Qu’est-ce que l’écoféminisme ? Est-ce un concept pertinent ? Qui sont les écoféministes d’aujourd’hui ?

Né dans les années 1970 aux Etats-Unis, l’écoféminisme connaît un regain de popularité aujourd’hui. Des femmes Chipko en Inde aux sorcières américaines en passant par les mouvements antinucléaires au Royaume-Uni, le terme écoféminisme comprend de nombreux courants. C’est sans doute ce qui explique que le mouvement écoféministe soit mal compris aujourd’hui. Le concept essuie également beaucoup de critiques dont la plupart naisse de cette incompréhension. Qu’est-ce que l’écoféminisme exactement ? Quelle est l’utilité de ce concept ? Pourquoi rapprocher les femmes et l’environnement ? Tentons d’y voir plus clair.

Une définition rapide de l’écoféminisme

L’écoféminisme c’est l’idée qu’il y a une connexion très étroite entre écologie et féminisme. L’exploitation et la destruction de l’environnement par les humains et l’oppression des femmes par les hommes sont les conséquences d’un même système. Pour les écoféministes, c’est une seule lutte qui prend deux formes différentes.

Histoire du mouvement

Si la biologiste Rachel Carson évoquait déjà cette idée dans son livre Printemps silencieux, en 1962, c’est une Française qui a inventé le terme. En 1974, dans son livre Le féminisme ou la mort, Françoise d’Eaubonne parle pour la première fois d’écoféminisme. Le concept suscite pourtant très peu d’intérêt en France à cette époque.

Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni en revanche, les mouvements féministes et anti-nucléaires s’emparent largement du terme. En 1980, 2000 femmes encerclent le Pentagone dans une action spectaculaire connue sous le nom de Women’s Pentagon Action. Elles publient à cette occasion une déclaration d’unité qui est l’un des textes fondateurs de l’écoféminisme. Au Royaume-Uni, des femmes occupent pendant près de 20 ans un camp militaire où sont stockés des missiles nucléaires et fondent la communauté de Greenham Common. On peut également citer le Green Belt Movement au Kenya, emmené par Wangari Maathai. En Inde, les femmes Chipko luttent contre la déforestation en enlaçant des arbres pour éviter qu’ils ne soient abattus. Le mouvement est porté par les écrits de la militante indienne Vandana Shiva et de la sociologue allemande Maria Mies. Le concept sera, d’ailleurs, réintroduit en France dans les années 1990, grâce à leur ouvrage Écoféminisme.

Aujourd’hui encore, le mouvement écoféministe prend de nombreuses formes. On le retrouve dans les groupes witch aux Etats-Unis et en Europe depuis les années 2010, par exemple. On le retrouve également dans le mouvement des femmes soulaliyates au Maroc. Depuis 2007, elles luttent pour un accès aux terres égal à celui des hommes. C’est ce qu’elles ont obtenu en 2018.

Les différents courants de l’écoféminisme

L’écoféminisme est un mouvement multiforme qui rassemble de nombreuses branches et différentes pratiques. Il existe deux courants majoritaires dans l’écoféminisme. Le premier est un courant matérialiste, inspiré des théories de Marx. Il s’attache à chercher des solutions concrètes sur le terrain pour lutter contre l’impact du changement climatique sur les femmes. On y retrouve les pionnières comme Françoise d’Eaubonne, Vandana Shiva et Maria Mies. Le deuxième courant majoritaire est un courant spirituel dont la figure emblématique est Starhawk. Ce courant promeut la réappropriation de leur corps par les femmes et de leurs liens avec la Nature. Il réhabilite le personnage de la sorcière pour en faire une figure politique.

Les différentes branches de l’écoféminisme ont toutes en commun de mêler souci écologiste et souci féministe. Elles ont identifié la cause unique de l’oppression des femmes et de l’exploitation de l’environnement : le système capitaliste et patriarcal. Elles luttent contre celui-ci de différentes manières : blocage de centrales nucléaires, manifestations pacifistes, lobbying politique, désobéissance civile, méditation collective…

Femmes et Nature : y a-t-il un lien ?

Pour comprendre les logiques d’oppression similaires qui s’appliquent aux femmes et à l’environnement, on peut s’intéresser aux écrits de Francis Bacon. Ce philosophe, scientifique et homme d’État britannique est un des théoriciens de l’asservissement de la Nature par l’Homme. En 1623, dans De la dignité et de l’accroissement des sciences, il écrit : “Il ne s’agit au fond que de suivre la nature à la trace, […] lorsqu’elle s’égare spontanément, afin de pouvoir ensuite, à volonté, la conduire, la pousser vers le même point. […] Et il ne faut nullement balancer à entrer et à pénétrer dans ces antres et ces recoins, pour peu qu’on n’ait d’autre but que la recherche de la vérité”. A partir de là, le mythe de la Terre Mère qu’il faut protéger voire craindre s’efface. Il laisse place à l’idée que la Nature est au service des humains. Il est intéressant de voir comment Bacon, par ses métaphores, associe la nature à la femme.

