Les JO d’hiver 2030, qui se dérouleront dans les Alpes françaises, suscitent déjà une vive controverse environnementale, alors que le manque d’enneigement entrave durablement la viabilité des stations de ski. Derrière cet événement sportif, c’est tout un modèle économique en déclin qui cherche à survivre, malgré la menace du changement climatique. Pour nous raconter cette difficile transition, Youmatter est allé à la rencontre de Valérie Paumier, présidente et fondatrice de Résilience Montagne. Elle appelle depuis de nombreuses années déjà à inventer un nouveau modèle plus durable pour les territoires de montagne.
Youmatter. Comme pour les Jeux olympiques de Paris, le bilan environnemental des JO d’hiver de 2030, qui vont se dérouler dans les Alpes françaises, est déjà un sujet de controverse. Certains ont appelé dans ce cadre à organiser des « jeux olympiques d’hiver sobres », y croyez-vous ?
Valérie Paumier : Non, je n’y crois pas. Certains cabinets de conseil en transition appellent à des Jeux à « moindre impact », mais tout dépend de la définition qu’on veut bien donner aux mots. En 2030, personne ne sait dire s’il y aura de la neige, et même s’il y en a, il n’en faudra pas seulement 10 cm. Dans cette situation, il faudra quoi qu’il arrive faire croire au monde entier que les Alpes sont enneigées, donc ils vont mettre le paquet pour créer cette illusion. Au-delà de l’enneigement, c’est compliqué de parler de moindre impact quand la première source d’émissions carbone de la montagne est liée à la mobilité. On va faire venir encore plus de monde de Nice au Léman, et on espère pouvoir résoudre ce problème d’ici 2030. Le deuxième facteur d’émission, ce sont les passoires thermiques en montagne. Il y a plus de 3 millions de lits touristiques, dont les trois quarts sont des passoires thermiques. Donc comme ils vont construire du lit neuf qu’il va falloir vendre, il n’y aura pas de rénovation énergétique. En montagne, c’est l’immobilier qui tient le modèle économique depuis toujours. On construit des lits touristiques en masse pour loger des gens une semaine par an. Ces logements sont très chers et ne sont pas destinés à la clientèle de proximité. Pourtant, les chiffres de l’Insee le montrent, plus ils construisent de lits touristiques en station, plus les villages se dépeuplent à l’année. C’est-à-dire que les résidents permanents se barrent parce qu’ils ne peuvent plus se loger. Dans les faits, les deux principaux postes émetteurs seront aggravés et ne seront pas travaillés. Déjà dans ces conditions, ces jeux olympiques d’hiver ne peuvent être « sobres ».
Comment faire pour adapter les communes de montagne au changement climatique ?
Il n’y a pas une solution simple. Ce qu’on peut dire c’est qu’aujourd’hui, en dessous de 1 000 à 1 500 mètres, nous savons qu’à très court terme, ces stations sont déjà condamnées. Mais même à ces altitudes, on continue d’investir dans le « tout-ski ». Je ne juge pas cela, la neige a tiré ces populations d’une grande pauvreté et de la précarité dans les années 1960. Il est certain que les habitants des montagnes n’ont aucune envie de vivre comme leurs grands-parents et arrière-grands-parents. Mais si on n’anticipe pas une planification de sortie du ski, de toute façon les villages vont se vider. On l’a vu ces dernières années à la station de l’Alpe du Grand Serre en Isère, la station a annoncé qu’elle allait fermer ses portes. Elle est en faillite.
Pourtant, rien ne change vraiment ?
Depuis 2008, la Cour des comptes alerte sur le manque d’adaptation des stations des Alpes du Nord face au changement climatique. Elle a publié en février 2024, un nouveau rapport qui a frappé très fort, et qui appelle à un changement radical dans la gestion des montagnes. Pourtant, des responsables comme Laurent Wauquiez (député DR et ancien président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, NDLR) et Renaud Muselier (Président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, NDLR) minimisent ces alertes et expliquent même que la Cour des comptes est « dogmatique ». Pour eux, leur vision à long terme pour les montagnes, ce sont les JO de 2030. Globalement, on va injecter des milliards d’euros, 4 à 5 milliards tout de même, dans un modèle économique moribond. En 1992, les JO ont laissé une dette énorme à Albertville, qui en sort à peine. Si les JO de 2030 nécessitent 20 à 25 ans pour amortir leurs dettes, ce ne sera pas tenable, car il n’y aura plus de neige d’ici là. Les stations vont crouler sous les dettes, sans possibilité de l’éviter. Le problème c’est qu’aucune activité économique ne remplacera les 9 milliards d’euros du ski. Nous devons réécrire l’histoire dans les montagnes, même si elle est moins rentable économiquement. Une station l’a fait, celle de Métabief dans le Jura. Ils sont toujours en cours de transformation, mais ils avancent.
Comment les élus locaux réagissent-ils à ces enjeux ?
Les élus en place sont souvent élus pour sauver le business du ski. Autour des tables de décision, on trouve des moniteurs de ski, des promoteurs immobiliers, et des propriétaires d’hôtels. Les lobbies du ski sont très puissants, et ils bloquent toute législation qui pourrait limiter l’immobilier secondaire ou les zones tendues en montagne. Il est donc difficile de parler d’intérêt général quand tout le monde a un intérêt dans l’immobilier et le ski. Le livre La neige empoisonnée, écrit en 1975 et que nous avons réédité il y a deux ans, dénonce les rapports entre l’argent, l’immobilier, la politique et la montagne. Il est malheureusement toujours d’actualité, sauf qu’aujourd’hui, nous avons en plus les effets du changement climatique.
Quelle est votre vision pour l’avenir des territoires de montagne ?
Il faut arrêter de croire que le ski est la seule solution. Les villages de montagne doivent se tourner vers d’autres modèles économiques, comme l’agriculture de montagne. La résilience alimentaire devrait être une priorité. Les terres agricoles sont une richesse oubliée de ces territoires qui sont souvent bétonnées pour le ski. Il faudrait parvenir à geler les PLU (Plans Locaux d’Urbanisme, NDLR.) pour arrêter la spéculation foncière et préserver ces terres. Enfin, il faut également une vraie concertation entre tous les acteurs locaux pour construire un avenir durable et trouver des solutions de transition de l’emploi aux travailleurs, qui ont logiquement peur de perdre leur emploi.
La neige empoisonnée, Danielle Arnaud, 1975, réédition Ed. Inverse, 368 pages, 20 €.
Crédit : Joan, Franchet, Albertville, Auvergne-Rhône-Alpes, Flickr.