Que recouvre le concept de décroissance ? Quelle est son histoire et son influence actuelle ? La décroissance est-elle réaliste ? Est-ce une solution pour la transition écologique et sociale ? Décryptage.

Décroissance : définition

La décroissance désigne une situation économique dans laquelle la richesse économique produite, mesurée par le PIB, n’augmente pas, voire diminue de manière planifiée.

Plus largement, la décroissance s’inscrit dans une pensée critique de l’économie actuelle et de la gouvernance du capitalisme contemporain. Elle cherche à proposer un modèle de société qui ne serait plus autant axé sur la production économique, mais viserait à l’épanouissement social, économique, culturel de chacun, en adéquation avec les impératifs écologiques.

Décroissance ou récession

Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, la décroissance n’est pas une forme de récession économique. La récession désigne en effet une situation où une économie productiviste subit des taux de croissance négatifs. Au contraire, la décroissance relève d’une démarche volontaire qui vise à ne plus ériger la croissance économique comme objectif social fondamental. La récession est donc synonyme de pauvreté, de chômage, de régression sociale et économique, là où la décroissance a au contraire pour objectif de lutter contre la pauvreté, de redéfinir le travail, en répartissant mieux les richesses, sans pour autant les voir croître.

Décroissance ou sobriété

La décroissance est assez proche du concept de sobriété, qui propose également une recherche volontaire de modération dans nos consommations et nos productions économiques. La sobriété, qui se décline sous forme de sobriété énergétique, sobriété numérique, sobriété foncière, est l’un des piliers de la décroissance. Pourtant, la décroissance ne se limite pas à la sobriété, puisqu’elle inclut également les notions de justice sociale, d’épanouissement, de convivialité et de solidarité.

Pourquoi la décroissance ?

La décroissance repose sur le constat que nous évoluons dans un monde fini, aux ressources limitées, et sur l’idée que seule une réduction de la production et de la consommation globale pourra assurer l’avenir de l’humanité et la préservation de la planète, objectif que le système économique actuel n’arrive pas à atteindre. La décroissance part donc du constat que la recherche permanente d’une croissance infinie dans un monde fini provoque de nombreux dégâts écologiques et sociaux, qui rendent ce modèle économique non soutenable à moyen terme. Elle repose également sur la prise de conscience que les concepts de « croissance verte » ou de « développement durable » n’ont jusqu’ici pas permis de concilier croissance et productivité d’un côté, et préservation des écosystèmes ou des liens sociaux de l’autre.

L’idée de la décroissance est donc de proposer une alternative à cette recherche permanente de croissance : une économie stationnaire, où les ressources seraient mieux partagées, mises au service du progrès social et humain, une économie dédiée à l’épanouissement de chacun plutôt qu’à l’enrichissement d’un petit nombre, etc.

Pour ses défenseurs, la décroissance n’est complète que lorsqu’elle relève avant tout d’une démarche de « simplicité volontaire », de sobriété heureuse, et non pas d’une réalité subie. En d’autres termes, une société où la modération est privilégiée, et ou la production est adaptée non pas aux besoins des marchés, mais aux besoins des citoyens dans le respect de l’environnement et de la biodiversité.

De fait, un projet de décroissance nécessite immanquablement une meilleure répartition des richesses et implique un principe d’équilibre à tous les niveaux, et notamment un réajustement des disparités Nord/Sud : baisse des prélèvements de ressources naturelles par les pays riches, au profit d’un meilleur accès des pays pauvres aux bénéfices d’un développement raisonné.

Voir : 5 livres pour comprendre la décroissance

La décroissance est-elle impossible ? Une utopie ?

Les défenseurs du système économique actuel décrivent souvent la décroissance comme une utopie irréaliste. Selon eux, seule la croissance économique permet d’améliorer le confort humain, de produire de l’innovation et du progrès, et de développer des solutions à nos problèmes sociaux ou écologiques.

