Pour vraiment réduire l’impact environnemental de nos sociétés, la seule vraie solution durable pour la mobilité, c’est de sortir du modèle de la voiture individuelle.

En France, le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre. Près d’un tiers des émissions de CO2 du pays sont liées aux transports. Et contrairement à ce que l’on croit souvent, ce ne sont pas les poids lourds, les avions, ou les cargos qui sont responsables de la majorité de ces pollutions. C’est bel et bien la voiture.

À elles seules, les voitures françaises sont responsables de 15% des émissions de CO2 du pays (voir : Quels secteurs émettent le plus de CO2 ?). C’est plus que l’aviation, les poids lourds et le transport maritime réunis. Pratiquement autant que toute l’industrie lourde. Et à ce CO2, il faudrait rajouter la pollution aux particules fines, et bien d’autres nuisances, notamment le bruit.

Face à ce constat, il est évident que l’une des priorités des politiques écologiques doit être d’inventer une mobilité plus propre. Pour y parvenir, on met l’accent depuis longtemps sur l’idée qu’il faut rendre les voitures plus écologiques. De nombreuses solutions sont sur la table : voiture électrique, voiture hybride, voiture à hydrogène…

Pourtant, si l’on regarde l’état des connaissances scientifiques, il semble que ces solutions seront bien insuffisantes. En fait, une seule solution semble crédible aujourd’hui : sortir du modèle de la voiture individuelle. Tentons de comprendre.

Voiture électrique, hydrogène : l’insuffisance des véhicules écologiques

Il existe aujourd’hui des pistes pour rendre les voitures plus écologiques. La plus aboutie à ce jour est celle de la voiture électrique. Et il faut bien l’avouer, c’est une piste très intéressante. Contrairement à ce que l’on peut lire ça et là, la voiture électrique est nettement plus écologique que la voiture thermique. D’abord, en France, où l’électricité émet peu de gaz à effet de serre, la voiture électrique émet 2 à 3 fois moins de CO2 (même en prenant en compte la production du véhicule, de la batterie et de l’électricité). Mais, même dans les pays dont l’électricité n’est pas très propre, la voiture électrique émet moins de CO2 que les voiture thermiques, grâce à ses moteurs plus efficaces.

Elle émet aussi nettement moins de particules fines (son moteur n’en émet aucune), et surtout, lorsqu’elle en émet (à la production de l’électricité) c’est loin des zones de vie, ce qui réduit considérablement le danger sanitaire. Sur ces sujets, les études sont claires, et ce depuis plusieurs années. En plus, son autonomie est aujourd’hui nettement suffisante pour répondre aux besoins de mobilité de la grande majorité des Français au quotidien (qui parcourent en général moins de 50 km par jour).

Pourtant, la voiture électrique n’est pas tout à fait « écologique » non plus. Elle a des impacts environnementaux notables. Elle contribue, comme la voiture thermique, à l’acidification des milieux et à leur eutrophisation, notamment parce qu’elle nécessite des matériaux complexes à extraire du sous-sol. Aussi, ces activités d’extraction contribuent à dégrader certains espaces naturels, et avec eux, la biodiversité locale.

Une autre alternative fait parler d’elle : la voiture à hydrogène. Beaucoup voient dans l’hydrogène une technologie prometteuse pour rendre les voitures plus vertes. Son avantage : il n’a pas les contraintes de recharge et d’autonomie de la voiture électrique. Mais les choses ne sont pas si simples : produire de l’hydrogène est très complexe. On peut en produire à partir d’énergies fossiles (près de 90% de l’hydrogène mondial est produit ainsi), ce qui est assez polluant. L’autre solution, c’est d’en produire à partir d’eau, ce qui nécessite des quantités considérables d’électricité : dans ce cas, il est énergétiquement plus intéressant d’utiliser cette électricité directement dans les voiture électriques, ce qui limite les pertes, et donc les pollutions. Le bilan de l’hydrogène n’est donc pas bon aujourd’hui. Mais qui sait, si les technologies s’améliorent ? (Voir à ce sujet : La voiture à hydrogène est-elle écologique ?)

