Sous le feu des critiques pour son manque d’ambition et d’efficacité, la RSE doit se renouveler. Plusieurs études montrent en effet un grand décalage entre les attentes des salariés et les actions des entreprises. Un problème de communication ? En partie. Mais le hiatus est plus profond. L’heure n’est plus à réduire les impacts négatifs ou au mécénat mais bien à la transformation des business modèles. Et les entreprises sont encore aujourd’hui loin du compte.
RSE, trois lettres pour responsabilité sociétale des entreprises. Trois mots qui restent encore mal assortis et mal compris pour une grande majorité des salariés. Un nouveau baromètre sur la perception de la RSE par les salariés réalisé par Cospirit pour Beeshake et Act for Now auprès de plus de 1 000 salariés des entreprises publiques ou privées en fait une nouvelle fois le constat.
RSE : un acronyme qui reste flou pour les salariés
Selon celui-ci, un tiers des salariés déclarent comprendre précisément ce qu’est la RSE, le plus souvent chez les moins de 35 ans. Cela vient corroborer une étude réalisée il y a quelques mois par l’Ifop où un peu plus de six salariés du privé sur dix disaient connaître la RSE, mais seulement 29% savoir ce dont il s’agissait en détail. Malgré son ancienneté, « c’est un acronyme encore très flou et un concept complexe, qui ne parle pas aux salariés », souligne ainsi Charlotte Briand, la directrice du cabinet Act for Now.
« Pour beaucoup, la RSE est surtout associée au volet environnemental. Le terme est encore plus flou pour les salariés étrangers et ceux des métiers techniques », abonde Anaëlle Deschamps, cheffe d’équipe d’une entreprise industrielle. Plusieurs organisations qui travaillent sur le sujet depuis longtemps, ont d’ailleurs abandonné cet acronyme abscon au profit de l’« impact » qu’il soit « positif » ou « social » (mais sans souvent parler des pourtants inévitables impacts négatifs), de la « durabilité » voire du « régénératif ». Pas sûr pour autant que ces mots soient pourtant plus précis et mieux compris car il n’existe pas de définition de référence de ces nouveaux termes, contrairement à la RSE.
Un manque de bénéfices concrets dans le quotidien professionnel
Car c’est surtout un manque de concret qui explique cette méconnaissance. Si 55% des salariés interrogés se disent insuffisamment informés sur les sujets environnementaux et sociaux, près de 60% déclarent ne pas percevoir (ou seulement peu) les avantages de la RSE pour eux, leur mission ou l’entreprise. De fait, alors que 80% des entreprises sont aujourd’hui dotés d’une équipe RSE, seuls 30% des salariés se disent « certains » que leur entreprise est engagée dans une telle démarche et la moitié estime que cela influe sur leur façon de travailler.
« Jusqu’ici les entreprises ont principalement communiqué sur leur stratégie RSE en externe, au risque de négliger l’interne. La conséquence, c’est que les salariés n’ont pas toujours un accès aux actions mises en place et ne se sentent pas impliqués…ni écoutés », souligne Olivier Restoueix, directeur QHSE & CSR chez AGL. Ainsi, si les entreprises mettent de plus en plus en place des actions de sensibilisation ou de formation dans le meilleur des cas (40% moyenne mais 71% dans les entreprises engagées selon les salariés), celles-ci restent encore trop silotées (sur le climat, la biodiversité, le social…). Et peu proposent encore des formations métiers plus à même de rendre la RSE directement opérationnelle par les salariés ou seulement aux métiers les plus impactés par les risques ESG (achat, marketing, juridique, finance…).
« Au-delà des formations, il manque une réflexion sur les référentiels métiers en intégrant par exemple la durabilité dans les fiches de postes, les rémunérations, la montée en compétences des collaborateurs », estime de son côté la consultante RSE Sandrine L’Herminer, qui vient de publier « Repenser son business model : les stratégies des entreprises durables »*. Un constat corroboré par le baromètre qui montre que moins de 30% des salariés jugent que la démarche est déclinée dans les objectifs par pôles.
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Une stratégie RSE souvent trop verticale
Le hiatus s’explique aussi par une logique trop souvent « top-down », même pour les organisations les plus engagées. Deux tiers des salariés interrogés pour le baromètre soulignent d’ailleurs ne pas être consultés sur leurs idées sur les questions RSE. Et le fait que le « management intermédiaire est pris dans des injonctions contradictoires » n’arrange pas la donne, estime Cécile Le Galès, fondatrice et directrice générale de Beeshake. « D’un côté, les managers ont une feuille de route RSE mais de l’autre, ils font face à un pipe commercial pas assez rempli ou qui devient de plus en plus complexe…Dans ce cadre, pas facile de faire cascader une démarche de durabilité », souligne-t-elle.
