Le changement climatique bouscule le quotidien de nombreuses communes qui doivent faire le choix d’abandonner certaines activités ou projets majeurs sur le territoire. Un renoncement parfois difficile, mais qui, pour les maires est indispensable pour penser l’avenir et engager une transformation écologique. 

« Je suis élue d’un territoire de haute montagne, situé dans les Alpes du Sud, dont la principale économie aujourd’hui est celle de la neige et du tourisme de montagne. Mais j’ai entamé une transition sur mon territoire parce que le modèle « tout ski », c’est fini », raconte Élisabeth Jacques, présidente de la Communauté de Communes Vallée de l’Ubaye – Serre-Ponçon lors du colloque organisé par La Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) le 23 mai 2024.

Depuis quelques décennies, le changement climatique et les périodes d’enneigement moins importantes et moins longues qui en résultent entraînent immanquablement le déclin du tourisme hivernal, du moins dans sa forme actuelle centrée sur la pratique du ski. Certaines stations tentent coûte que coûte de maintenir les domaines skiables, quitte à rejoindre une liste grandissante de stations « fantômes », abandonnées fautes de neige, à l’instar de la « Saint-Honoré 1500 » dans l’Isère. 

Pour éviter d’en arriver là, d’autres communes font en toute conscience le deuil d’une partie des activités qui ont fait la renommée de leurs paysages alpins. Mais ce renoncement est loin d’être évident. Pour la communauté de communes Vallée de l’Ubaye – Serre-Ponçon, l’entretien des trois stations de ski alpines et des deux stations de ski nordiques du domaine skiable de la région, coûtent en effet plusieurs millions d’euros. Qui ne vont pas avoir les retours sur investissement escomptés. 

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Renoncer, c’est aussi s’adapter

« Il y a un double horizon à cette question du renoncement qui commence à s’imposer dans les collectivités », explique Alexandre Monnin, Philosophe à l’ESC Clermont Business School et auteur de l’ouvrage Politiser le renoncement. « D’abord, on peut renoncer à des éléments auxquels de toute façon on n’aura pas le choix de renoncer, si à l’avenir il n’y pas plus de neige, ou si le trait de côte recule par exemple. Mais l’on peut aussi renoncer dans une optique d’atténuation, pour éviter que nos activités nuisent au maintien des conditions d’habitabilité de la Terre ». 

Pour illustrer cette seconde forme de renoncement, le philosophe prend l’exemple des villages du pays de Fayence dans le Var qui ont décidé, au prix de leur développement, de ne plus accorder, pour les cinq prochaines années, de permis de construire de nouvelles habitations. Une résolution inédite en France afin de répondre aux violentes sécheresses et aux pénuries d’eau qui frappent la région. Autre exemple, la communauté de Caen-la-Mer a également mis en pause le développement d’un écoquartier de 2500 habitations (Nouveau Bassin) à la suite de données générées par un Giec local. Les élus ont fait le constat que la hausse du niveau de la mer avait été sous-estimée lors de la validation du projet, et que le nouveau quartier pourrait bien être menacé par des inondations. 

Pour Alexandre Monnin, le renoncement implique de se projeter autrement politiquement et symboliquement pour que les renoncements ne soient pas vécus comme des échecs, mais au contraire comme des éléments qui sont nécessaires à la transformation durable du territoire. Alors, comment valorise-t-on l’idée de ne rien faire ? « Quand on prend le choix de ne pas faire, c’est déjà une action : on valorise la préservation des espèces », assure Élisabeth Jacques. Pour la maire, le renoncement ne doit pas être une norme, mais un élément essentiel du mode de raisonnement des collectivités et des élus pour l’adaptation des communes.

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Les territoires ruraux, le cœur des biens communs naturels

Ce renoncement politique et symbolique résonne aussi avec le travail mené par l’association lors de son Grand atelier des Maires ruraux pour la transition écologique, souligne Fanny Lacroix, vice-présidente des Association des maires ruraux de France (AMRF) . « Le sujet de la transition écologique appartient aux territoires ruraux, puisqu’ils représentent 88% de l’espace. Et les communes rurales ne représentent pas qu’une faible densité de population, nous représentons aussi des forêts, des rivières, des alpages, des montagnes… », explique la maire lors de la table ronde. Des paysages qui apportent de nombreux biens communs naturels (sols agricoles, eau, bois, faune et flore) et des aménités rurales indispensables à la transition écologique. 

Les deux maires, Fanny Lacroix et Élisabeth Jacques, regrettent cependant le manque de moyens d’action des élus pour engager cette transformation de leur territoire. Comme le note le rapport produit à l’issue du Grand atelier des maires ruraux, « La ruralité veut choisir, mais pas subir ». Les élus locaux demandent à être plus associés aux décisions et à la planification du territoire. Ils appellent l’État à leur donner les moyens d’organiser la transition écologique. Comme le note l’AMRF, « Les élus ruraux ont besoin d’ingénierie et de compétences techniques, administratives, financières et juridiques sur tous les sujets d’énergie, ainsi qu’une simplification administrative et une décentralisation adaptée aux territoires ».

Photo du puy de Sancy de Stephane Marechal via Flickr.

Politiser le renoncement, Alexandre Monnin, Éditions Divergences, 2023, 160 p., 15,00 €.