Les « véhicules propres » : des modèles difficilement généralisables

Aujourd’hui, on pourrait nettement améliorer le bilan écologique du transport automobile grâce à la voiture électrique, ou peut-être à l’avenir grâce à l’hydrogène si les progrès techniques se confirment. Mais il resterait d’énormes problèmes environnementaux à régler même avec ces véhicules « plus verts ». Notamment, des questions fondamentales autour de la biodiversité et de la stabilité des milieux naturels.

En d’autres termes, cela signifie que si l’on voulait remplacer tous les véhicules thermiques de la planète avec ces véhicules plus propres, on règlerait peut-être une partie de certains problèmes écologiques (le climat, par exemple avec la voiture électrique) mais qu’il en resterait d’autres, que l’on pourrait même aggraver. Ainsi, une très récente étude publiée dans la Revue Nature montrait qu’une généralisation des technologies vertes type énergies renouvelables pourrait accentuer nos impact sur la biodiversité, à cause des activités minières associées… Les mêmes mines que l’on retrouve dans la chaîne de production de la voiture électrique et de ses batteries.

D’autre part, la voiture électrique pose un certain nombre de questions écologiques de long terme : quel est l’impact écologique des batteries des voitures électriques ? Comment compte-t-on les recycler pour éviter qu’elles ne polluent l’écosystème ? Aura-t-on assez de lithium pour soutenir la croissance du véhicule électrique ? Et comment procèdera-t-on pour extraire ce lithium sans détruire de très vastes écosystèmes naturels ?

Pour toutes ces raisons, la voiture électrique (et les autres véhicules « propres » que l’on pourra éventuellement développer dans les prochaines décennies) ne semblent être que des solutions partielles au problème de la mobilité durable. Il faut développer ces véhicules, mais garder à l’esprit que s’ils sont meilleurs, ils ne sont pas parfaits pour autant. Il ne faut donc pas les prendre pour des solutions miracles.

La voiture individuelle : au coeur d’un modèle écologiquement désastreux

De plus, quel que soit le type de véhicule que l’on utilise, l’omniprésence de la voiture individuelle est au coeur d’un modèle social et économique dont les conséquences environnementales sont très négatives.

Les sociétés modernes se sont constituées autour de l’idée qu’il fallait généraliser la voiture individuelle, gage de liberté pour tous. Résultat, aujourd’hui en France, la quasi-totalité des déplacements quotidiens se font en voiture. Pour la majorité des citoyens, il est alors inenvisageable de se passer de voiture. Et pour cause, les villes se sont construites sur le modèle d’une société dépendante de la voiture. On travaille donc loin de son domicile, on fait ses achats loin de son domicile, on pratique ses loisirs loin de son domicile. Logique, puisque l’on a toujours à portée de main une voiture.

Cela pose plusieurs problèmes écologiques. Le premier, le plus évident, c’est qu’il faut désormais que chacun ait sa voiture et l’utilise au quotidien. Cela oblige donc à en produire de plus en plus, et cela n’est pas prêt de s’arrêter puisque les pays en développement continuent de suivre ce modèle. Mais il y a d’autres conséquences négatives à ce modèle de la voiture reine. Par exemple, à cause de lui, les villes s’étendent de plus en plus : être loin n’est plus un problème, on peut donc habiter loin, puisqu’il suffit de prendre sa voiture pour aller vite, presque n’importe où.

C’est grâce à ce modèle que l’on a pu structurer de grandes zones semi-périphériques, les zones pavillonnaires, avec leurs jardins et leurs parkings individuels. Ces zones urbaines, moins denses, empiètent donc de plus en plus sur les espaces naturels. C’est ce que l’on appelle l’étalement urbain, et en France, il est responsable de plus de 2/3 de la disparition des terres naturelles chaque année. Pourtant, si l’on voulait réellement faire une transition écologique, il faudrait faire l’inverse : s’étaler moins, se rassembler, vivre dans de petits immeubles, qui occupent moins d’espaces, sont plus faciles à chauffer et nécessitent moins de ressources.