Les femmes sont plus vulnérables au changement climatique

Les crises environnementales touche plus durement les femmes et cela s’explique, en partie, par ces logiques d’oppression. Le GIEC a reconnu, en 2007, que les conséquences du changement climatique variaient selon le sexe et selon les revenus. Or, dans le monde, les femmes représentent 70% des personnes subsistant avec moins d’un dollar par jour et elles possèdent moins de 1% des ressources mondiales.

Selon l’ONU, les femmes et les enfants ont 14 fois plus de chance que les hommes de mourir lors d’une catastrophe naturelle. Pour prendre un exemple concret, parmi les 200 000 morts du tsunami de 2004 dans l’océan indien, 80% des victimes en Indonésie étaient des femmes, 73% en Inde et 65% au Sri Lanka, d’après le Programme des Nations unies pour l’environnement. Cela s’explique par le fait que les femmes restent dans les zones rurales et côtières pour s’occuper de leurs familles et des terres pendant que les hommes vont travailler en ville. Elles sont également moins nombreuses à savoir nager. Dans les pays dits du Sud, les femmes sont nombreuses à vivre de l’agriculture, une activité très sensible aux changements climatiques. Elles sont cependant peu protégées par le droit : selon la FAO, moins de 15% des propriétaires terriens sont des femmes.

Les femmes s’engage davantage pour la protection de l’environnement

Les femmes sont aussi plus nombreuses à se préoccuper de l’environnement et du changement climatique. Une étude menée dans 11 pays dits du Nord, a montré que les femmes se disaient davantage inquiétées par le changement climatique et prêtes à changer leur mode de vie pour lutter contre ce dernier. En France, aux dernières élections européennes, les femmes ont également été plus nombreuses (17%) que les hommes (9%) à voter pour le parti écologiste EELV.

Leur plus grande vulnérabilité aux changements climatiques pourrait expliquer cet intérêt plus marqué chez les femmes, explique la chercheuse Margaret du Bray. Cette différence d’intérêt quant au changement climatique peut aussi s’expliquer par une éducation et socialisation différente chez les femmes. On éduque davantage les femmes à ressentir de l’empathie, à prendre soin des autres et de leur environnement que les hommes. Dans les familles qui décident d’adopter un mode de vie plus écologique, c’est souvent à la femme qu’il incombe d’organiser cette transition : acheter en vrac, cuisiner davantage maison, fabriquer ses propres cosmétiques et produits d’entretien… Ce sont des activités souvent associées à la féminité comme le montre cette étude américaine de 2016 : les pratiques “écolos” sont vues comme efféminées par les hommes.

Les critiques de l’écoféminisme

Le mouvement féministe est pluriel et souvent mal compris, ce qui lui a valu beaucoup de critiques. Étudions ici les principales.

Il n’y a pas de lien entre écologie et féminisme

Effectivement, si on réduit l’écologie à une lutte contre les dégradations infligées à l’environnement par une société de consommation débridée et le féminisme à un combat contre les inégalités de genre persistantes, on a du mal à comprendre la cohérence du concept d’écoféminisme.  Jeanne Burgart-Goutal, philosophe spécialiste du mouvement, explique que “cette réduction rend incompréhensible l’écoféminisme”.

L’écologie et le féminisme s’attaquent chacun aux racines du problème : le système capitaliste et patriarcal. Comme on l’a vu, c’est un système qui considère la nature et la femme comme au service de l’homme. Les femmes sont les principales victimes d’un changement climatique dont elles sont peu responsables. L’écoféminisme lutte contre les logiques de profit qui mène à l’épuisement des ressources naturelles et l’exploitation des femmes comme main-d’œuvre bon marché. Préserver l’environnement et obtenir des droits égaux entre les genres passe par un changement de système : c’est le principe central de l’écoféminisme.

L’écoféminisme est un essentialisme

De nombreuses critiques ont reproché à l’écoféminisme d’être essentialiste, de reconnaître un lien inné entre la femme et la nature qui seraient proches par essence. Ces critiques visent notamment la branche spirituelle de l’écoféminisme. Il est vrai que les écoféministes ont révélé des contradictions entre leur volonté de ne pas être assimilées à la nature et au domaine de l’affect et entre leur envie de célébrer leur lien à l’environnement. C’est ce que dépeint la philosophe française Emilie Hache, dans son recueil Reclaim.

Les critiques pointent le risque que par cet essentialisme, la femme soit encore une fois ramenée au domaine du sensible et que son action soit dépolitisée. La plupart des écoféministes reconnaissent que les femmes n’ont pas un lien particulier avec la nature mais elles veulent se réapproprier les questions environnementales. L’enjeu est de valoriser ce qui a toujours été mis du côté de la nature et des femmes (prendre soin des autres et de son environnement, l’empathie, les sentiments) sans l’inférioriser.