La CSRD est-elle en train d’être détricotée par les groupes de pression économiques en Europe ? Il semblerait que oui, et le texte pourrait être vidé de sa substance.

La CSRD, dont les standards sont en discussion en ce moment dans les instances européennes, pourrait être finalement vidée de sa substance et de son ambition. Le texte, qui représentait un progrès significatif en matière d’obligations RSE et notamment d’obligation de reporting, est en ce moment l’objet d’une opposition vigoureuse des groupes d’intérêt et des lobbies, qui tentent d’affaiblir le texte.

Alors, est-ce la fin annoncée de ce texte pourtant fondateur pour la responsabilité des entreprises opérant en Europe ? Revenons sur les dernières évolutions des discussions autour de la CSRD.

La CSRD, un texte trop lourd pour les lobbies du monde de l’entreprise

La CSRD adoptée par le parlement fin 2022 devait être la pierre angulaire de la nouvelle stratégie européenne en matière de transition durable des entreprises et de RSE. En quelques mots, le texte visait à rendre obligatoire un reporting de durabilité plus poussé pour les entreprises ayant des activités sur le sol européen. Elle élargissait les seuils des entreprises assujetties par rapport à la NFDR, et multipliait donc par 4 le nombre d’entreprises concernées par la CSRD.

Elle précisait aussi les éléments du reporting, en rendant obligatoire un certain nombre d’items qui jusque là ne faisaient pas partie des indicateurs obligatoires. Globalement, la CSRD était un texte plutôt ambitieux, du moins autant que puisse l’être un texte qui se contente de demander aux entreprises plus de transparence concernant leurs impacts environnementaux. Elle était notamment calée sur une conception en « double matérialité » du reporting, exigeant des entreprises qu’elles analysent à la fois leurs risques environnementaux, et leurs impacts et externalités ESG de façon précise.

Les ESRS, les standards de reporting qui devaient être totalement publiés d’ici le 30 juin, devaient finir de clarifier les exigences. Sauf que, les premières versions de ces textes ont rapidement été jugé trop lourds par un certain nombre d’acteurs du monde économique. Le reporting représente en effet une charge importante pour les entreprises, qui doivent collecter, analyser et rendre cohérentes des dizaines de données sur les conséquences de leurs activités sur les écosystèmes, les droits humains, les enjeux de gouvernance ou les problématiques sociales. Mais cette charge est indispensable pour pouvoir engager une transformation durable cohérente, fondée sur des métriques fiables. C’est le sens de l’exigence de transparence qui fonte la politique européenne sur la RSE depuis près de 20 ans.

Les lobbies à la manoeuvre pour déconstruire le texte

Malgré tout, plusieurs lobbies sont intervenus auprès des instances européennes pour demander l’allègement du texte. Outre les pressions exercées par les grandes entreprises européennes auprès des institutions communautaires, la chambre de commerce américaine a également écrit, le 8 mai, une lettre ouverte demandant de réduire le « fardeau » que représenterait le reporting tel que demandé par la CSRD et ses ESRS pour les entreprises. Elle demandait notamment d’aligner les normes de reporting avec celles de l’ISSB, organisme présidé par Emmanuel Faber, et nettement moins ambitieux que l’Europe.

Objectif : déconstruire le texte, réduire la densité et la portée des normes de reporting, et se débarrasser de l’encombrante double matérialité qui obligerait les entreprises à assumer leurs impacts environnementaux notamment. Après négociation avec l’ensemble des parties prenantes du dossier, on semblait s’orienter vers une version au rabais de la CSRD, amputée d’environ 25% de ses normes. Un moindre mal, selon la FISMA, direction de la stabilité financière de l’UE, dont certains représentants semblaient craindre que l’opération de torpillage menée par le monde économique aille plus loin, et notamment qu’elle reste focalisée sur le seul reporting climatique, négligeant au passage le reporting sur des enjeux essentiels comme la biodiversité, ou la gouvernance.

En attendant, le décalage de la publication des normes et les déclarations des dirigeants européens laissaient la CSRD dans le flou. Difficile pour les acteurs économiques de se projeter sans savoir quelles normes seraient adoptées.

La fin du reporting climatique obligatoire ?

Quelques semaines plus tard, ces craintes semblent pourtant bien réelles. Selon AEF infos, reprenant une information du média Responsible Investors, l’Europe pourrait en fait renoncer purement et simplement à l’obligation de reporting, y compris pour le reporting climatique.

Concrètement, les émetteurs n’auraient donc même plus à intégrer obligatoirement leur bilan carbone scope 3 dans leurs reportings de durabilité. Il suffirait d’invoquer la « non matérialité » de l’enjeu climatique pour éviter d’avoir à publier ses chiffres. Un non-sens, à l’heure où plus que jamais, toutes les entreprises sont concernées par la crise climatique. Même si en principe, l’audit des reportings devrait permettre de vérifier la dite matérialité, cela envoie un symbole extrêmement négatif concernant l’ambition de la CSRD pour la transformation durable en Europe. Plus rien d’obligatoire, pas même la transparence.

Que restera-t-il de la CSRD ? À ce rythme, sans doute rien ! Le texte semble aujourd’hui totalement vidé de sa substance, son ambition réduite à néant par le technocratisme économique qui parvient, apparemment, à imposer ses vues en Europe. Pourtant, le monde associatif et les experts rappellent sans cesse l’importance de passer à la vitesse supérieure en matière de réglementations sur les enjeux de transition écologique et sociale. Même certains acteurs du monde de l’entreprise l’ont compris, et avaient demandé dans une lettre ouverte à l’Europe de maintenir l’ambition de ses standards… Dommage qu’ils n’aient, semble-t-il pas été écoutés.

Photo de Guillaume Meurice sur Pexels

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