Smartphones, TV, électroménager, objets connectés…les appareils électroniques peuplent aujourd’hui notre quotidien. Leur volume de vente s’envole, dopé par l’obsolescence logicielle ou marketing que favorisent la quasi totalité des marques. Parallèlement, ces appareils génèrent des impacts forts sur l’environnement. Énergivores pour leur production ou leur consommation, ils sont encore peu recyclés et réemployés. Et leurs conditions de production sont loin d’être toujours respectueuses des travailleurs. Bref, il est urgent de changer de modèle en travaillant sur l’économie circulaire. Mais des freins restent à lever. Le point avec des professionnels du secteur*. 

Le reconditionnement comme marchepied pour l’économie circulaire… 

Offrir une seconde vie au produit à travers le reconditionnement, c’est devenu courant dans le secteur de la téléphonie mobile. Alors qu’il y a seulement 6 ou 7 ans, ce créneau comptait pour 10% du marché, il a aujourd’hui grimpé à 25% (2023). « Il n’y a aucune raison pour qu’il n’atteigne pas les 50% dans les prochaines années, à l’image de ce qui se passe dans l’automobile où  l’occasion se taille 70% du marché », espère Gautier Feld, co-fondateur de CircularX, une plateforme technologique qui accompagne les distributeurs dans le développement du marché de seconde main. Avec une valeur monétaire importante, leur facilité de déplacement, leur circuit de collecte organisé et leur durée de vie de plusieurs années et une forte attente des consommateurs pour des produits de qualité moins cher, ces produits sont en effet particulièrement propices à la seconde main.

Mais si la tendance du reconditionnement se développe, tous les produits électriques sont loin d’être aussi avancés, par manque de circuits de collecte, de valeur perçue dans la seconde main ou autre. Pourtant, comme le soulignent les professionnels, le reconditionnement est en réalité la marche la plus facile pour mettre le pied dans l’économie circulaire. « C‘est une approche extrêmement compatible avec le modèle économique linéaire actuel car elle reprend une partie de la chaîne de valeur classique. La réparation est plus compliquée car le savoir-faire est perdu : pendant 20 à 30 ans, le nombre de réparateurs n’a cessé de baisser », souligne ainsi Régis Koenig, le directeur réparation et durabilité de Fnac Darty. Pourtant, le besoin existe : chez le leader européen de la distribution de produits d’électroménager, « 7 personnes sur 10 achètent un nouvel appareil parce que le précédent est tombé en panne alors que 95% des appareils sont encore réparables après 8 ans d’utilisation », assure-t-il.

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…mais qui a ses limites  

De fait, sur certains produits, le coût de la réparation est disproportionné au regard du rachat du neuf. Cela peut être facilement le cas pour une machine à laver, souligne le designer Christopher Santerre, ex-CEO de l’Increvable, un projet avorté de machine à laver (éco)conçue pour durer plus de 20 ans. « Prenons le cas d’un roulement de machine. La pièce de remplacement coûte environ 2 €, seulement sur certains produits, elle est si difficile d’accès que cela demande une demi journée de travail, ce qui fait s’envoler le prix de la réparation à plus de 300 € ! Si l’usure est normale, ce n’est pas normal que la réparation ne soit pas la démarche la plus simple », déplore le spécialiste de l’éco-conception.  

Enfin, le reconditionnement ou la seconde main peuvent aussi aboutir à un effet rebond, c’est-à-dire à l’annulation des effets écologiques positifs par un report de consommation et d’utilisation sur ce type de produit. C’est notamment ce que l’on peut observer dans le textile même si cela semble être moins le cas dans le marché du smartphone par exemple**. « J’ai tendance à penser que sur le marché de l’électronique cela peut tirer la qualité et la durabilité vers le haut car pour qu’il arrive en seconde main, le produit doit encore avoir de la valeur et nous voyons qu’aujourd’hui, les consommateurs regardent la valeur de revente lors de l’achat », précise Gautier Field.