Dans ce modèle fondé sur la voiture, on est aussi obligés de construire de plus en plus de routes, de plus en plus de parkings : il faut bien garer ces voitures quelque part. Et quand ce trop plein de voiture forme des embouteillages, on construit des rocades, des grands contournements. Qui créent eux-même des appels d’air pour encore plus de voiture. Ainsi, à Paris, alors que 60% des Parisiens n’ont même pas de voiture, la moitié de l’espace public est dédié à la voiture. Dans les petites villes et les villes moyennes, les places, lieux de vie, se sont transformés au fil du temps en parking. Autant d’espaces que l’on pourrait réserver à d’autres usages (des marchés de producteurs locaux, ou autre chose), ou pour ceux de la périphérie, que l’on pourrait laisser à la nature.

Et si c’était la voiture qui bloque la transition

Au-delà de son moteur, la voiture pose donc des problèmes écologiques plus globaux. Et on peut même dire que son omniprésence est l’une des raisons qui bloquent l’avènement de vrais projets de transition écologique globale.

Comme nous avons structuré nos villes et nos sociétés autour de la voiture, il est désormais très difficile de s’en passer. Dans les zones pavillonnaires, il est ainsi compliqué de faire ses courses sans prendre sa voiture : dans les zones urbaines, les commerces de proximité ont souvent été contraints à la fermeture par les grandes surfaces, situées en périphéries… et accessibles uniquement en voiture. Et on peine à sortir de ce modèle : puisque le consommateur a ses habitudes, on continue à urbaniser selon ce modèle centre-périphérie. Et rien ne change.

De la même manière, dans les villes conçues pour la voiture, on trouve souvent peu de transports en commun. Et pour cause : si la voiture est une norme sociale établie, alors les transports en commun ne sont ni utiles, ni rentables. On se retrouve alors devant des conflits d’usage qui bloquent la transition : l’usage de la voiture freine le développement des transports en commun, les usagers préférant le confort de leurs véhicules, et l’absence de développement des transports en commun empêche à son tour d’envisager sereinement une transition hors du modèle du « tout-voiture ».

Dès lors, lorsque des politiques publiques sont mises en place pour tenter d’inverser cette tendance, elles se heurtent naturellement à des résistances, parfois violentes. Le mouvement des Gilets Jaunes a été déclenché par une politique dont l’un des objectifs était de décourager l’usage du véhicule thermique. Mais on peut difficilement reprocher à une population de s’accrocher à ses habitudes quand tout le système est conçu pour que ces habitudes soient justement les seules viables.

Un futur écologique est-il un futur sans voiture ?

Au regard des données et des phénomènes que l’on peut observer, une chose est certaine : on ne parviendra pas à une vraie transition écologique tant que l’on pensera que l’on peut conserver un modèle de société fondé sur l’usage de la voiture individuelle.

Même si des alternatives fleurissent, même si la voiture électrique est déjà nettement plus performante en termes environnementaux que la voiture thermique, cela ne résout pas tous les problèmes. C’est en réalité notre façon d’envisager notre mobilité qu’il faut transformer, en s’aidant bien sûr des technologies disponibles quand elles sont pertinentes.

Aujourd’hui, la perpétuation d’un modèle centré sur la voiture, quelle qu’elle soit, mine les efforts de transition dans des domaines aussi variés que l’urbanisme, l’usage des sols, la préservation des espaces naturels, les politiques de transports en commun. Il faut prendre conscience de cette réalité si l’on veut pouvoir amorcer de vrais changements.

Si l’on acte cette nécessité, alors c’est tout le discours sur la mobilité qu’il faudra changer. Il ne s’agira plus de vouloir remplacer toutes les voitures d’aujourd’hui par des voitures vertes, mais de faire la transition vers des modes différents : les transports en commun, le vélo, l’auto partagée… Il s’agira de penser notre urbanisme autrement, pour que l’option « voiture » ne soit plus la norme et que d’autres modes s’imposent. Il s’agit tout simplement de changer de paradigme.

Bien-sûr, on ne pourra pas se passer à 100% de la voiture. Bien-sûr, il existera toujours des besoins qui nécessiteront l’usage de véhicules particuliers. Mais pour avancer, les sociétés modernes vont devoir accepter qu’un modèle centré sur l’usage quotidien, massif et généralisé de la voiture individuelle est incompatible avec la transition écologique. Et plus vite elles l’accepteront, plus vite elles pourront commencer à inventer autre chose.

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