Parce qu’elles naviguent au sein d’une mondialisation turbulente, les entreprises du XXIème siècle doivent battre pavillon immaculé. Raison pour laquelle les comités de gouvernance et d’éthique y tiennent un rôle toujours plus prégnant.
Éthique et gouvernance : les exigences du « consomm’acteur »
Le début de XXIème siècle n’est plus à l’hystérie technicienne triomphale qui caractérisait 1900, ni à l’euphorie consumériste des Trente Glorieuses. Non, après des crises économiques sans précédent, des taux de chômage record et des projections toujours plus alarmistes quant au réchauffement climatique, l’excitation liée au commerce a laissé place à une inquiétude générale intense.
Et cette inquiétude interroge les entreprises elles-mêmes, puisque dans un système d’échange et de concurrence mondialisée, les politiques nationales se trouvent relativement désarmées pour lutter efficacement contre des excès difficilement traçables. Ainsi, en réaction, a-t-on vu s’affirmer peu à peu la figure d’un « consomm’acteur » qui a saisi que l’acte d’achat, en plébiscitant ou en sanctionnant, peut parfois avoir plus d’impact qu’un bulletin de vote sur ses propres conditions de vie futures.
Benoît Héry, président de DraftFCB et co-fondateur de DiversiT (agence de conseil en management de la diversité) insiste, dans Le Nouvel Économiste, sur la force d’influence de cette nouvelle autorité de contrôle : « Les entreprises qui sont dans le discours alibi courent le risque de porter atteinte à leur réputation qui, aujourd’hui, est leur premier actif immatériel. Or, depuis l’avènement d’Internet, le consommateur est devenu le maître de cette réputation : plus que jamais on consomme une marque avant de consommer ses produits et ses services. »
Le développement des chartes éthique dans les entreprises
Prendre des engagements vis-à-vis de ce nouveau consommateur – qui confère à son acte d’achat une dimension citoyenne – et pouvoir lui garantir qu’on les tient, ces engagements : voilà ce qui est devenu un enjeu essentiel pour une grande entreprise aujourd’hui.
Pionnière en la matière, Suez a commencé d’instaurer un dispositif adéquat, il a dix ans, lors de sa fusion avec Lyonnaise des Eaux. Gérard Kuster, responsable de l’éthique, expose, dans le JDN, l’élaboration, phase après phase, de ce dispositif : « Un travail de détermination des valeurs fondamentales du groupe a (…) été réalisé. Il a donné lieu à la rédaction de la première charte éthique. Un code de conduite a suivi, détaillant comment appliquer ces grands principes. L’action a été prolongée avec la nomination d’un déontologue, d’une direction de l’éthique – assortie d’un réseau de 93 déontologues dans le monde – ainsi que d’un comité d’éthique composé de quatre administrateurs. »
Si cette organisation nouvelle paraît assez lourde à mettre en place, l’entreprise en tire quoi qu’il en soit un avantage effectif en termes de gouvernance. Formuler une ligne claire est en effet toujours bénéfique, renforçant à la fois la cohésion en interne et l’impact de la communication.
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Éthique et gouvernance : un contrôle permanent
Ces instances de contrôle permettent aussi d’entretenir une cohérence supérieure au sein des nombreuses entreprises fonctionnant sur le modèle du réseau.
Par exemple, chez Système U, Serge Papin, à la tête d’une coopérative de commerçants de la grande distribution, défend, selon ses expressions : le « consommer mieux » et le « local durable ». (3) C’est pourquoi tous les magasins du réseau sont tenus de proposer des produits qui soient en même temps issus de l’agriculture biologique et inscrits dans l’économie locale. Dans un cas comme celui-ci, le Comité d’éthique donne le cap à l’ensemble et coordonne. Par ce biais, c’est une nouvelle culture d’entreprise qui se fait jour, totalement imprégnée des impératifs de l’époque : davantage de verbalisation, de transparence, de contrôle et d’instances démocratiques.
Alors certes, le fonctionnement peut être plus contraignant, et l’on peut regretter une précédente liberté d’agir plus instinctive, plus autonome, plus décomplexée. Mais si l’on admet que les responsabilités attribuées désormais aux entreprises par les consommateurs sont infiniment plus grandes que par le passé, à juste titre, n’est-il pas naturel que celles-ci se plient désormais à des contraintes à la mesure de l’enjeu ?
Nouvelles méthodes de gouvernance, nouveaux outils
Si ces nouvelles méthodes impliquent un fonctionnement plus complexe, celui-ci peut également être fluidifié par l’emploi de nouveaux outils, les systèmes d’information venant en soutien du comité déontologique.
Optic 2000 a, par exemple, équipé tous ses opticiens d’un logiciel de vente commun sécurisé (PVO), enrichi d’un système antifraude pour le tiers payant (TPO). Comme le note Yves Guénin, secrétaire général d’Optic 2000, outre l’efficacité, « ces outils de reporting permettent d’inscrire le Comité déontologique au cœur de l’action de l’entreprise et d’éviter que ce dernier ne se transforme en une lointaine et obscure instance composée de « Sages ». Ainsi « faire vivre » le Comité éthique passe par la formalisation des valeurs que le réseau compte concrètement mettre en place. » Au sein de l’enseigne Optic 2000, le reporting imposé par l’outil informatique est au service des engagements de la charte, dont l’application est vérifiée par le Comité déontologique.
Pour une fois, dans l’histoire récente du capitalisme, c’est donc une révolution morale qui entraîne l’emploi de nouvelles techniques et de nouvelles pratiques au sein de l’entreprise, et c’est entre les exigences du consomm’acteur et la vigilance des Comités d’éthique que s’invente, sans doute, l’économie de demain.
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