Pourquoi la question de la justice climatique prend-elle de l’importance ? Que signifie cette notion ? Quels en sont les enjeux ? La justice climatique, une question qui prend de l’ampleur face aux conséquences du réchauffement climatique

Définition de la justice climatique

Selon le dernier rapport publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), alors que les activités humaines ont provoqué une hausse moyenne de la température terrestre de 1° C depuis les débuts de la Révolution Industrielle, la température de la Terre devrait encore augmenter de 1,5 à 2° C et ce juste entre 2030 et 2050.

Si les effets du changement climatique se font déjà sentir avec la multiplication des catastrophes naturelles et des canicules en période estivale, la situation s’aggravera avec l’augmentation des températures. En effet, l’augmentation des températures débouchera sur une multiplication des risques liés au stress thermique, aux précipitations extrêmes, aux sécheresses et aux pénuries d’eau, qui affecteront tant les écosystèmes, les biens et les économies que les personnes vivant en zone urbaine et rurale.

De plus, ces risques seront démultipliés pour les personnes déjà vulnérables, qui vivent privées des infrastructures de base ou dans des zones exposées à la pollution ou des habitations de mauvaise qualité.

Dans les pays en développement, le changement climatique aggravera de même les difficultés des populations en situation de précarité et créera de nouvelles poches de pauvreté.

 

Or, historiquement, les pays du Nord sont à l’origine d’une grande partie des émissions de CO2 et autres gaz favorisant l’effet de serre. Toutefois, la plupart des pays du Sud ont relativement moins contribué au réchauffement climatique que les pays du Nord alors qu’ils en sont les premiers impactés (à titre de comparaison, un habitant des Etats-Unis émet chaque année plus de 16 tonnes de CO2, tandis que les émissions ne sont que de 0,1 tonne par habitant en Ethiopie).

(source : La Banque Mondiale, Emissions de CO2, tonnes métriques par habitant, https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/en.atm.co2e.pc?view=map&year=2014)

 

Dans ce contexte, le concept de justice climatique prend de plus en plus d’ampleur dans les revendications de la société internationale et plusieurs sommets se sont tenus depuis 2003, en marge des Conférences des parties de la Convention-Cadre des Nations-Unis sur le Changement Climatique (CCNUCC) pour intégrer l’idée que le changement climatique n’est pas seulement une crise écologique, mais aussi une crise politique, alimentaire et énergétique.

 

Selon les chiffres émanant de l’Agence des Nations Unis pour les réfugiés, entre 2008 et 2015, 203,4 millions de personnes ont été déplacés en raison de catastrophes naturelles et la probabilité d’être déplacé en raison de catastrophes climatiques a doublé depuis 1970 (source : UNHCR, Synthèse, Déplacements liés aux catastrophes naturelles et au changement climatique, 2017,  https://www.unhcr.org/fr/5a8d48ff7).

 

La justice climatique traduit donc une attente sociale exprimée par la société civile, pour appréhender les enjeux climatiques sous l’angle social, éthique, économique mais surtout sous celui des responsabilités des politiques publiques.

 

Une reconnaissance juridique progressive tant sur la scène internationale qu’en droit interne

Plusieurs principes de droit international peuvent servir de fondement à la justice climatique. En effet, dès la Conférence de Stockholm, en 1972, le droit à un environnement sain a été consacré (principe 21 de la déclaration), avant d’être repris par la CCNUCC en 1992, qui prévoit qu’il « incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives ». En somme, ce traité consacre le principe selon lequel les Etats ont tous l’obligation de protéger l’environnement, mais que cette obligation diffère selon le niveau de développement des Etats et leurs besoins.

 

Cette question de justice climatique peut également être reliée à plusieurs des Objectifs du Développement Durable établis par le Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD) en 2015. Ainsi, l’objectif 2 vise à réduire le problème de la faim dans le monde et à développer l’agriculture ; l’objectif 13 évoque les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique, tandis que l’objectif 16 traite de l’accès à la justice à travers le monde.

 

En France, le concept de justice climatique s’appréhende, selon les économistes, sous l’angle de l’optimisation du bien-être collectif ou sous celui de l’amélioration du sort des plus défavorisées à savoir les populations déjà fragilisées compte-tenu de leur état de santé, de leur niveau de richesse, de leur lieu de vie, voire de leur genre.

Pour plus d’information sur les populations à risque en France, voir : Conseil Economique et Social, La justice climatique : enjeux et perspectives pour la France, avis, septembre 2016, https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000685.pdf ).

Au niveau juridique, le droit à un environnement sain est constitutionnellement reconnu à l’article 1 de la Charte de l’environnement de 2005, qui dispose que : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » tandis que l’article 2 ajoute que : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».

 

Ces dispositions, associées à l’obligation pour l’Etat de limiter au maximum le réchauffement climatique conformément à ses engagements découlant des textes européens et de l’Accord de Paris de 2015 sont notamment à l’origine de l’action en justice intentée pour carence fautive contre l’Etat dans « L’Affaire du siècle ». Et cette affaire est loin d’être la première en matière d’actions en justice contre les Etats en faveur de la justice climatique.

 

Quelques actions portées devant les juridictions au nom de la justice climatique

Depuis quelques années, les litiges devant les juridictions se multiplient à travers le monde, en faisant usage des dispositifs juridiques existants, nationaux et internationaux. La question climatique est en passe de devenir une cause citoyenne, ce qui se traduit par l’augmentation des litiges en cours sur la question.

 

Plusieurs actions judiciaires ont eu un écho certain, en particulier l’action engagée par un fermier du Panjab (région du Pakistan), las de voir ses récoltes anéanties par les sécheresses à répétition. Ce dernier a en conséquences attaqué son gouvernement en 2015 pour « inaction retard et absence de sérieux (…) dans la mise en œuvre de la politique nationale de lutte contre le changement climatique (…) portant atteinte aux droits constitutionnels fondamentaux à la vie et à la dignité ».

La Haute-Cour du Lahore a rendu son verdict en septembre 2015, ordonnant au gouvernement de créer une commission composée de représentants de l’Etat afin d’améliorer la politique du Pakistan dans la lutte contre le changement climatique et l’émission de gaz à effet de serre.

 

Une autre affaire célèbre est celle liée au procès intenté par l’association néerlandaise Urgenda, au nom de près de 900 citoyens, afin que l’Etat réduise ses émissions de gaz à effet de serre. Si l’affaire est si fréquemment citée à titre d’exemple, c’est que le Tribunal de La Haye a donné raison à l’association, arguant que l’Etat pouvait faire plus « pour contrer le danger imminent causé par le changement climatique, étant donné son devoir de diligence à protéger et améliorer l’environnement ». L’Etat néerlandais a par la suite fait appel, mais le couperet est tombé le 9 octobre 2018, réaffirmant le manquement de l’Etat à son devoir de diligence.

 

En France, la requête déposée par les ONG Greenpeace, Oxfam France, Notre Affaire à tous et la Fondation pour la Nature et l’Homme mi-mars n’est donc qu’un exemple parmi d’autres d’une volonté citoyenne de voir consacrer une nouvelle forme de justice, dont l’objectif est de préserver l’environnement et par conséquent la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins, sans qu’ils ne soient compromis par les générations présentes.

 

Toutefois, si ces actions soulignent l’importance accrue de la question climatique auprès des citoyens, pour le moment les actions juridiques d’ampleurs ne sont pas envisageables, car ni la Cour internationale de justice ni la Cour pénale internationale ne reconnaissent l’existence de crimes d’atteintes graves à l’environnement, également appelés écocide.