Les Grands Sites de France regroupent les joyaux touristiques de la France. Depuis 20 ans, ces lieux touristiques prisés accueillent des millions de visiteurs chaque année. Cette gestion de la fréquentation est souvent complexe, mais le réseau a pu démontrer son efficacité pour éviter les dérives du « surtourisme ».
Voyager en France c’est bien ! Mais visiter les mêmes lieux peut aussi conduire au « surtourisme » ! Dans l’Hexagone et dans les territoires d’outre-mer, 20 % du territoire concentre en effet 80 % des flux touristiques. Parmi ces lieux emblématiques, les sites labellisés Grands Sites de France qui comptent 53 sites naturels ou construits, comme le château de Chambord, les Gorges du Verdon, le Marais poitevin ou la baie de Somme. S’ils ne représentent que 1,6 % du territoire, ils accueillent chaque année 38 millions de visiteurs, français comme étrangers.
Depuis 2021 et le retour des activités touristiques après la crise du Covid-19, ces sites sont victimes de leur succès. Ils ont vu leur fréquentation augmenter de 20 à 200 % selon les sites. Un bénéfice certain, culturel comme économique, mais qui n’est pas sans conséquence sur la préservation des lieux. Alors comment faire pour que ces joyaux du patrimoine continuent à faire rayonner le tourisme hexagonal sans nuire à leur conservation et celle de leur environnement ?
Après la pandémie, le retour du tourisme de proximité
L’exemple des Grands Sites de France est particulièrement intéressant. Car c’est la problématique de la fréquentation qui est en réalité à l’origine de leur création dans les années 1970, rappelle Louis Villaret, Président du Réseau des Grands Sites de France (RGSF) dans une série d’interviews en juin 2023 réalisée lors du séminaire « Comment gérer durablement la fréquentation dans les territoires patrimoniaux ? ».
De fait, le tourisme connaît une croissance quasi ininterrompue depuis plusieurs décennies, dopé par la démocratisation de l’avion et l’émergence de classes plus aisées dans le monde. Et après la chute de fréquentation liée à la pandémie, fin 2023 le tourisme international avait presque atteint ses niveaux d’avant le Covid, avec un nombre d’arrivées internationales atteignant 1,3 milliard, selon l’Organisation mondiale du tourisme.
En France, ces dernières années, la forte hausse de la fréquentation des sites hexagonaux a également été dynamisée par le retour à un tourisme de proximité, plus local, comme le souligne Sébastien Jacquot, Maître de conférences et directeur de l’Institut de Recherches et d’Études Supérieures du Tourisme (IREST) à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne dans une des interviews.
« Une appétence nouvelle est apparue après la crise sanitaire pour les espaces naturels, notamment les plus sensibles », complète Soline Archambault, directrice du Réseau des Grands Sites de France. « Nous avons eu le besoin et l’envie de nous ressourcer et de nous reconnecter à la nature. Et cela induit une pression nouvelle sur les sites qui historiquement existait déjà, mais qui s’est concentrée après 2020, et qui nous a invités à nous réinterroger sur notre gestion de la fréquentation », précise-t-elle lors du séminaire.
Surtourisme : des sites touristiques en surchauffe
En France comme à Amsterdam (Pays-Bas), Barcelone (Espagne), Venise (Italie), ou Fujikawaguchiko (Japon), les hauts lieux touristiques doivent ainsi faire face à ce que l’on appelle désormais le « surtourisme ». L’afflux et le comportement parfois inadapté des touristes représentent une menace pour l’environnement et participent à détériorer la qualité de vie des résidents. Jusqu’à créer une défiance des populations et des défenseurs de l’environnement face au tourisme.
