Certains prétendent que l’élevage est la première source mondiale d’émissions de CO2, devant le transport. Pourtant, les chiffres indiqués dans les rapports les plus complets sur le sujet disent le contraire. Explications.

Ces dernières années, il y a eu une vraie prise de conscience des impacts de l’élevage sur l’environnement. Progressivement s’est installé dans nos têtes l’idée qu’il faut réduire notre consommation de viande pour lutter contre le réchauffement climatique. Et c’est tout à fait vrai : l’élevage émet une quantité non négligeable de CO2 (notamment à cause du méthane émis par les ruminants) et il faut réduire ces émissions… Donc diminuer l’élevage.

Pour autant, depuis quelques temps circule l’idée que l’élevage serait le premier émetteur de gaz à effet de serre mondial, plus encore que le secteur des transports ou celui de l’énergie. Certains disent même que l’élevage émettrait à lui seul 51% des gaz à effet de serre mondial. Pourtant, si l’on regarde attentivement les chiffres, c’est tout à fait faux. En fait, les données les plus récentes et les plus précises estiment que l’élevage émettrait environ 6% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Alors pourquoi certains prétendent-ils que l’élevage émet plus de CO2 que les transports ?

Un mythe construit sur de fausses comparaisons

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Commençons par une précision. Dans la littérature scientifique, lorsque l’on parle d’émissions de gaz à effet de serre ou même d’émissions de CO2, il s’agit en fait généralement de chiffres exprimés en équivalents CO2. Ces chiffres regroupent donc le CO2 mais aussi d’autres gaz à effet de serre comme le méthane, convertis en « équivalents CO2 ». Lorsque l’on dit par exemple que l’élevage émet X% de CO2, cela veut en fait dire qu’il émet X% des gaz à effet de serre en équivalents CO2, et il s’agit en fait de CO2, de méthane ou encore d’autres à gaz à effet de serre que l’on regroupe sous une même unité. Dans cet article, lorsque nous utilisons le terme « émissions de CO2 » il s’agira donc bien d’émissions de gaz à effet de serre en équivalents CO2 et cela inclue bien évidemment le méthane.

Lorsque l’on lit que l’élevage émet plus que le transport, ce résultat est souvent basé sur la comparaison de deux rapports : le rapport de la FAO sur les émissions de CO2 agricoles (qui estime que l’élevage représente 18% du CO2 émis sur terre) et le rapport du GIEC (qui de son côté estime que les transports représentent 13.1% du CO2 émis sur la terre). Au mieux, ils comparent les résultats de l’étude du GIEC de 2014 sur la « supply chain de l’élevage » avec les chiffres d’émissions de CO2 des transports du Rapport du GIEC 2015. Si l’on regarde ces comparaisons, il semble en effet que l’élevage émette plus de CO2 que les transports (18% contre 13%).

Le problème de ces comparaisons, c’est qu’elles sont invalides car elles utilisent des études qui ne se basent pas sur les mêmes référentiels pour leurs calculs. Ainsi, lorsque le rapport FAO ou celui du GIEC 2014 parlent de « l’élevage », ils incluent dans le calcul :

  • Les émissions de CO2 de l’élevage en lui-même, c’est-à-dire :
    • Les émissions de gaz à effet de serre des animaux(méthane des ruminants et autres),
    • Les émissions de CO2 liées à la gestion des déjections animales
    • Les émissions de CO2 liées aux consommations énergétiques de l’élevage
  • Mais aussi des émissions de gaz à effet de serre qui ne sont pas directement celles de l’élevage, comme :
    • les émissions de CO2 liées à la déforestation nécessaire à certains types d’élevage,
    • les émissions de CO2 liées à la production des aliments consommés par l’élevage
    • les émissions de CO2 du transport de toute la supply chain de l’élevage (comme par exemple le transport de la nourriture qui est utilisée pour nourrir le bétail),

En résumé, ces données incluent à la fois les émissions de l’élevage en lui même, mais aussi des émissions qui font partie du secteur « transport » et du secteur « énergie » dans le cadre du rapport des rapports généraux du GIEC. À côté de cela, le chiffre du GIEC sur les émissions du transport (13.1%) n’inclue quant à lui QUE les émissions qui sont directement liées au transport (c’est-à-dire grosso modo ce qu’émet votre véhicule en roulant).

Concrètement, cela veut dire que ces deux réalités ne sont pas comparables car elles ne sont pas mesurées de la même façon. Pour prendre une analogie plus parlante, on pourrait dire que ça serait comme comparer le prix d’un téléphone X en incluant le prix du forfait, avec le prix d’un téléphone Y seul, sans forfait. C’est évidemment trompeur, et évidemment biaisé.

