Tendances. Pour les Français, la sobriété est encore plus souvent reliée à la nécessité de boucler ses fins de mois qu’à une démarche purement écologique, selon les résultats d’un nouveau baromètre réalisé par l’Ademe. S’ils sont globalement enclins à faire des efforts individuels pour réduire leur empreinte sur l’environnement, les Français restent encore très attachés à des modes de vie peu compatibles avec les impératifs environnementaux.

Quel est le rapport des Français à la sobriété ? C’est ce que vont tenter de décortiquer l’Ademe et l’ObSoCo en donnant la parole à près de 4000 personnes en France métropolitaine, âgées de 18 à 75 ans à travers leur baromètre Sobriété et modes de vie. La première édition vient de paraître. Elle montre que « les Français développent fréquemment une diversité de pratiques relativement sobres » mais pas forcément, ni souvent, pour des raisons purement écologiques. 

Une sobriété choisie qui se développe

Diminuer l’usage de l’avion et de la voiture, privilégier les produits de seconde main, entretenir ses appareils électroniques ou limiter sa consommation de viande… Une bonne partie des Français pratiquent en effet déjà une ou plusieurs actions permettant de limiter les répercussions de leur mode de vie sur l’environnement. « Dans la majorité des cas et pour l’ensemble des pratiques étudiées, les personnes qui développent ces pratiques, à priori vertueuses pour l’environnement, ont le sentiment de le faire par choix », explique le rapport de l’Ademe. 93% des Français estiment ainsi que réparer, ou faire réparer un objet au lieu d’en acheter un neuf relèvent de pratiques de sobriété choisie efficaces à mettre en place dans  leur quotidien. Des proportions similaires au fait de conserver plus de 5 ans un portable (94% des personnes sondées).

Pour autant, cette sobriété « choisie » reste souvent peu contraignante, et cantonnée à une partie de la population qui a la possibilité (financière, temps disponible, aide familiale, etc.) d’outrepasser ces différents renoncements. Or, même si l’environnement et ses enjeux ne sont pas étrangers aux classes populaires, ces dernières « ont en commun un manque de disponibilité pour se mobiliser sur l’enjeu écologique », soulignent les sociologues Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier dans un article publié dans Les Cahiers du développement social urbain

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Mais une sobriété qui reste subie chez les plus précaires

À l’heure actuelle, les considérations financières guident davantage les individus vers ces pratiques ‘sobres’ que ne le font les considérations environnementales”, pointe le baromètre. Un quart des répondants dit ainsi « subir » la sobriété. Chez les ménages les plus précaires, les foyers font par exemple le choix de moins chauffer en hiver, de se déplacer plus rarement en voiture ou de se passer et/ou de rationner certains produits de première nécessité… Or cela a des conséquences lourdes pour l’emploi, la vie sociale. Le fait de ne pas posséder de voiture représente un des handicaps les plus forts pour 41 % des répondants, souligne l’Ademe. 

Même chose pour l’alimentation. La moitié des répondants limitent leur consommation de viande pour des raisons économiques contre 22% pour lutter contre la crise environnementale. « Rapportée à l’ensemble de la population française, la part des individus qui s’engagent dans les pratiques de sobriété étudiées en associant leurs comportements à une cause environnementale est de fait systématiquement minoritaire – et très faible dans la plupart des cas ». Ainsi, la part des Français qui adopte des pratiques sobres pour des raisons essentiellement environnementales compte pour moins de 10% de la population étudiée, précise le baromètre. 

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Sobriété et écologie, le piège du ressenti

Par ailleurs, les Français ne sont pas exempts de paradoxes. Alors que près de 60% d’entre eux pensent qu’il faudra modifier les modes de vie pour faire face au changement climatique, une très large majorité (82%) estime en faire déjà assez pour l’écologie. Bref, si les Français pointent volontiers les méfaits de la surconsommation et ses conséquences sur l’environnement, ils ne considèrent pas faire partie du problème. « Seuls 28% tendent à se sentir personnellement concernés par ces pratiques de consommation excessives », note l’étude.

Une dissonance pour laquelle le baromètre donne quelques clefs de compréhension, notamment sur la définition que donnent les Français à la sobriété. Ils l’associent plutôt à la notion « d’efficacité » économique ou énergétique, qu’à une transformation de « nos modes de production et de consommation et plus globalement nos modes de vie, à l’échelle individuelle et collective », comme le définit l’Ademe. 

Or, malgré une ouverture à la sobriété, les Français restent attachés à une certaine forme de confort et à des activités incompatibles avec ces objectifs de réduction de GES. « Seuls 7% des Français estiment qu’ils pourraient vivre avec un peu moins sans que cela nuise à leur qualité de vie », note le baromètre. Quant au fait de limiter la possibilité de voyager en avion pour tous dans le but de réduire l’impact environnemental du transport aérien, cela divise la France en deux…

La nécessité d’un effort collectif 

Pour opérer la bascule, l’étude montre ainsi l’importance de changer les représentations sociales. Par exemple 83% des répondants qui ont arrêté de consommer de la viande en tirent un exemple de fierté, mais seuls 14% de ceux qui prennent l’avion disent avoir « honte de le faire »

Le baromètre met aussi l’accent sur la nécessité d’une action collective, proportionnée et à l’efficacité prouvée. Or, 77% des Français interrogés ne croient pas que les actions mises en place actuellement par les citoyens et les gouvernements permettront de répondre aux enjeux environnementaux des 50 prochaines années. « Une perception qui pourrait constituer un véritable frein à l’action des citoyens sur le sujet », note le baromètre. 

Pour l’Ademe, un travail de sensibilisation et un engagement institutionnel dans une planification écologique « claire, crédible, juste et suivie des faits » sont donc nécessaires afin d’engager les citoyens dans la transformation de leurs modes de vie.

Photo de Murillo de Paula surUnsplash