En ce début d’année 2023, Youmatter se prête à l’exercice des bonnes résolutions. Et si, pour favoriser la transition écologique, on apprenait à dire non ? À renoncer, à refuser, à résister ?
À bien des égards, l’année 2022 aura été difficile en matière de transition écologique et sociale. D’abord parce que chaque saison, presque chaque mois, aura été l’occasion de constater encore, parfois à la limite de la stupéfaction, la rapidité et la gravité des changements écologiques en cours : canicules, incendies, tempêtes, inondations… Ensuite, parce que rien ou presque dans l’année qui s’est écoulée ne nous donne de quoi nous réjouir ou espérer. Les dirigeants, dont certains semblent découvrir l’ampleur de la crise, ne sont parvenus à aucune transformation significative : la COP27 sur le climat s’achève sur un bilan mitigé, tout comme la COP15 sur la biodiversité. Globalement, les politiques écologiques stagnent ou reculent, quand les politiques sociales vont carrément dans le mauvais sens. Et puis, l’inflation, la crise énergétique ou les guerres nous rappellent douloureusement la finitude et la froideur du monde.
Transition écologique : la nécessité de dire non
À l’issue de cette année difficile, quelles pourraient donc bien être les « bonnes résolutions » d’un média engagé dans la transition écologique et sociale comme Youmatter ? Continuer d’informer, de former, de sensibiliser sur les enjeux du changement ? Bien-sûr. S’engager encore pour un débat sain et nuancé au sujet des transformations écologiques ou de la justice sociale ? Évidemment. Participer toujours plus à la bataille culturelle qui se joue autour de l’écologie et des grandes évolutions de société ? Sans aucun doute. Ces combats, nous les menons depuis de longues années, et malgré la mise à l’épreuve constante de nos convictions, nous continuerons à les mener en 2023.
Mais face à l’inertie d’un système économique et politique qui refuse obstinément de se transformer, nous pensons que le rôle d’un média est aussi d’ouvrir les imaginaires, de participer à dévoiler des horizons différents, de contribuer à faire émerger des idées, des valeurs, une culture alternative. Comment sortir de ce capitalisme destructeur, injuste, qui détruit le vivant ? Comment penser autre chose ? Nous n’avons évidemment pas de réponse toute faite à ces questions. Mais nous avons la conviction que pour y parvenir, il faut d’abord commencer par dire non. Dire non au système actuel, à ses dérives. Dire non aux logiques et aux valeurs qui sous-tendent la casse écologique et sociale. Notre bonne résolution pour 2023 est donc probablement d’apprendre à mieux dire « non ».
Renoncer
Dire non, c’est d’abord renoncer. Comme le dit l’adage, « choisir, c’est renoncer », et choisir la transition écologique, c’est renoncer aux mythes de surabondance qui alimentent les moteurs du système économique contemporain. La crise énergétique nous a mis face à la nécessité de renoncer à l’abondance énergétique, au pied du mur, sous la menace des coupures de courant. Mais la transition écologique et son indispensable sobriété exigent bien d’autres renoncements. Notamment, dire non aux illusions de surconsommation vendues chaque jour par les communicants du capitalisme contemporain : acheter plus, moins cher, vivre à fond, plus vite, dans des espaces plus grands, voyager plus, plus loin, faire plus de profit, toujours plus. Renoncer à ces illusions, ce n’est pas renoncer au confort, aux aspirations au bonheur, à la joie. C’est au contraire le préalable pour imaginer d’autres formes de confort, de bonheur, et de joies, moins matérielles certes, mais bien plus réelles : l’épanouissement, les liens sociaux, l’empathie, la justice.
Nous voulons quant à nous symboliser ce renoncement au « toujours plus » : ne pas écrire pour ne rien dire, ne pas se lancer dans une course à la prise de parole qui stérilise ce que nous avons à dire, ni dans la course à l’audience qui nous obligerait à aller trop vite. Nous voulons aussi mettre en avant ceux qui renoncent à la croissance permanente, ceux qui pensent l’économie et la société par la soustraction du superflu plutôt que l’addition permanente, ceux qui pensent une civilisation à l’échelle humaine. Cette année, vous retrouverez ces convictions dans nos formats : des podcasts (dont un nouveau qui arrive à la fin du mois), des articles qui prennent le temps d’analyser, de réfléchir, qui explorent d’autres idées, même si elles ne sont pas tendance. Tant pis si cela nous oblige à renoncer au buzz, à renoncer à la notoriété, à renoncer à être un « grand média ». Nous sommes petits, et ça nous va.
Refuser
Dire non, c’est aussi refuser. Refuser quoi ? La liste est longue. Refuser la perte d’autonomie et de souveraineté qui s’opère de plus en plus dans l’espace social, bien souvent au détriment de la majorité des citoyens et au profit des grandes entreprises, des plus riches, des plus puissants. Refuser de coopérer ou de travailler avec ceux qui ne partagent pas les valeurs de justice sociale et environnementale. Refuser de croire dans les discours lénifiants qui étouffent les craintes et les colères légitimes avec des faux-espoirs : « la science et l’innovation résoudront tout », « les entreprises trouveront la solution », « l’Humain dépassera ses limites ». La vérité, celle que nous suggèrent les données scientifiques, c’est que la seule solution, c’est de refuser ces chimères, pour changer radicalement.
Et pour cela, nous pensons qu’il faut savoir dire non à certaines des logiques qui sous-tendent les sociétés contemporaines : dire non aux cultes de la performance, de la compétition, de l’innovation, de la « réussite ». En résumé, « refuser de parvenir », comme le suggèrent certains penseurs : refuser les honneurs, les atours du succès, déserter, bifurquer. Même si (et peut-être d’autant plus) cela semble trop radical ou hors système. Nous garderons ces principes à l’esprit, cette année et les suivantes, dans notre travail d’information, de formation, dans nos partenariats, dans notre ligne éditoriale, et notre ton.
Résister
Dire non, c’est enfin résister. On ne peut en effet que constater l’insuffisance des modes d’actions les plus consensuels pour faire bouger les choses. Consommer responsable, s’investir dans la RSE de son entreprise, sensibiliser, sont bien-sûr des gestes essentiels pour promouvoir des modes de production et des modes d’organisation collective différents. Mais face à l’urgence, il nous semble plus que jamais évident que la transition ne se fera qu’en allant plus loin. Alors que de plus en plus de citoyens passent d’éco-anxieux à « éco-furieux« , les modes de résistance évoluent. Pour dire non aux projets écocides, ce sont les ZAD. Pour dire non aux réformes absurdes, ce sont les grèves, les manifestations. Pour dire non à l’inertie du système, ce sont les éco-sabotages du quotidien, la désobéissance civile, les attaques en justice.
Cet activisme environnemental va-t-il trop loin ? Probablement pas, vu la gravité de la crise. Même les scientifiques appellent désormais à résister. Mais résister, pour un média, ça veut dire quoi ? Pour l’heure, cela peut être résister aux injonctions contradictoires du monde de la presse, résister aux sirènes du système qui voudrait bien nous avaler, profiter de chaque tribune, de chaque espace médiatique pour dire les choses, même celles qui fâchent. Et demain, qui sait, peut-être plus… ?
En attendant, nous espérons, par notre travail, favoriser l’émergence d’une culture différente, plus à même de porter une transition juste et écologique. En disant non au monde d’hier, nous espérons planter les graines du monde de demain. Et nous sommes, cette année encore, ravis de le faire avec vous, qui nous lisez, nous écoutez, nous posez vos questions, nous interpelez et nous aidez à avancer.
Bonne année à tous !
Photo de Florian Schmetz sur Unsplash