Depuis 2021, l’agriculture biologique subit un revers sans précédent. Une crise économique qui se généralise à l’ensemble des acteurs de la filière, avec pour toile de fond une crise de confiance des consommateurs qui ont quitté les rayons des produits biologiques au profit des rayons « anti-inflation ».

Le mouvement des agriculteurs qui a débuté en janvier 2024 a révélé la colère et les fragilités économiques des exploitations agricoles en France. L’agriculture biologique est l’une des filières les plus secouées par une crise profonde et généralisée à la majorité des acteurs, agriculteurs comme distributeurs. 

Le marché des produits bio a pourtant eu le vent en poupe lors de la dernière décennie. Portée par des agriculteurs engagés et une petite partie de la population soucieuse de sa santé et de celle de l’environnement, les produits labellisés « Agriculture biologique » (AB) sont apparus en grand nombre dans les étals de la grande distribution. 

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2021, le tournant de la bio

En une décennie, le marché est passé de 3,7 milliards d’euros à plus de 13 milliards d’euros en 2020 selon les données de l’Agence BIO. L’agriculture biologique représente désormais 2,8 millions d’hectares cultivés et plus de 60 000 fermes françaises (2022), soit 14% des fermes. « La France est ainsi le deuxième marché européen après l’Allemagne », comme l’explique à Youmatter, Magali Catteau, économiste au service d’Études économiques et prospective à l’instance nationale du réseau des Chambres d’agriculture.

Pour autant, même si elle restait encore à deux chiffres (+18% en 2017, +14,4 en 2019), « la forte croissance annuelle des produits bio a commencé à ralentir dès 2017 », explique l’économiste. L’année du Covid marque alors un pic dans les volumes écoulés et 2021 fait office de point de bascule. « Le marché des produits issus de l’agriculture biologique a alors perdu 755 millions d’euros de chiffre d’affaires (hors restauration hors domicile) », précise-t-elle dans un article publié dans la revue Paysans & société

En 2021, le marché de la bio a connu une baisse de la consommation de 1,3%, avant de connaître une nouvelle baisse plus accentuée de 4,6 % 2022, puis de 2,7% au premier semestre 2023 selon un rapport de l’Agence BIO. Toutes les denrées sont concernées par cette crise (lait, viande, céréales), à part les boissons alcoolisées en croissance de 2%. 

Agriculture biologique : entre inflation et perte de confiance

Cette crise trouve une première explication dans le choc inflationniste que connaît la France depuis la Covid-19. Le baromètre 2023 de l’Agence BIO menée par l’ObSoCo souligne ainsi que le prix reste le premier frein à l’achat pour 71% des personnes sondées. Les produits AB demeurent plus chers de 20 à 30% par rapport à leurs équivalents conventionnels. L’agriculture biologique demande plus de main d’œuvre, et présente souvent des rendements plus faibles. Même s’ils ont aussi moins de coûts cachés (santé, pollution), ces surcoûts se répercutent sur le reste de la chaîne, dont les consommateurs.

Le baromètre pointe aussi un manque de confiance de la part de ces derniers envers les produits bio. Un tiers des Français annoncent connaître ce que représente vraiment le label AB, tandis que 61% des Français interrogés estiment que le bio est « avant tout du marketing ». Et ce, alors même que la littérature scientifique s’étoffe sur les bienfaits de l’agriculture biologique sur la santé et l’environnement. 

Cette baisse de la consommation a entraîné un retrait progressif des produits biologiques des rayons des grandes surfaces au profit de rayons « anti-inflation ». « La grande distribution s’adapte aussi à la conjoncture économique, explique Magali Catteau, l’institut Circana indique que l’offre de produits biologiques a diminué de 13,4 % entre mars 2022 et mars 2023, notamment à cause des déréférencements (arrêt de la vente) de certains produits certifiés agriculture biologique. Ce qui a aussi conduit à une baisse des volumes achetés ».

Le retour des consommateurs dans les enseignes spécialisées dans la bio ? 

La boucle vicieuse se met en place, le consommateur arrête de consommer, les produits disparaissent des étals, et les fermes se retrouvent avec des excédents à vendre moins chers, ou à jeter. Partout en  France, des enseignes du Bio mettent la clef sous la porte. En 2022, le magazine spécialisé Bio Linéaire dénombrait plus de 200 fermetures de magasins, contre seulement 111 ouvertures. 

Biocoop, le leader français de la distribution du Bio n’a pas été épargné par ce phénomène. Pour y faire face, l’enseigne qui compte 739 magasins a notamment annoncé zéro hausse de prix sur 2024, en rognant sur ses marges. Malgré tout, Frédéric Faure et Mathieu Lancry, respectivement Vice Président de Biocoop et Paysan associé/administrateur de Biocoop, se disent confiants dans l’avenir. « On sent un retour des clients avec une augmentation de la fréquentation, explique Mathieu Lancry. Sur 2023, Biocoop a connu une croissance de 2,3% de manière globale. Si on parle en terme de volume, c’est timide, mais nous repassons sur des volumes à la hausse de 1 à 2% depuis la fin du dernier trimestre 2023″.

Illustration : Canva