Le modèle serviciel et l’allongement de la durée de vie comme ligne de mire 

Pour dépasser les limites du reconditionné et sortir du modèle volumique qui pèse sur les ressources, c’est donc vers la sobriété d’abord mais aussi l’allongement de la durée de vie et du modèle serviciel qu’il s’agit de se tourner. C’est notamment ce que tente depuis quelques années Fnac-Darty. Le groupe est devenu le premier réparateur de France sur les produits électroniques avec 2500 techniciens et près de 2,5 millions d’interventions chaque année. Mais malgré le renforcement de la législation (lutte contre l’obsolescence programmée, indice de réparabilité…), tous les produits électroniques sont encore loin d’être effectivement réparables et encore moins réparés comme le montre le dernier baromètre du SAV du groupe. Le prix des pièces détachées notamment pèse sur certains produits comme les téléviseurs. 

Pour développer la réparation, Fnac-Darty mise ainsi sur un système d’abonnement qui a convaincu 1 million de clients en 2024. Pour 12 €/mois ceux-ci peuvent faire réparer l’ensemble de leurs appareils électroniques. Un investissement qui reste conséquent mais qui permet d’allonger la durée de vie moyenne des produits de 3 à 4 ans par rapport à un client classique, d’éviter des émissions de GES ou d’extraction des produits…Et qui a aussi des avantages non négligeables pour le distributeur puisqu’il permet d’augmenter la fidélisation et le panier moyen des clients avec l’achat d’appareils plus haut de gamme, puisque censés durer plus longtemps…

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Le financement, la réglementation et la désirabilité, des freins à lever pour changer d’échelle sur l’économie circulaire

Faire durer le produit longtemps, toute une vie…c’était l’objectif de l’Increvable. Une machine à laver simple mais haut de gamme qui n’a pourtant jamais vu le jour faute de financement notamment. « Pour travailler sur une machine à laver performante, désirable, simple à réparer et durable dans le temps, le prix avoisinait les 1 000 € », souligne Christophe Santerre. Un prix qu’étaient cependant prêts à payer quelque 200 clients qui avaient pré-commandé la machine avant même sa construction. Mais le financement n’a pas suivi.

« Le problème du hardware, c’est que cela coûte beaucoup d’argent dès l’amorçage avec des retours sur investissement qui peuvent être longs », souligne l’ex patron de la société qui a fait faillite en 2020. « Nous avions récolté 200 000 € sur les plus d’un million qu’il nous fallait pour faire la preuve du concept. Les investisseurs ne voulaient pas prendre le risque d’un ROI à 7 ou 8 ans », regrette-il. La société qui cherchait à s’allier avec un fabricant pour éviter de débourser les 10 à 15 millions d’euros nécessaires à la création d’une usine en propre a vu son projet d’association échoué quand l’industriel a été racheté par un concurrent chinois…

« Ce marché est loin d’être évident pour des nouveaux entrants comme des start-up car les modèles du réemploi ou de la durabilité sont ‘orthogonaux’ par rapport au modèle classique linéaire et se heurtent donc à de grandes difficultés « , abonde François-Henri Champagne, Directeur d’investissement Early stage, chez Citizen Capital une société d’investissement à impact. De nouvelles entreprises s’attaquent ainsi à lever des barrières spécifiques comme celle de la mesure d’impact et de rentabilité du reconditionné, qui manque aujourd’hui aux investisseurs pour s’assurer de la viabilité du projet, estime-t-il. 

Pour assurer la rentabilité et le déploiement de ces modèles, c’est aussi la réglementation qui est à revoir. Car celle-ci favorise toujours largement l’économie linéaire et volumique : les taxes sur les matières premières restent faibles quand la main d’œuvre l’est davantage, alors qu’elle est une partie essentielle du modèle de l’économie circulaire qui favorise la création d’emploi non délocalisable. Reste aussi à faire en sorte que la désirabilité de la sobriété, de la réparabilité ou du réemploi devienne égale ou supérieure à un produit dernier cri. Nous en sommes encore loin. Il faudra aussi travailler davantage en écosystème, une pratique des affaires encore trop peu mise en œuvre.

Illustration : Bruno /Pixabay

*Les propos ont été recueillis lors d’une table ronde organisée par EY-Fabernovel

**La part de marché de la seconde main croît mais le marché global est en baisse depuis deux ans, même si des experts tablent sur un rebond lié notamment à l’arrivée de l’IA dans les nouveaux modèles.