leurs besoins. Le niveau de vie dépendrait donc toujours du travail, mais d’un travail libre et non-contraint.

Le peu d’expériences mises en place sur le revenu universel montre que les individus, même avec un revenu de base, choisissent de travailler pour améliorer leur revenu. Une étude menée en Ouganda montre que les personnes disposant d’un revenu de base tendent à investir, se former, et finissent plus qualifiés et à des postes plus importants.

Ainsi, alors qu’aujourd’hui les métiers les moins gratifiants sont les moins bien payés, un revenu de base permettrait d’inverser la tendance. Si un individu dispose de moyens de subsistance, il n’a plus intérêt à accepter un métier difficile qui lui rapporte à peine plus. Selon Philippe Van Parijs, professeur à la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques de l’Université catholique de Louvain, cela forcerait les industries à revaloriser ces métiers. Ainsi, les métiers les plus difficiles seraient les mieux payés.

En supprimant certaines lourdeurs bureaucratiques des systèmes sociaux existants et en refondant le système de taxes, ce type de revenu pourrait même être financièrement rentable.

Et si la technologie faisait rentrer le revenu de base dans le monde réel ?

Aujourd’hui, de plus en plus d’experts, de scientifiques, d’entrepreneurs estiment que l’idée est réaliste, et qu’elle pourrait se matérialiser dans les décennies voire les années à venir, et ce notamment grâce aux progrès technologiques. En effet, la technologie tend de plus en plus à remplacer la force de travail humaine. 47% des emplois aujourd’hui pourraient être automatisés et remplacés par des technologies robotisées ou numériques d’ici 20 ou 30 ans.

De plus en plus d’entrepreneurs notamment dans la Sillicon Valley estiment que cette transformation résoudra à terme le problème des métiers manuels : l’agriculture, l’industrie, la construction, tout pourra être fait par des machines. De facto, il n’y aura plus suffisamment d’emplois à temps plein pour tout le monde. Les individus devront travailler moins, et ils auront aussi plus de temps pour leurs propres projets. Mais pour assurer le fonctionnement d’une telle société, un revenu de base est indispensable.

 

Avec la transition du monde du travail, avec le développement de la technologie, avec l’extension des réflexions sur le revenu de base, et les essais qui sont menés en Finlande, mais aussi en Suisse et aux Pays-Bas, il est possible que l’Europe se mette au revenu de base plus tôt que l’on croit. Réalisable ? Efficace ? Difficile de spéculer sur ce mode de redistribution inédit, mais les esprits les plus progressifs semblent séduits par l’idée. Et vous ?

 

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