La France s’est engagée à doubler le transport de marchandises par train d’ici 2030. Cet objectif vise, entre autres, à réduire l’empreinte carbone du transport de l’Hexagone et à décongestionner les axes routiers submergés par le ballet des camions. Mais malgré des ambitions affichées, le fret ferroviaire peine à remplacer le transport routier. Explications. 

Un chèque de 64 millions pour multiplier par six le transport ferroviaire de marchandises. L’annonce faite par la région Bretagne a de quoi étonner. Cette grande région industrielle, plus connue aujourd’hui pour son maillage routier performant et gratuit que pour ses chemins de fer, souhaite développer le fret ferroviaire sur son territoire. La région part de loin. Le transport de marchandises par train y est très marginal et ne représente qu’1,2 million de tonnes transportées par an, soit seulement 1,4 % des marchandises qui transitent dans la région. Bien en deçà de la moyenne nationale, qui avoisine les 10%, et bien loin de nos voisins européens comme l’Allemagne ou l’Autriche pour qui le fret ferroviaire représente respectivement 18 et 32% du transport de marchandise.

Cette décision conjointe de l’État, la Région Bretagne et SNCF Réseau, est un marqueur de l’engagement national – qui figure dans la loi « Climat et Résilience » de 2021 – de doubler la part du fret ferroviaire d’ici 2030 par rapport au niveau de 2019, et de faire en sorte le train représente au moins le quart du transport de marchandises d’ici 2050. Un engagement ambitieux dont l’objectif est de réduire le coût environnemental du transport en France et de décongestionner le réseau routier, mais qui illustre également l’impuissance de l’État pour sortir le transport ferroviaire de marchandises de son déclin.

Le déclin du fret ferroviaire.

« Cela fait plusieurs décennies que l’objectif de la France est d’inverser le déclin du fret ferroviaire, explique François Combes, chercheur et économiste spécialiste du transport de marchandises, pourtant, ça n’a jamais fonctionné ». Les nombreux plans proposés par le gouvernement pour empêcher le fret ferroviaire de couler ont été tous vains. 

Cette situation dénote avec le quasi-monopole qu’a occupé le train dans l’histoire de la France. Ce mode de transport de marchandises a connu son apogée de 1850 à 1970 « jusqu’à représenter quasiment 80 % des trafics en France au début du XXe siècle, reléguant le trafic routier à seulement 10 % de part modale », comme l’explique le chercheur Aurélien Bigo, spécialiste de la transition énergétique des transports, dans une chronique pour Polytechnique-insights

Puis, la désindustrialisation à partir des années 70 met un premier coup d’estoc à la filière en entraînant une diminution significative du volume de marchandises à transporter souligne ainsi un rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la libéralisation du fret ferroviaire. Conjointement, la libéralisation européenne du secteur routier à partir des années 90 participe à la démocratisation du transport routier, et donne le coup de grâce au transport ferroviaire. « Si le trafic routier représentait en 1970 moins de la moitié du transport de marchandises à l’échelle communautaire, il en représente plus des trois quarts aujourd’hui », pointe l’enquête. L’aérien et le fluvial ne représentent qu’une part minime, entre 1 et 2%. 

Plus rapide, plus souple, plus grande flexibilité opérationnelle, l’ensemble du réseau de logistique s’est finalement adapté au transport routier. « Nous avons en France construit tout un tas d’infrastructures routières, autoroutes, échangeurs, zones industrielles à destination des activités économiques, sans réelle cohérence avec le réseau ferroviaire », précise François Combes. 

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Quelles solutions pour développer le fret ferroviaire ?

Alors, comment inverser la tendance, et permettre au fret ferroviaire de retrouver une place plus importante dans la part modale du transport de marchandises ? Comme l’explique le chercheur, « il faut provoquer la massification du fret ferroviaire, ou en tout cas, construire les conditions favorables à son déploiement ».

Le report modal dépend d’abord de la géographie et de la facilité d’accès aux voies ferrées par les entreprises. Plus l’accès aux plateformes logistiques sera simplifié, plus les entreprises seront enclines à utiliser le train. Mais cela nécessite à la fois le développement du transport combiné – un même conteneur acheminé par différents moyens de transport (rail, route, fleuve…), un maillage ferroviaire important, voire la création de voies dédiées aux trains de fret. Or, comme le note le rapport de la commission d’enquête, les trains de marchandises sont en concurrence avec les trains de voyageurs, qui sont aujourd’hui considérés comme prioritaires par SNCF Réseau. 

« Dans quelles conditions peut-il entrer facilement dans la chaîne logistique de l’entreprise ? », s’interroge alors François Combes. Car si « le fret ferroviaire est un transport efficace d’un point de vue environnemental et économique, puisque capable de transporter de très grosses quantités de marchandises », ce type de demande a moins la cote. 

Les entreprises préfèrent payer plus cher le transport routier qui a l’avantage de transporter des produits à haute valeur ajoutée en quantité relativement limitée, ce qui correspond davantage à la demande actuelle. Par exemple, le chantier de transport combiné Rail-Route de la ville de Rennes ne fonctionne que sur de grands volumes de marchandises provenant du Havre, d’Anvers ou de Rotterdam, explique Loïc Hénaff, conseiller régional délégué à la relocalisation, au fret et à la logistique de Bretagne, « mais il ne sera pas en mesure de travailler dès demain pour le flux tendu venant de l’industrie automobile, ou des entreprises agroalimentaires de la région qui livrent la grande distribution. Ce n’est pas réaliste, car personne n’est à ce jour prêt ».

Il reste encore à convaincre de nombreux acteurs du milieu (entreprises, centres de distribution, transporteurs) de la pertinence de fret ferroviaire pour leurs activités économiques. « Nous sommes loin d’avoir embarqué tout le monde, admet Loïc Hénaff, par contre, les acteurs bretons ont pris conscience de la situation singulière de la région, et qu’il devient nécessaire d’engager une transformation du transport de marchandises. À nous maintenant de leur montrer une voie pour massifier les flux vers le train ».

En outre, la réussite du projet de l’État de doubler la part modal du transport de marchandises par train au niveau national dépend aussi d’investissements conséquents dans le maintien et la construction de nouvelles infrastructures, notamment pour relier les ports industriels français, comme en Bretagne où 6 millions d’euros sur les 64 millions du budget sont destinés à la réhabilitations des voies ferrées portuaires de Brest et Lorient. 

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Une politique de développement peu cohérente

Pourtant, si l’État clame son envie de développer le fret ferroviaire, les signaux contraires qu’il envoie aux professionnels du secteur agacent comme en témoignent les manifestations des cheminots le 28 mai 2024 à Paris. 

Les aides apportées par l’État depuis 2021 sont considérées comme insuffisantes notamment par la fédération CGT des cheminots. Le syndicat regrette un manque d’accompagnement de l’acteur public historique Fret SNCF par l’État face à la dérégulation du marché du fret ferroviaire et l’arrivée de nouveaux acteurs privés sur le territoire. Un point que la commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire partage. 
La commission dénonce par ailleurs l’avantage du transport routier par rapport au ferroviaire, « le transport routier échappe en partie aux péages et aux taxes, tout en générant « gratuitement » des externalités négatives très coûteuses pour la société ». Elle propose notamment l’instauration d’une écotaxe nationale à destination du transport routier afin de rétablir un rapport de pouvoir plus égal entre le ferroviaire et le routier.

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