Boom du seconde main, arrivée des services de réparation dans les grandes enseignes…avec l’arrivée de nouvelles offres et une meilleure prise de conscience écologique, l’heure de la consommation responsable est-elle arrivée ? « Les consommateurs sont prêts », assure Greenflex, enquête à l’appui. Pourtant, devant les rayons, le choix n’apparaît plus aussi clairement et là aussi la polarisation guette. Explications.
« Produire autrement ne suffit plus, il faut consommer moins ». C’est ce que déclarent 73% des consommateurs français interrogés dans le cadre de l’édition 2024 du baromètre de la consommation responsable réalisé pour Greenflex et l’Ademe. Mieux : 65% déclarent changer de magasin pour se tourner vers des options plus engagées comme les producteurs locaux ou les magasins bio mais aussi la seconde main et l’occasion. Et pour 80%, toutes les entreprises doivent opérer la bascule de la sobriété en « changeant de modèle pour ne pas chercher la croissance économique à tout prix ».
Ce n’est pas une épiphanie mais « la consolidation d’une tendance que l’on voit depuis des années avec notre baromètre : les consommateurs sont de plus en plus conscients que la sobriété est nécessaire tant pour les entreprises que pour eux-mêmes. Ils sont prêts à la consommation responsable », assure Laure Blondel, Directrice Conseil- Marques, Produits et Consommation Responsables chez GreenFlex.
Le paradoxe du consommateur responsable
Ca, c’est en théorie ou du moins c’est ce que les consommateurs expliquent vouloir faire quand ils sont interrogés pour des sondages. Car dans la pratique, c’est un peu plus compliqué comme le montre l’exemple du bio, aujourd’hui en difficulté. C’est ce que l’on appelle le paradoxe du consommateur responsable. Selon Laure Blondel, l’un des freins majeurs est le manque d’offre : « si le produit n’est pas en rayon, il n’achète pas ».
Et même si certaines enseignes font des efforts sur la création d’espaces réparation, comme dans l’électroménager ou le seconde main, notamment dans le textile, il est encore trop souvent bien plus facile, voire moins coûteux, d’acheter du neuf.
Depuis 2022, la « perception du prix joue aussi un rôle important, y compris pour les personnes à plus haut revenus », souligne Laure Blondel. « Les Français ont un ressenti de baisse du pouvoir d’achat, même si en réalité ce n’est pas ce qui se passe, à la fin, c’est le prix qui gagne », assure de son côté l’économiste Emmanuel Combe, lors d’une conférence sur le pouvoir du consommateur à la REF du Medef.
Pour en savoir + : Le bio à l’épreuve de la crise
Entreprises et consommateurs, une histoire de confiance…qui s’érode
Autre facteur qui peut peser sur la consommation responsable: le doute sur la « crédibilité des annonces », estime Emmanuel Combe qui cite les plus de 230 de labels de durabilité recensés – dont beaucoup peu sérieux et/ou autoproclamés- dans l’Union européenne. Une suspicion qui pèse sur la cote de confiance des entreprises : depuis une dizaine d’années, celle-ci stagne autour de 36% quand on frôlait les 60% il y a 20 ans, nous montre l’évolution du baromètre depuis cette période. Côté face : les consommateurs se méfient des offres « plus vertes que vertes » proposées et mises en avant par les entreprises. Côté pile, ils vont privilégier les marques et entreprises dans lesquelles ils ont confiance…et se détourner des autres.
« Le consommateur est aujourd’hui bombardé d’offres mais il est aussi très averti et plus exigeant…voire même militant », confirme Hervé Navellou, président de L’Oréal France lors de la REF. Cela se traduit notamment dans la signature de pétitions en ligne. En 2024, 28% des consommateurs interrogés dans le baromètre 2024 de la consommation responsable disent signer régulièrement voire systématiquement ce type de pétitions pour dénoncer les entreprises et les marques irrespectueuses de l’environnement. Ils étaient seulement 10% en 2017.
