Chaque année, le surpoids provoque le décès d’environ 4.7 millions de personnes dans le monde. Deux fois plus que la Covid-19 en 2020. Une autre urgence sanitaire, moins visible, qui mérite peut-être plus d’attention.

En 2020, la crise sanitaire a contribué à remettre au coeur du débat public l’importance des questions de santé. Elle a montré la nécessité de disposer d’un système de santé robuste, dotés de procédures de prévention et de soins efficaces. D’une certaine façon, la crise du coronavirus a aussi montré à quel point les pathologies chroniques, que l’on a nommé cette année les « co-morbidités » fragilisaient la santé des populations.

C’est l’occasion de rappeler que l’une de ces pathologies, le surpoids, tue chaque année deux fois plus que le coronavirus. Et qu’il serait peut-être temps de s’attaquer à cette question avec autant de moyens qu’on l’a fait pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.

Le surpoids et l’obésité : deux fois plus de décès que la Covid-19

La Covid-19 a tué en 2020 près de 2 millions de personnes dans le monde. C’est à ce titre l’une des épidémies aigües les plus meurtrières depuis la grippe espagnole. Chaque jour, dans les médias, on fait le bilan des centaines, voire des milliers de morts provoqués par le coronavirus dans les différents pays du monde.

Le surpoids, en revanche, fait nettement moins parler. Il tue pourtant deux fois plus chaque année que la Covid-19. Tous les ans, près de 4.7 millions de personnes décèdent des conséquences du surpoids. En effet, le surpoids a des effets sanitaires globaux, et il est à l’origine de nombreuses pathologies.

On estime par exemple que 44% des cas de diabète de type 2 sont causés par une situation de surpoids ou d’obésité. Le surpoids est également l’un des principaux facteurs de risque des maladies cardiaques et de l’hypertension, qui sont parmi les plus grandes causes de décès dans le monde.

C’est également un facteur de risque pour de nombreux cancers : ovaires, reins, colon, mais aussi cancer du sein et cancer du pancréas, les deux cancers les plus répandus. En France, au moins 5% des nouveaux cas de cancers seraient provoqués par le surpoids. Pour certains cancers, comme le cancer de l’oesophage ou le cancer de l’utérus, c’est près d’un cas sur trois qui serait attribuable au surpoids. Certains chercheurs estiment même que jusqu’à 40% des cancers seraient liés au surpoids aux Etats-Unis, ou dans les pays où le surpoids est le plus fort.

En résumé : le surpoids tue, chaque année, en provoquant des pathologies chroniques diverses, du cancer aux maladies cardiaques en passant par le diabète.

[box]Voir aussi : Les causes de l’obésité et du surpoids et Obésité : le poids des inégalités économiques et sociales[/box]

Le surpoids : facteur de risque global

Le surpoids est aussi un facteur de risque global dans de nombreuses maladies. On l’a bien vu avec la Covid-19 : les patients atteints de surpoids ou d’obésité sont plus fragiles face à la maladie. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence une relation linéaire entre la mortalité et l’indice de masse corporel des patients affectés par la Covid-19. Les patients atteints de surpoids et d’obésité survivent aussi moins bien aux opérations chirurgicales.

Certains chercheurs ont également démontré que le surpoids affecte négativement la réponse immunitaire lors des vaccinations. En d’autres termes, les vaccins fonctionnent moins bien chez les personnes en surpoids. Et c’est une inquiétude que l’on retrouve avec les vaccins contre la Covid-19 (voir : Les vaccins contre la Covid-19 moins efficaces chez les personnes obèses).

Le surpoids et l’obésité représentent donc un vrai fléau de santé publique, à plusieurs niveaux, et ce d’autant plus qu’ils touchent une part croissante de la population mondiale. En France, il y a quatre fois plus d’obèses aujourd’hui qu’il y a 40 ans. Désormais, on estime que 50% de la population française est en situation de surpoids, et 17% en situation d’obésité. Dans certains pays, aux Etats-Unis, au Moyen-Orient, au Canada ou encore en Australie, ce sont près de 30% des citoyens qui sont en situation d’obésité.

L’urgence sanitaire invisible du surpoids et de l’obésité

Le problème, c’est que les conséquences de la crise sanitaire liée au surpoids sont moins visibles que celles de la Covid-19. Le surpoids et l’obésité provoquent un ensemble de pathologies de longue durée (cancers, maladies cardiaques, hypertension, diabète, problèmes articulaires) qui n’ont pas le caractère soudain et violent d’une épidémie respiratoire.

On meurt du surpoids, mais lentement, et bien souvent dans l’indifférence relative du système de santé. Il a ainsi fallu du temps pour que l’on identifie les risques de long terme posés par le surpoids. Et il en a fallu encore plus pour que l’obésité soit reconnue comme une maladie chronique, avec des racines multiples (nutritionnelle mais aussi physiologiques, psychologiques, hormonales…) nécessitant une prise en charge et un accompagnement spécifiques. Encore aujourd’hui, l’obésité n’est pas inscrite à la liste des Affections de Longue Durée qui permettent aux malades de bénéficier d’un remboursement des soins.