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Pour la DGE ou le RGSF, qui préfèrent parler de « gestion des flux touristiques » et de « pics de fréquentation », la forte affluence touristique oblige alors les sites à se livrer à un jeu d’équilibriste pour préserver leur environnement et leur modèle économique. Certains lieux commencent ainsi à imposer des quotas d’accès, des taxes, voire des interdictions totales, ou bien des campagnes de « démarketing ». Les Grands Sites de France ont eux opté pour le dialogue entre les parties prenantes (collectivités, habitants, entreprises, associations…) et une stratégie en trois axes, favorisant le comportement d’un tourisme durable, la diffusion des flux touristiques dans l’espace, et dans le temps.
Une gestion durable du tourisme, le cas du Canigó
C’est le cas du Massif du Canigó dans le département des Pyrénées-Orientales. Ces dernières années, ce site classé « Grands Sites de France » est passé d’une fréquentation subie et nocive, à un lieu de tourisme plus durable.
« Dès la fin du XIXe siècle, il y a un projet de construction d’un refuge ‘confortable’, dont la vocation est d’accueillir des touristes, notamment des curistes », retrace Aude Vivès, présidente de Pyrénées-Orientales Tourisme lors du séminaire« Comment gérer durablement la fréquentation dans les territoires patrimoniaux ? ». « Dès 1903, les premières voitures arrivent au refuge des Cortalets à 2150m d’altitude ». Puis le tourisme motorisé se développe tout au long du siècle. Routes, trains touristiques, stations de ski, téléphériques, golf fleurissent alors sur les flancs du massif au détriment de l’environnement.
Finalement, la tendance s’inverse à partir de 1994. « Une tranchée, creusée à 2 200 mètres d’altitude pour contenir la divagation des véhicules sur la piste reliant les deux versants, suscite de vives réactions et marque un tournant dans la trajectoire touristique du massif, posant les bases du projet de gestion du site », mentionne le guide du Réseau des Grands Sites de France sur la gestion durable de la fréquentation touristique.
Près de 40 kilomètres de pistes motorisées sont fermés au public entre 2008 et 2020, condamnant les principaux accès aux refuges de Mariailles et des Cortalets. « L’objectif était de reculer au fur et à mesure l’accessibilité en voiture du site. Et nous avons été aidés par les éléments climatiques, puisque l’accessibilité a été complètement obérée en 2019 avec la tempête Gloria et l’effondrement d’une partie de la route », ajoute Aude Vivès. Aujourd’hui, l’accès aux véhicules à moteur est contenu sous les 1 000 mètres d’altitude. En parallèle, tout un réseau de sentiers pédestres, équestres et cyclistes a été déployé à destination du public.
« Le pic du Canigó fonctionnait comme un site ponctuel de visite, presque comme un monument. Tout le travail a été de déconcentrer la fréquentation pour essayer de mieux la répartir et mieux la diffuser sur le territoire vers d’autres points d’intérêts et d’autres éléments qui constituent la richesse de notre patrimoine architectural, religieux, militaire, immatériel, et naturel », conclut Florian Chardon, directeur du Grand Site de France Massif du Canigó. Une stratégie qui lui vaut d’être souvent citée en exemple comme un modèle de gestion responsable des flux touristiques.
Tourisme en France : la rançon du succès
Avec ses 98 millions de visiteurs internationaux en 2023, la France occupe la première place en termes d’arrivées touristiques, devant l’Espagne et les États-Unis. Des résultats qui s’expliquent par sa position stratégique au centre de l’Europe de l’Ouest mais également grâce à la reconnaissance mondiale de sa culture, de son histoire et de ses villes, monuments, et sites naturels dont la France profite grandement. En 2023, les visiteurs étrangers ont rapporté 63,5 milliards d’euros, un record sans précédent. Mais la gestion des flux touristiques est devenue un enjeu essentiel pour la France. En juin 2023, le gouvernement a ainsi lancé sa stratégie nationale de lutte contre le surtourisme portée par le ministère chargé des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme. Objectif : préserver l’équilibre entre l’attractivité locale et la protection des lieux et leur biodiversité.
Photo de l’Abbaye Saint-Martin-du-Canigou, Thierry Llansades, depuis Flickr.