Une problématique managériale que note aussi Sandrine L’Herminier qui accompagne de nombreuses entreprises dans leurs démarches RSE. « Il y a un énorme besoin de mieux embarquer le management intermédiaire dans la démarche pour qu’il traduise la parole des dirigeants engagés en actes », assure-t-elle, sans toutefois occulter les tensions du quotidien générées par « culture du profit et de la croissance avant tout », ainsi que la « logique de compliance » renforcée avec le reporting RSE. « Il faut aussi noter un manque de transversalité de la RSE et de dialogue entre les directions et services sur ces sujets. C’est parfois gravissime car cela peut amener des équipes finance ou RSE à se cacher des informations essentielles et in fine à ne pas aller dans le même sens », pointe-elle.
Une stratégie RSE insuffisante et opportuniste
Ce manque d’élan collectif au profit d’une vision et d’une stratégie de durabilité commune est d’autant plus problématique que la mise en place d’une démarche RSE est souvent considérée comme trop pragmatique voire « opportuniste » plus que comme découlant d’une vision ou d’une éthique, si l’on en croit l’étude de l’Ifop. Près d’un salarié sur deux y mentionnait les obligations légales liées aux nouvelles normes européennes (ex : CSRD, voir encadré) comme la raison majeure, et de loin, poussant les entreprises à intégrer ces questions.
Ainsi, si les services RSE se sont bien étoffés ces dernières années et ont monté en compétence, ils restent encore trop souvent « loin des organes de décisions stratégiques et manquent de budget et de ressources pour avancer réellement », souligne Sandrine L’Herminier. Résultat : « le fossé se creuse naître les objectifs annoncés et la réalité de terrain » érodant de plus en plus la confiance des collaborateurs.
Un manque de transformation profonde et systémique
Par ailleurs, si les entreprises axent de plus en plus leurs actions et leur communication sur l’environnement ou les questions de diversité/inclusion, qui sont des problématiques importantes, elles mettent trop souvent l’aspect social de côté. C’est pourtant à la seule condition d’un alignement entre les pratiques sociales et environnementales que la RSE pourra être prise au sérieux. Et c’est une attente forte des salariés qui demandent à ce que les actions de RSE soient prioritairement axées sur les conditions de travail montre les différentes études sur le sujet.
Enfin, la RSE reste encore limitée à une amélioration des pratiques quand les défis actuels demandent une transformation en profondeur de l’entreprise, de ses activités et de leur business model…« Ces 10/15 dernières années, la RSE a beaucoup progressé mais elle n’a pas passé l’étape suivante, celle de sortir des silos et de faire bifurquer les modèles d’affaires. C’est pourtant essentiel pour donner du sens à cette transformation. Mais pour cela l’entreprise va devoir se pencher sur sa raison d’être, son utilité sociale et revoir ce qu’elle produit et la façon dont elle le fait », précise la consultante.
Un impératif tant ce décalage « génère de la frustration et de la souffrance chez les collaborateurs », poursuit-elle, citant son expérience de terrain. Mais sans que le problème ne soit réellement ou suffisamment pris en compte par les équipes RH ou RSE, elles-mêmes au bord du burn-out…
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La CSRD comme un catalyseur ?
La directive européenne sur le reporting de durabilité peut-elle permettre de mieux embarquer les salariés dans la démarche de responsabilité de l’entreprise ? C’est ce que pense plusieurs experts comme la fondatrice du cabinet Act for Now. « De par sa dimension transversale, le reporting fait appel à l’ensemble des équipes. De plus, il participe à l’identification et la définition des enjeux prioritaires en collaboration avec les parties prenantes et à l’intégration de la durabilité dans la stratégie et le financement de l’entreprise…Cela devient plus concret« , estime ainsi Charlotte Briand. Mais cela va peut-être prendre un peu de temps nuance de son côté la consultante RSE Sandrine L’Herminier: « c’est un travail tellement titanesque et complexe que pour le moment cela reste trop souvent un exercice de simple compliance. Cela mettra peut-être deux ou trois ans avant d’être un outil efficace pour faire pivoter le business model. »
*Repenser son business model : les stratégies des entreprises durables », éditions Content A, 2024, 168 pages, 17 €
Illustration : Canva