Aujourd’hui, on constate que la prise en charge médicale de l’obésité et du surpoids est souvent insuffisante. Les malades consultent peu, souvent freinés par le sentiment de culpabilité et la peur d’un système de santé qu’ils perçoivent comme violent. Les études montrent aussi que de nombreuses personnes en situation de surpoids n’ont pas conscience de leur situation et sous estiment leur excès de poids.

Les médecins, de leur côté, n’ont pas toujours à leur disposition le temps et les moyens d’effectuer un vrai suivi global, nutritionnel, psychologique, sportif, voire hormonal, coordonné entre spécialistes, quand ils en ont le réflexe. Ils n’ont pas toujours non plus à leur disposition les équipements nécessaires à la prise en charge de cette maladie.

Et pour ne rien simplifier, l’obésité est aussi une maladie « socio-économique », omniprésente dans les milieux défavorisés qui sont souvent les plus éloignés des services publics de santé.

Surpoids : faire plus face à une crise sanitaire silencieuse

Tous les ingrédients sont donc réunis pour faire du surpoids une véritable crise sanitaire, et pourtant, nos système de santé contemporains semblent peu armés face à ce sujet.

Un rapport sénatorial publié en 2005 pointait déjà les insuffisances du système de santé français en matière de traitement de l’obésité : déficit de formation des médecins généraliste, déficit d’information des citoyens, déficit de moyens alloués à la prévention et à la prise en charge…

Et en effet, les moyens manquent. En France, on évalue à 5% des dépenses de santé les moyens mis à disposition pour la prévention et le soin du surpoids et de l’obésité, alors que cela concerne près de 20% de la population. C’est le niveau le plus faible parmi les pays de l’OCDE (dont la moyenne se situe à seulement 8%) et c’est surtout insuffisant pour répondre aux enjeux de cette maladie complexe.

Mais le rapport du Sénat s’intéressait aussi au rôle de l’industrie agro-alimentaire : comment en effet espérer réduire la prévalence de l’obésité alors que de nombreux acteurs de l’industrie continuent de mettre en avant des produits alimentaires déséquilibrés ? La question est d’autant plus importante que ce sont souvent ces produits qui sont les plus accessibles financièrement et les plus visibles, bien aidés par des marketing agressifs (en particulier lorsqu’ils visent les enfants).

Dernier enjeu identifié : celui du mode de vie. Quand tout favorise la sédentarité, des métiers aux programmes scolaires en passant par les structures urbaines, il est forcément plus difficile de généraliser un mode de vie actif, principal outil de prévention du surpoids.

Une réponse à la hauteur de l’enjeu sanitaire

Les blocages sont donc connus depuis près de 15 ans. Et pourtant, peu de choses avancent.

Le système de santé dans son ensemble souffre du manque de moyen, et c’est particulièrement vrai en matière de prévention. Les professionnels s’en plaignent depuis des années, et la crise de la Covid-19 n’en a été que le plus récent révélateur.

En matière de nutrition publique, le travail des institutions a abouti à la création du nutri-score, qui commence à se généraliser. Mais le système, s’il a des vertus, est aussi très limité. Il n’éduque pas réellement aux mécanismes de l’alimentation santé, et peut induire des biais dans les comportements d’achats, ce qui pousse l’ANSES à les estimer insuffisants pour répondre aux enjeux nutritionnels. De plus, en l’absence de mesures économiques, les produits « santé » restent souvent inaccessibles aux populations défavorisées, les plus affectées par le surpoids.

Sur le sujet du sport, il a fallu des années pour que le système français reconnaisse le « sport sur ordonnance », soit la possibilité pour les médecins de prescrire une activité physique adaptée aux patients affectés par des pathologies chroniques. Problème : selon l’article 144 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 qui instaure cette possibilité, cela n’est valable que pour les pathologies reconnues ALD (Affection de Longue Durée)…. Dont l’obésité est encore exclue.

En bref, en matière de lutte contre le surpoids, la situation avance encore trop lentement. La réponse semble loin d’être à la hauteur de l’enjeu de santé publique qu’il représente. Or, la crise du coronavirus a prouvé que nous étions capables de mobiliser des moyens importants lorsqu’il s’agit de préservation de la santé. En 2020, ce sont près de 10 milliards qui ont été dépensés pour les frais médicaux liés à la Covid-19, sans compter le coût économique des confinements et autres couvre-feu, pour protéger des populations âgées et fragiles.

La lutte contre le surpoids, qui touche aujourd’hui beaucoup de jeunes, n’en demande pas tant. Juste plus de moyens sur la prévention et la prise en charge, un accompagnement humain et une approche systémique. Il faut simplement avoir conscience de l’urgence sanitaire que ce problème représente. Alors rappelons-le : en 2020, le surpoids a tué deux fois plus que la Covid-19.