« De l’art de se voiler la face » rassemble six artistes contemporains qui ont choisi de croiser les regards des hommes et des animaux pour livrer leur vision du monde. Six artistes ayant fait des questions du développement durable l’un des axes de leur création. D’une quête des origines, à la dénonciation des excès de la modernité. 

Qui oserait proclamer « Je suis un animal, tu es un animal, il est un… » ? L’Homme a toujours tenté de se soustraire à cette comparaison, et refusé toute filiation ou parenté avec l’animal. Nous arborons fièrement des qualités exceptionnelles. Langage, transmission de la mémoire, disposition à créer des œuvres d’art, à laisser une trace dans l’histoire. Et pourtant l’animal n’est pas loin. Dans notre assiette, sur nos épaules, au bout du lit. Il mute en laboratoire pour notre santé, s’éteint ou prolifère pour mieux nous dévorer. Finalement, n’est-ce pas dans la mort qu’hommes et animaux, réduits à un crâne ou à un simple tas d’os, se réconcilient ?

« Que le plus coupable périsse » (Les Animaux malades de la peste, Jean de La Fontaine) 

L’universalité, l’homogénéité  du monde vivant trouverait-il son ciment dans ce tas de poussière ? Ou, au contraire, la vie de l’homme et ses excès qui conduisent à la mort seraient ce qui la différencie du monde animal. Sa soif intarissable de pouvoir, ses défauts, ses vices, ses envies, son goût à divertir, à instruire… La fable Les Animaux malades de la peste dévoile ce comportement de l’Homme. Afin d’éradiquer la peste dévastatrice, le pouvoir décide que le plus faible sera sacrifié en lieu et place des coupables pour le bien commun. Un « bouc émissaire » qui symbolise ce qui distingue véritablement l’homme du genre animal : cette propension à l’arbitraire raisonné, à la justification de la véritable horreur, capable d’attribuer à l’autre une qualité « animale » que l’animal ne possède pas… La cruauté. Dès lors l’animal apparaît comme un passeur, celui qui délivre les messages que l’homme n’est plus capable de défendre.

Depuis plusieurs années la Galerie Maubert fait dialoguer les œuvres et aborde les arts sous l’angle de la comparaison. En orientant son travail vers une lecture thématique, elle souligne la façon dont les artistes s’enrichissent les uns des autres, dans la mixité des genres et des médiums. L’exposition De l’art de se voiler la face réunit les talentueux artistes Éric Guglielmi, Hans Lemmen, Erik Nussbicker, Lionel Sabatté, Szajner et Edwart Vignot.

Eric Guglielmi, What happens?, Alabama, Montgomery, 2014.
Eric Guglielmi, What happens?, Alabama, Montgomery, 2014.

Questionner notre place dans la nature, interroger le vivant : une communion intime 

Szajner, l’étonnant compositeur, théoricien de la musique et artiste plasticien, explore ici le mystère de la vie, l’invisible, ce que l’on ne peut voir. Il dénonce, à travers des vanités contemporaines en référence à l’histoire de l’art, comment notre société spécule sur les biens inestimables offerts par la nature. Un déséquilibre que l’on ne veut pas voir.

Chez le photographe Éric Guglielmi, qui s’appuie sur une démarche organisée autour de la marche, l’attente et l’observation, l’animal n’intervient que pour mettre en avant les différences de perception de la violence des actes humains, l’illusion d’une liberté fantomatique et l’urgence de l’action de l’homme.

Les œuvres du plasticien, performer et scénographe Erik Nussbicker éprouvent notre regard sur la mort, les limites de notre enveloppe charnelle, notre place dans la nature. Hybridations psychopompes, façonnées notamment à partir d’ossements d’animaux ou d’exosquelettes d’insectes, elles sont pour l’homme un terrain d’actions : souffler, jouer, nourrir, méditer… Des rituels apotropaïques pour mieux comprendre le monde, nos origines, notre finalité.

Le travail de Lionel Sabatté, artiste connu pour ses loups hurlant à la lune et réalisés à partir de la poussière du métro Châtelet, interroge sur le vivant et sa régénération. En utilisant des matériaux récupérés – poussières humaines, pièces de monnaies, ongles, peaux mortes, thé noir du Yunnan – il redonne corps, répare. La mort et la vie communiquent. La beauté et l’informe s’accouplent. Corps humains nichés au cœur d’un papillon, ou animaux reproduits à partir de restes humains, ses sculptures induisent une réflexion sur le temps, l’histoire et ses échanges, un voyage au cœur des formes de la nature, des espèces disparues et des abîmes de l’inconscient humain.

Szajner
Szajner

Dans son œuvre graphique comme dans son travail de sculpteur, l’artiste Hans Lemmen poursuit une inlassable quête des origines, où hommes et animaux vivaient en harmonie. Écologiquement engagé, il dénonce les souffrances de la terre et des espèces vivantes malmenées par la modernité, l’urbanisme incontrôlé, l’irrémédiable destruction de la mémoire, en empruntant les codes esthétiques de l’art rupestre préhistorique.

L’historien d’art Edwart Vignot questionne la finalité même de l’œuvre d’art à travers une mise en abîme de la représentation animale. « La nature imite l’art », phrase d’Oscar Wilde, qu’il révèle à même le corps d’un cheval dressé imitant la position du Cheval Mort de Géricault que l’artiste possède. Objets, performances, vidéos, installations et œuvres originales de Géricault, forment un ensemble d’œuvres caractéristiques du travail de l’artiste autour de sa collection des grands maîtres et de la représentation animale dans la peinture du 19ème siècle.

L’exposition met en lumière l’ambivalence et la complexité de l’être humain, dans sa relation à la Nature : entre actions de destruction sur le milieu et comportements traduisant une grande motivation pour communier ou communiquer avec elle. D’un côté l’Homme qui se perçoit comme possesseur de la Nature et être supérieur, et de l’autre, l’Homme qui se sent dans la Nature comme une espèce particulière mais en étroite relation avec son milieu, voire en osmose avec lui. « De l’art de se voiler la face » interroge, ouvre des pistes de réflexions sur notre relation au vivant, à l’autre, et tout simplement à nous-même.

 

Exposition du 5 février au 28 mars 2015 à la Galerie Maubert, 75003 Paris.