Enjeux. En première ligne face au changement climatique, les collectivités territoriales ont aussi un rôle indispensable pour adapter le territoire à ses effets. Mais la tâche est grande pour ces dernières, puisqu’elles doivent se projeter dans un futur assez incertain tout en assumant des investissements lourds, humains comme financiers.
Début novembre 2023, des pluies torrentielles s’abattent sur la vallée de l’Aa (Hauts-de-France) et ses alentours. En quelques semaines, ce sont 5 à 6 mois de pluie qui se déversent, laissant les chaussées des villes inondées, les infrastructures endommagées et les habitants démunis face à ces inondations exceptionnelles. Quelques mois plus tard, de nouvelles crues tombent sur certains départements de la région et provoquent des dommages supplémentaires. Coût de ces deux événements climatiques : « 640 M€, soit 90 M€ de plus (dont 75 M€ d’aggravation des sinistres de novembre et 15 M€ de nouveaux sinistres) », estime le réassureur public CCR (caisse centrale de réassurance).
« Globalement sur l’exposition au risque, ce sont 63% des communes des Hauts-de-France qui sont considérées comme vulnérables face à un des trois risques : inondations continentales, submersions marines et retrait gonflement des argiles (RGA) « , indique Élise Debergue, chargée de mission adaptation au changement climatique au Centre Ressource du Développement Durable (CERDD).
Les Hauts-de-France sont loin d’être une exception. Les dommages liés aux épisodes climatiques s’aggravent en France à mesure que la crise environnementale s’intensifie. Cette situation pousse les collectivités à adapter leur territoire par des investissements importants, mais non moins indispensables pour ne pas payer un « coût de l’inaction » dont le montant sera exponentiel dans les années à venir si rien n’est fait pour endiguer les effets du changement climatique.
Pour les collectivités, regarder vers le futur
« En France, les politiques d’adaptation au changement climatique ont pris du retard par rapport aux politiques d’atténuation, car elles ont longtemps sonné comme un aveu d’échec », souligne un rapport de France Stratégie sur l’adaptation au changement climatique. Un retard que la France tente désormais de rattraper.
C’est notamment l’objectif du troisième version du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC3) présenté par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires français, Christophe Béchu, début 2024. Il témoigne d’un changement de paradigme pour les collectivités, selon Guillaume Dolques, chercheur sur l’adaptation au changement climatique à I4CE, l’Institut de l’économie pour le climat.
En savoir plus : Changement climatique: la France se prépare à +4°C (youmatter.world)
Le plan d’adaptation offre en effet une perspective nouvelle en complément des documents de planification territoriale que sont les les Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), au niveau régional, et les plans climat-air-énergie territorial (PCAET) au niveau intercommunal. Car le regard des collectivités n’est plus seulement porté sur les événements passés, mais sur les potentiels défis futurs auxquels devra faire face le territoire français.
« Nous allons commencer à nous poser la question du climat futur lorsque nous allons investir dans la construction de routes, de bâtiments, etc, précise le chercheur de I4CE, ce qui n’était pas vraiment le cas jusqu’à présent ». Ainsi, la construction de nouveaux bâtiments, entre autres, s’appuie encore aujourd’hui sur la canicule de 2003. Et pourtant, dans ce scénario très probable du +4°C d’ici 2100 proposé par le plan d’adaptation du gouvernement, les vagues de chaleur de l’époque seront beaucoup plus fréquentes dans les prochaines décennies.
Les habitations construites sur les valeurs de 2003 sont donc d’ores et déjà anachroniques, parfois totalement inadaptées au futur climatique. Même chose pour les plans urbanistiques. « S’adapter, ce n’est pas seulement faire autre chose, tient à rappeler Guillaume Dolques, c’est s’assurer de la conformité des modernisations et qu’elles correspondent au futur climatique ».
Des actions “sans-regret” à mettre en oeuvre
« En agissant sur leur patrimoine et par l’exercice de leurs compétences [communes, départements, régions…] ont chacun un rôle crucial à jouer pour anticiper ces impacts et limiter leurs conséquences économiques, environnementales et sociales », affirme une note de I4CE sur les politiques d’adaptation pour les collectivités.
De nombreuses actions appelées « sans-regret » peuvent déjà être déployées par les collectivités afin de réduire les vulnérabilités sur les territoires concernés. “Sans-regret” car quelques soient ces innovations, elles doivent respecter certains critères : être adaptées et adaptables pour le futur et ne pas représenter un poids pour les générations futures et/ou participer à exacerber des vulnérabilités déjà présentes. Le tout en « limitant les effets verrous (empêchant le retour en arrière) et évitant la maladaptation », complète Élise Debergue.
Si certaines de ces actions sont bien déployées dans les territoires, à l’instar de la végétalisation des zones urbaines ou la débitumisation pour réduire les îlots de chaleur et favoriser l’évacuation des pluies, d’autres, notamment sur la gestion de l’eau, demandent des investissements nettement plus conséquents et une connaissance plus précise du territoire. « Dans le cas d’un cours d’eau, on va plutôt conseiller de le réaménager, de lui redonner son contour naturel, de retravailler la végétalisation des berges, de lui redonner son espace naturel pour que lors des crues, le cours d’eau ne vienne pas inonder des zones sensibles », précise la chercheuse du CERDD.
Autant dire que la mission est grande pour les collectivités qui doivent conjuguer écologie, déploiement de grands projets d’adaptation et intérêts des différentes parties. Un numéro d’équilibriste où l’argent et les moyens humains manquent bien souvent.
Dans ce cadre, le Plan national d’adaptation sera une feuille de route pertinente pour les collectivités, s’accordent à dire Élise Debergue et Guillaume Dolques. Reste à voir s’il sera suivi d’une aide cohérente, financière mais surtout humaine de la part de l’État pour accompagner les territoires.
Photo par Nikola Tomašić, pour Pexels.