Face à la montée des eaux et aux risques climatiques croissants, la Cour des comptes préconise un réaménagement total du territoire du littoral méditerranéen, quitte à opérer une relocalisation des équipements publics mais aussi de certaines résidences principales dans certains cas. Un changement de paradigme nécessaire pour éviter des coûts humains et financiers qui risquent de devenir insoutenables.

Pris en étau entre son dynamisme économique, touristique et culturel, et les effets du changement climatique, le littoral méditerranéen français, long de 1700 km et où la densité de population peut atteindre les 700 habitants au km2, est à la veille d’une profonde métamorphose. 

Le changement climatique frappe tout particulièrement cette région du monde qui se réchauffe en moyenne plus rapidement que le reste de la planète. Les conséquences sont connues : montée des eaux, risques d’inondation, sécheresses et feux de forêts. Une menace qui a un coût, humain, social et financier qui devient de plus en plus insoutenable. Et qui n’est pas suffisamment prise en compte par les autorités locales. « Les collectivités du littoral méditerranéen ont réagi en ordre dispersé, minorant souvent les effets, faisant prévaloir des intérêts immédiats sans réflexion sur le long terme, sans mettre en rapport les choix d’aménagement », alerte ainsi la Cour des comptes dans un rapport de janvier 2025

« Pour éviter aux acteurs publics, dont l’État, de se voir confrontés à une absence de soutenabilité des coûts lors d’évènements exceptionnels, une logique d’accompagnement à la prévention et au relogement pourrait se substituer à la logique indemnitaire réparatrice du préjudice subi », estime ainsi le rapport issu du travail conjoint de La Cour des comptes et des chambres régionales d’Occitanie, de PACA et de Corse. Un changement de paradigme conséquent pour les collectivités qui doivent réorganiser totalement leur territoire et pas seulement leur littoral. 

La Méditerranée, un territoire vulnérable face au changement climatique

Dès les années 1960, le littoral médiaterranéen connaît un fort développement poussé par de nombreux investissements publics. Les littoraux se couvrent d’immeubles, de digues, et d’activités commerciales tournées principalement vers le tourisme et les industries portuaires et maritimes. À ce jour, la côte méditerranéenne compte 3,3 millions d’habitants, dont la grande majorité se concentre en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pour autant, la région Occitanie et la Corse, bien que moins urbanisées, connaissent une évolution annuelle de leur population plus importante que les autres régions de France. « En région Occitanie, le nombre d’habitants des départements littoraux a augmenté, entre 2015 et 2021, plus de deux fois plus vite qu’en France (hors Mayotte), et en Corse, presque trois fois plus vite », explique le document de la Cour des comptes. 

Comme le montre différents travaux du GIEC, au niveau international, et les études prospectives plus régionales, à l’instar du rapport MED 2050 du Plan Bleu publié en janvier 2025, le pourtour méditerranéen devrait subir une menace multiple et croissante de risques de submersion, d’effacement des dunes, de mouvements de terrain et d’érosion des littoraux. Des phénomènes aggravés par l’urbanisation et les politiques d’artificialisation qui ne ralentissent pas réellement. « Le Cerema a estimé qu’à l’horizon 2100, plus de 55 300 logements seraient menacés par le recul du trait de côte, dont près de la moitié en région Occitanie », complète la note. Elle pointe en outre les dangers que représentent ces effets du changement climatique anthropique sur les plusieurs centaines de milliers d’emplois de la région, dont la majorité est liée au secteur du tourisme. 

Des coûts insoutenables et de moins en moins assurables

Au-delà des destructions, se pose alors la question de trouver des financements pour réparer et indemniser les pertes des entreprises et des habitants. Pour la Cour des comptes, c’est ici que le bât blesse. Rien que sur la valeur des biens exposés par la seule montée des eaux à l’horizon 2100, le coût des dommages pourrait s’élever sur le littoral méditerranéen à 11,5 milliards d’euros. « À brève échéance et à cadre constant, le système assurantiel et indemnitaire ne pourra supporter la couverture de la réalisation et de l’intensification des risques », assure  l’institution française. On parle ainsi, dans les 30 prochaines années, d’un coût cumulé d’indemnisation de 54 milliards d’euros, selon les données des assureurs eux-mêmes. Des prévisions sous-estimées.

Voir : Le coût exorbitant et sous-estimé des catastrophes « naturelles »

Certaines villes, comme les Sables d’Olonnes en Vendée, ou la commune de Breil-sur-Roya dans les Alpes-Maritimes, touchées par la tempête Alex en 2020, ont même été lâchées par leurs assureurs respectifs, faute de garantie pour l’avenir. Le coût des catastrophes naturelles sont donc dans ce cas assumés soit par les collectivités, soit par l’État via des dispositifs et des fonds d’aide aux victimes. 

Suite au passage de la tempête, l’État avait débloqué 120 millions d’euros au titre de la Dotation de Solidarité pour l’Équipement des Collectivités (DSEC) pour réparer les biens publics et rétablir les services essentiels. Pour faire face aux catastrophes naturelles, le Fonds Barnier, dédié à la prévention des risques naturels majeurs et doté de 205 millions d’euros, a lui aussi été mis à contribution, avec des abondements exceptionnels de 50 millions d’euros en 2021 et 30 millions en 2022 pour la tempête Alex. Puis, la dotation a été portée à 220 millions d’euros en 2024, et devrait au moins grimper à 300 millions d’euros lors de l’examen de la proposition de loi en mars 2025. 

Vers une logique de prévention et de relogement

Un enjeu financier énorme que la Cour des comptes, en charge du contrôle des comptes publics, ne souhaite plus voir porter en totalité par l’État. « Le coût de l’indemnisation des événements exceptionnels comme des solutions à plus long terme doit inciter l’État à modifier son approche pour l’orienter vers une logique d’accompagnement à la prévention et au relogement », conclut-elle. 

C’est le cas déjà sur l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, où la relocalisation des habitations de Miquelon, menacées par la montée des eaux, a été privilégiée après de longues années de concertation. Plutôt que de construire des infrastructures faillibles, et de reconstruire indéfiniment après chaque catastrophe, il s’agit dorénavant de déplacer les populations et les infrastructures vers des zones moins exposées. Cette méthode permet non seulement de réduire les coûts à long terme, même si cela implique un long travail de préparation, de sensibilisation et de débats pour parvenir à impliquer tous les habitants des villes concernées par le changement climatique. 

En savoir + : Adaptation climatique : l’exemple de la relocalisation de Miquelon

Préparer l’avenir des littoraux

La Cour des comptes appelle de ce fait à trouver de nouvelles solutions pour l’adaptation des littoraux bordant la Méditerranée, notamment en commençant par rendre obligatoire l’élaboration de stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte dans les zones les plus menacées. Elle insiste également sur la nécessité de généraliser les projets partenariaux associant les communes littorales et leur arrière-pays, afin de mutualiser les efforts et les ressources. Enfin, elle appelle à « une redéfinition de la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, Ndlr.) afin d’y inclure, à titre obligatoire, la gestion du trait de côte », et à mieux mobiliser les ressources de la taxe qui est associée au dispositif.

En privilégiant la prévention et la relocalisation, l’État pourrait non seulement limiter les coûts exorbitants des indemnisations, mais aussi protéger durablement les populations et les territoires. Dans un contexte où le changement climatique rend les événements extrêmes de plus en plus fréquents et/ou violents, cette approche proactive de relocalisation, même si elle est coûteuse émotionnellement pour les habitants, est sans doute – du moins dans certains territoires – l’unique solution viable à long terme pour assurer la résilience des zones littorales méditerranéennes.

Illustration : Canva