À quoi servent les mégabassines ? Comment fonctionnent-elles ? 

Les « mégabassines », ou retenue de substitution, sont de grandes structures artificielles conçues pour stocker de l’eau à des fins agricoles. Elles sont principalement implantées dans des régions où l’irrigation est essentielle pour soutenir les cultures, en particulier lors des périodes de sécheresse. Ces infrastructures consistent en de vastes réservoirs creusés dans le sol, recouverts d’une bâche imperméable pour minimiser les pertes par infiltration. Les bassines peuvent couvrir une superficie de plusieurs hectares et sont entourées de remblais pouvant atteindre jusqu’à huit mètres de hauteur. Elles peuvent contenir l’équivalent de 300 piscines olympiques.

À ce jour, aucun recensement officiel ne permet de connaître le nombre exact de mégabassines en projet en France. Christian Amblard, directeur honoraire de recherche au CNRS et spécialiste des écosystèmes aquatiques parle tout de même de 1000 à 2000 bassines en projet ou déjà construites en France. Dans le Centre-Ouest de la France, l’écologue et directeur de recherche au CNRS Vincent Bretagnolle explique dans un article pour CNRS Le Journal que « plus de 150 bassines sont déjà construites (certaines illégalement) ou en projet, pour répondre au stress hydrique… ».

Contrairement aux retenues collinaires, qui captent l’eau de pluie par ruissellement, les mégabassines nécessitent des infrastructures plus complexes. Elles sont alimentées par des pompes hydrauliques qui prélèvent l’eau directement dans les nappes phréatiques, généralement durant la saison hivernale, lorsque l’eau est théoriquement abondante. Cette eau est ensuite stockée pour être utilisée durant les périodes de sécheresse, souvent en été, lorsque les besoins en irrigation sont les plus élevés et que les ressources en eau sont souvent insuffisantes en raison de la sécheresse.

Les mégabassines : problème ou solutions ?

Avantages potentiels

Les partisans des mégabassines avancent plusieurs arguments en faveur de ces infrastructures. Tout d’abord, elles permettent de réguler l’utilisation de l’eau en décalant les prélèvements sur les nappes phréatiques des périodes critiques de l’été vers l’hiver, où les nappes sont pleines et où l’eau est excédentaire. Ce mécanisme vise à réduire la pression sur les écosystèmes pendant les périodes de sécheresse, en évitant de pomper l’eau des nappes phréatiques lorsque les niveaux sont déjà très bas.

Un rapport du BRGM du 8 juillet 2022 explique ainsi que dans le bassin de la Sèvres Niortaise : « Des niveaux piézométriques plus haut permettraient un meilleur maintien en eau des zones humides en fond de vallées et amélioreraient les débits entrant sur le marais mouillé, soit par débordement (sources, suintement), soit via l’interconnexion nappes/canaux de bordure et par l’augmentation des débits des rivières ».

En outre, les mégabassines peuvent fournir aux agriculteurs une assurance contre les incertitudes climatiques. Avec le changement climatique, les épisodes de sécheresse sont appelés à devenir plus fréquents et plus intenses, en particulier dans certaines régions de France. « La ressource en eau renouvelable, c’est-à-dire l’eau fournie par les précipitations qui ne retourne pas à l’atmosphère et celle des cours d’eau, a baissé de 14 % en France métropolitaine, en moyenne annuelle, entre les périodes 1990-2001 et 2002-2018 », note le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. L’étude scientifique Explore2070 du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estime qu’en 2050, le débit moyen des cours d’eau en métropole devrait diminuer de 10 à 40%. 

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Limites et risques écologiques

Cependant, les mégabassines sont loin de faire l’unanimité, et de nombreuses critiques soulignent leurs impacts négatifs probables dans le futur, tant sur l’environnement que sur la société. L’un des principaux arguments contre les mégabassines est leur dépendance aux conditions climatiques hivernales. Si les hivers deviennent plus secs en raison du changement climatique, les mégabassines pourraient ne pas se remplir suffisamment, compromettant ainsi leur utilité. 