De là à boycotter les entreprises au point de peser sur leur chiffre d’affaires et les inciter à opérer la bascule ? Pas si vite. En réalité, peu de marques voient aujourd’hui le retour de bâton sur le long terme. Malgré les révélations sur la contamination de l’eau minérale, de l’impact plastique de l’eau en bouteille et de l’accaparement de la ressource, le business du secteur est florissant. Et si certaines marques peuvent être boudées à la suite de scandales ou de projets controversées – comme récemment celles de Pierre Fabre au regard de son implication dans le projet d’autoroute A 69-, cela affecte peu leur business. « Le risque réputationnel est fort mais l’impact sur les ventes reste encore modeste à ce jour, déplore Laure Blondel. D’une part, parce qu’il n’est pas toujours facile d’associer les marques – parfois pléthoriques- à leur maison mère et d’autre part, parce qu’il existe une sorte d’amnésie du consommateur. »
Consommation responsable : le risque de polarisation
Enfin, le consommateur-citoyen n’échappe pas à la polarisation de la société. Les consommateurs engagés sont de plus en plus engagés et les plus rétifs…de plus en plus rétifs. Quand on leur demande si « Le fait de voir les autres faire des efforts en faveur d’une consommation responsable me motive à en faire », près de 80% des motivés répondent ainsi par l’affirmative (en hausse de 6 points par rapport à 2022). Mais seulement 24% des « agacés de l’écologie » et c’est 6 points de moins qu’il y a deux ans. Cela se traduit aussi dans leur vision de l’avenir.
Et de fait, cette polarisation risque d’entraîner les entreprises dans la même voie avec des engagées qui travaillent de plus en plus sur leur décarbonation et/ou la production de valeur sociale et d’autres qui misent sur le low cost & low quality. C’est ce que tend à montrer le succès des marques d’ultra consommation comme Shein ou Temu, qui incitent à des achats frénétiques d’objets de mauvaise qualité, produits dans des conditions déplorables, entraînant certaines marques à bas prix existantes à suivre leur sillage.
Mais aussi plus heureusement, le succès de marques comme Ethiquable qui ancrent la consommation responsable dans le quotidien de nombreux Français. Créée il y a 20 ans, cette SCOP du Gers qui vend du chocolat, épices, cafés ou thés équitables, représente 3 % du marché français mais 30% du marché du bio avec ses quelque 3 000 produits vendus dans 10 000 supermarchés. Et ce, sans jamais avoir eu recours à la publicité !
« Les consommateurs ont du mal à rester optimistes sur l’évolution de la société. Mais la bonne nouvelle, c’est que plus les consommateurs sont mobilisés, plus ils sont engagés et font des choses et plus ils croient dans le changement. Donc si les entreprises arrivent à engager les consommateurs, c’est un cercle vertueux qui est lancé », veut croire Laure Blondel. Reste donc à opérer et accélérer le changement dans la production aussi.
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Publicité et consommation responsable, le combo impossible
« La publicité est trop présente, il faudrait la réduire globalement », estiment plus de 8 consommateurs sur 10 interrogés pour le baromètre 2024 de la consommation responsable. Une omniprésence qu’ils dénoncent depuis longtemps. 75% des Français sont favorables à l’interdiction de la publicité concernant les produits les plus néfastes pour la santé et l’environnement. Cela confirme la mesure proposée dès 2019 mais non retenue par le gouvernement de la Convention citoyenne pour le Climat. Les consommateurs ont pourtant une relation ambivalente à la publicité : ils savent qu’elle les incite à surconsommer, ils veulent l’interdire pour les produits les plus polluants, ils assurent que rien ne leur plaît dans cette pratique…mais ils ont du mal à s’en détacher. Ils sont d’ailleurs 63% (14 points de plus qu’en 2021) à préciser que ce n’est pas la publicité le problème mais les produits, reprenant par là l’argumentaire du secteur pour éviter sa régulation. De leur côté, les marques sont tout aussi schizophrènes : elles mettent en avant leurs produits reconditionnés ou de la seconde main mais continuent de produire en majorité du neuf…Bref, le changement passera aussi par une meilleure cohérence entre les différentes étapes de la production et de la consommation. Dans la proposition de loi anti fast fashion adoptée à l’unanimité au printemps par l’Assemblée nationale, il est question d’interdire la publicité pour la mode éphémère. Mais va-t-elle survivre à la dissolution ?