Le mécénat de compétences se développe dans les entreprises depuis la fin des années 90. Globalement apprécié par les salariés, il peut aussi être vu comme une solution à certains dysfonctionnements du travail. C’est ce que nous explique Mathilde Renault-Tinacci, sociologue et chargée de recherche à l’INJEP, dans le podcast Triple A. 

Développé en France depuis les années 1990, le mécénat de compétences « consiste à mettre à disposition un salarié d’une entreprise pendant son temps de travail ou à fournir gratuitement une prestation de service au profit d’un organisme d’intérêt général. Il est largement sollicité par la France qui dispose d’un des dispositifs législatifs les plus incitatifs au monde », explique Mathilde Renault-Tinacci, chargée de recherche à l’INJEP, l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire. 

Pourtant, si la vision des entreprises sur le mécénat de compétences est bien étudiée, les enquêtes sur le ressenti des salariés à l’encontre de ces expériences en association sont encore rares. Celles menées par Mathilde Renault-Tinacci montrent pourtant que l’exercice est plutôt apprécié par les salariés.

Une quête de sens pour les salariés

Le mécénat de compétences est souvent reconnu comme une expérience enrichissante et positive par les acteurs concernés, les entreprises, les associations, et les salariés. Il existe quatre formes de missions dans le mécénat de compétences : des missions “flash”, de seulement quelques heures, des missions de conseil, du tutorat ou du parrainage pour accompagner des organismes d’intérêt général, et enfin les missions longues où le salarié est mis à disposition pendant plusieurs années. 

Ce don et cette transmission peut être perçu comme un moyen pour ces derniers de monter en compétence, d’être plus « corporate » et en phase avec son entreprise. Pour de nombreux salariés, le mécénat de compétences représente ainsi une opportunité, une manière d’améliorer l’estime de soi en s’engageant dans des actions concrètes au sein des associations. 

Pour autant, Mathilde Renault-Tinacci nuance ce bilan. « Les salariés ayant fait l’expérience du mécénat de compétences ne considèrent pas leur travail comme un engagement associatif à proprement parler, explique la chargée de recherche. Elles continuent de toucher une rémunération, et estiment donc donner du temps d’entreprise, et non pas du temps personnel, comme c’est le cas pour les bénévoles ».

En outre, le choix des associations par les entreprises mécènes ne répond pas forcément aux formes d’engagement souhaitées par les salariés. Ce ne sont pas nécessairement les associations, ou les causes qu’ils auraient choisies de prime abord. Certains salariés interrogés préfèrent ainsi des causes plus politiques, alors que « les entreprises, elles, vont plutôt se tourner vers des associations plus consensuelles », souligne Mathilde Renault-Tinacci. Par exemple sur les questions de genre, l’axe privilégié va être « l’égalité homme / femme plutôt que des associations qui luttent pour un féminisme plus engagé, plus radical », complète la chercheuse.

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Le mécénat de compétences pour faire face aux dysfonctionnements du monde du travail  

Les salariés semblent globalement satisfaits de leurs expériences en association. En partie parce ce que c’est aussi un moyen pour les salariés d’échapper au monde du travail.« Dans une enquête que nous avons réalisée, le mécénat de compétences apparaît clairement comme le moyen pour les salariés de répondre à des problématiques liées au dysfonctionnement du marché du travail », constate-elle. Entre autres, des « souffrances qu’ils peuvent subir en entreprise, qu’elles soient éthiques, comme un manque d’utilité sociale et de sens, mais aussi physiques ou mentales comme le burn-out ». 

Le mécénat de compétences est aussi un moyen pour les entreprises d’accompagner doucement vers la sortie les salariés les plus âgés. « Dans les entretiens avec les seniors, nombreux sont ceux qui nous ont dit être dépassés, notamment du point de vue numérique, développe Mathilde Renault-Tinacci. Au lieu de les accompagner, les entreprises font le choix de ne plus les former car cela leur coûte trop cher ». Elles vont alors les orienter vers la transmission d’autres compétences, via le mécénat. 

Enfin, si la démarche peut être salvatrice pour les personnes qui sont concernées par un mal-être au travail, ces situations extrêmes sont révélatrices d’un problème plus large. « Elles questionnent aussi la place du monde associatif sur le marché du travail, et les méthodes de gestion des entreprises qui ne savent pas, ou qui ne veulent pas organiser l’accompagnement des salariés et la fin de carrière de leurs seniors », estime Mathilde Renault-Tinacci. Pour la sociologue de l’INJEP, les associations ne peuvent à elles seules être le « réceptacle des grands maux de monde ». Le secteur lucratif doit lui aussi faire sa part en tant qu’acteur de changement social. 

État des lieux du mécénat de compétences en France 

En 2021, près de 15% des entreprises françaises mécènes, celles qui donnent déjà aux associations, ont eu recours au mécénat de compétences, note le baromètre réalisé en 2022 par le groupe Ifop. Cela est essentiellement le fait de grandes entreprises, notamment du CAC40 (46%), même si 12% des entreprises qui le pratiquent sont des PME. Surtout, 25% des entreprises mécènes interrogées disent vouloir le développer dans les prochaines années. Pour autant si « nous avons une idée assez générale du nombre d’entreprises concernées par le mécénat de compétences », du nombre d’associations, (0,5 à 1 association sur 10 selon une extrapolation des enquêtes), « nous sommes incapables de dire le nombre de salariés qui sont mis à disposition pour les associations », souligne Mathilde Renault-Tinacci.