Comme l’explique Benoît Grimonprez dans un billet de blog, professeur en droit de l’agro-écologie à l’Université de Poitiers, les études d’impact environnemental des projets de mégabassines en France sont de qualité très variable, et ne permettent pas d’affirmer que les mégabassines seront bénéfiques ou non, faute de pouvoir prévoir l’avenir climatique. Le BRGM lui-même nuance en février 2023 les résultats de sa précédente note de juillet 2022 et explique que son rapport se base sur des conditions climatiques de 2000 à 2011. « En toute rigueur, cette période de référence ne permet pas de prendre en compte les conditions météorologiques récentes et encore moins futures », le BRGM ajoute plus loin, « en effet, la récurrence de périodes de sécheresse hivernale pourrait conduire de manière répétée à des niveaux de nappe inférieurs aux seuils réglementaires, compromettant le remplissage des réserves certaines années ».

Les mégabassines peuvent poser également des problèmes pour la qualité de l’eau. L’eau stockée en surface est d’une part susceptible de s’évaporer, surtout en période estivale, et d’autre part, l’eau peut se charger en nutriments, ce qui va participer à sa dégradation. Ce phénomène, appelé eutrophisation, peut rendre l’eau impropre à l’irrigation et nuire aux écosystèmes aquatiques environnants.

Les impacts sociaux des mégabassines et défis de la gestion de l’eau

Accaparement de la ressource en Eau

Les mégabassines peuvent conduire à une forme d’accaparement des ressources naturelle, car ces infrastructures ne bénéficient généralement qu’à une minorité d’exploitations agricoles. En France, seulement 15 % des exploitations agricoles utilisent l’irrigation, couvrant 5,8 % de la superficie agricole utilisée (SAU). Cela suscite des accusations de privatisation de la ressource en eau par les opposants aux projets, au détriment des petits agriculteurs et des communautés locales qui peuvent se retrouver en concurrence pour l’accès à l’eau, surtout en période de pénurie.

D’autant plus que, comme évoqué précédemment, plusieurs projets de mégabassines en France sont illégaux, et ont été réalisés sans accord de l’État. En outre, un projet en Charente-Maritime de 6 mégabassines a été annulé le 21 janvier 2023 par la cour d’appel de Bordeaux à cause d’un surdimensionnement du projet. 1,6 million de m³ d’eau pour 13 cultivateurs céréaliers, un « volume des « méga-bassines » projetées n’était pas conforme au règlement du schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la Sèvre niortaise et du Marais poitevin, dont l’objet est notamment d’assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau« , explique le communiqué de la cour d’appel. 

Cette concentration de la ressource entre les mains de quelques exploitations soulève des questions sur la justice sociale et l’équité dans la répartition des ressources naturelles. Les opposants, regroupés au sein de collectifs comme Bassines Non Merci, critiquent le fait que ces infrastructures sont souvent financées par des fonds publics, alors que leurs bénéfices sont principalement captés par des intérêts privés.

Conflit entre deux modèles agricoles

Le débat autour des mégabassines cristallise finalement un conflit plus large entre deux modèles agricoles : d’une part, un modèle agro-industriel, axée sur la maximisation des rendements à court terme, et d’autre part, une approche agroécologique, qui cherche à minimiser l’impact environnemental et à favoriser la résilience des écosystèmes. Les mégabassines, en soutenant une agriculture intensive, sont vues comme un frein à la transition vers des pratiques plus durables.

Quelles solutions alternatives aux mégabassines ?

Les mégabassines, bien qu’elles puissent répondre à des besoins immédiats, ne peuvent à elles seules résoudre les problèmes systémiques liés au changement climatique et à l’épuisement des ressources naturelles. D’autant plus alors que la France détruit depuis plusieurs décennies des sources naturelles de rétention d’eau : prairies inondables, zones humides, arbres (bocages, haies, petits bois)…

La littérature scientifique prône ainsi une gestion plus intégrée de l’eau, qui prendrait en compte l’ensemble des besoins des écosystèmes, des agriculteurs, et des communautés locales, et propose des solutions complémentaires, telles qu’une nouvelle gestion des sols pour améliorer la rétention d’eau, une diversification des cultures pour réduire la dépendance à l’irrigation, ou encore une restauration des zones humides, qui jouent un rôle crucial dans la régulation des cycles hydrologiques.

Vincent Bretagnolle rappelle dans son article qu’il est urgent de lancer le chantier de ralentissement du cycle de l’eau, « en recréant un « territoire-éponge », par la plantation d’arbres et de haies dans nos champs et nos campagnes, par le remplacement de certaines terres cultivées par des prairies, en laissant les cours d’eau lézarder… » afin de conserver l’eau le plus longtemps possible sur notre territoire. 

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