Mais cette analyse méconnait la recherche récente en économie, qui montre au contraire que la croissance n’est pas toujours, loin s’en faut, un vecteur de progrès social ou de développement pour nos sociétés. Ainsi, malgré la croissance économique depuis 1980, les inégalités sociales augmentent, ainsi que le chômage. L’isolement social n’a jamais été aussi élevé, et de nombreux problèmes sanitaires émergent. La dégradation écologique n’a jamais été aussi forte, et remet aujourd’hui en cause nos capacités à survivre dans notre environnement. De plus en plus d’études montrent que les théories fondamentales de l’économie de la croissance et de la productivité sont fausses : c’est le cas de la théorie du ruissellement, par exemple, qui présuppose à tort, que la croissance de la richesse de quelques uns « ruisselle » et bénéficie au reste de la société.

De nombreux économistes défendent aujourd’hui l’idée que ce n’est pas nécessairement la croissance qui permettra de résoudre les grands problèmes de nos sociétés, mais plutôt une meilleure gestion et répartition des richesses que nous créons, une meilleure allocation des ressources, et une meilleure gouvernance de notre système économique.

Décroissance : les origines et l’actualité du concept

Si les idées liées à la préservation de l’environnement et à l’exploitation excessive des ressources naturelles ont émergé dès la fin de la Seconde guerre mondiale, c’est au début des années 1970 que le concept de décroissance a pris son essor, avec notamment la parution du livre de Nicholas Georgescu-Roegen, The Entropy Law and the Economic Process qui posera les bases de la critique de la croissance infinie. Mais c’est également grâce à l’implication de nombreux penseurs de l’écologie politique et à l’engagement sur le terrain des mouvements militants altermondialistes que la décroissance se déploiera pleinement.

Mais cette dynamique citoyenne sera en partie occultée en 1972 lorsque accouchera des travaux du Club de Rome le fameux « rapport Meadows », The Limits to Growth (Les limites à la croissance) qui offrira au terme de décroissance une reconnaissance mondiale.

Le rapport s’appuie malgré cela sur quelques principes intangibles de la décroissance :

  • une grande partie des ressources de l’écosystème humain (la planète) sont par nature limitées ;
  • chaque prélèvement de ressources non renouvelables hypothèque l’avenir quant aux chances de survie à long terme de l’humanité ;
  • une croissance infinie (démographique, économique…) dans un monde fini est impossible.

Aujourd’hui, sans qu’il y ait pour autant adhésion majoritaire à la radicalité du concept, nombre des idées mises en avant sont confortées par la réalité devenue incontestable de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Et cela d’autant plus que la validité des outils économiques, tel que le PIB, est mise à mal par leur incapacité à rendre compte des dommages de l’activité anthropique sur l’environnement. Hommes et femmes, chercheurs, philosophes, écrivains, citoyens, bien qu’encore marginaux, s’essayent aujourd’hui à dessiner un nouvel idéal de société à partir des nombreux ouvrages, théories, concepts… hérités des milieux écologistes.

Décroissance versus développement durable

Si les positions de l’idéologie de la décroissance restent minoritaires dans le concert économique mondial, ses thématiques n’en impactent pas moins de nombreux discours, notamment ceux liés au développement durable.

En effet, dans le champ de l’écologie et du développement durable, l’idée que notre modèle économique fondé sur la croissance est la racine des problèmes environnementaux est de plus en plus répandue. En effet, c’est pour soutenir la croissance économique et l’augmentation du PIB que le système économique mondial est sans cesse pousser vers la consommation de ressources naturelles, la conquête de plus en plus systématique des écosystèmes, l’utilisation d’énergies fossiles et de produits chimiques… C’est à cause de la prépondérance de ces activités économiques et de leurs externalités sur l’environnement que l’on observe aujourd’hui le réchauffement climatique, la dégradation de la biodiversité ou encore la pollution de l’air.

Dans la pensée de la décroissance, il y a donc l’idée qu’il faut cesser de vouloir sans cesse produire plus au détriment de la nature, et qu’il faut à la place tenter de produire moins, mais mieux et avec moins.

Entre autres exemples, les principes de l’éco-conception ou de la permaculture ou l’agro-écologie, ainsi que des outils tels que l’ACV ou l’Analyse de matérialité, sont fortement inspirés du credo majeur des tenants de la décroissance : la nécessité d’adapter l’empreinte écologique des activités humaines au caractère limité des ressources disponibles. Au final, la décroissance cherche à redéfinir notre modèle économique en prenant comme concept de base la résilience.