Élevage ou transport, ou les deux ? Comprendre les calculs d’émissions de CO2

pauvreté agriculture réformeEn réalité, si l’on cherche à définir avec précision l’impact de l’élevage comparé à l’impact des transports, il faudrait isoler ces deux réalités. Savoir d’un côté ce qu’émet l’élevage seul, et de l’autre ce qu’émet le secteur des transports seul. Et cela tombe bien puisqu’une étude du World Ressource Institute a effectivement fait ce calcul et elle trouve le résultat suivant :

  • le secteur des transports seul émet environ 13% de émissions de CO2 (transport routier 10%, autre transport environ 3%)
  • le secteur de l’élevage seul émet environ 5.4% des émissions de CO2 (élevage et consommations énergétiques primaires et secondaires de l’élevage, émissions des ruminants et gestion des déjections)

Bien sûr, on pourrait arguer que l’élevage ne peut pas se faire si l’on ne transporte pas la nourriture du bétail ou si l’on ne coupe pas des arbres pour les pâturages et qu’il faut donc les inclure dans le calcul de l’élevage. Mais de la même façon, le secteur des transports ne peut exister si l’on ne fabrique pas les véhicules (il faudrait donc y ajouter les émissions de l’industrie automobile) et si l’on extrait pas le carburant (il faudrait donc ajouter le secteur de l’extraction énergétique). En allant encore plus loin on pourrait dire que le transport ne peut exister si on ne produit pas d’acier pour fabriquer les véhicules, et il faudrait alors ajouter au calcul les émissions du secteur de production d’acier (voire celle du béton nécessaire pour faire les routes).

Cela illustre qu’en matière de calcul d’émissions, on peut toujours remonter dans le cycle de vie et ajouter des émissions de CO2 dans le calcul. Mais si l’on fait cela, on brouille tout, car il devient alors impossible de distinguer ce qui relève de l’élevage de ce qui relève du transport ou ce qui relève du transport au sein du secteur de l’élevage de ce qui relève du transport global. Tout étant interconnecté dans l’économie, il serait alors impossible d’obtenir des chiffes significatifs.

C’est pour cette raison qu’en matière d’émissions de CO2, les comparaisons doivent toujours se faire au sein d’une même étude, jamais en comparant deux études différentes qui n’ont probablement pas le même référentiel et les mêmes définitions.

L’élevage reste une source d’émissions importante ! Mais il ne faut pas négliger le reste

Reste malgré tout que l’élevage est effectivement une source très importante d’émissions de CO2, notamment car le bétail émet une quantité importante de méthane, et parce que la production de bétail nécessite beaucoup de ressources alimentaires. De plus l’élevage est responsable d’une partie de la déforestation mondiale (environ 14% globalement, mais 70% pour la seule région amazonienne, pour plus d’infos voir les chiffres de la déforestation dans le monde). C’est pour cette raison qu’il faut que nous réduisions notre consommation de viande afin d’inciter à la baisse des productions de bétail. Pour autant, il ne faut pas en venir à l’idée (fausse) de croire que l’on pourrait résoudre le réchauffement climatique uniquement en mangeant moins de viande. En effet, si l’élevage seul représente près de 6% des émissions de CO2, le transport lui en représente plus du double (13%), la déforestation 11%, les consommations énergétiques de nos bâtiments résidentiels 10.2%. En fait, la liste des émissions de CO2 par secteurs (du plus important au moins important) est la suivante :

  1. Le transport routier (13% soit 10,5% pour le transport routier, un peu plus de 3% pour les autres types de transports)
  2. La déforestation : (10.9%)
  3.  La consommation énergétique des bâtiments résidentiels (10,2%) ;
  4.  Les industries manufacturières (7%) ;
  5.  Les industries du pétrole et du gaz (6,4%) ;
  6.  La consommation énergétique des bâtiments tertiaires (6,3%) ;
  7.  L’élevage (5,4%) ;
  8.  La gestion des sols agricoles et la production agricole (5,2%) ;
  9.  La production de ciment (5%) ;
  10.  La production de produits chimiques (4,1%).

 

(les autres secteurs incluent des activités industrielles diverses : production de papier, d’aluminium, les mines etc…)

Cela permet d’avoir une idée relativement précise des actions prioritaires à mettre en place pour réduire nos émissions. Et si réduire notre consommation de viande occupe une bonne place dans ces actions, les premières doivent être de réduire nos besoins en transports, de réduire la déforestation mondiale (qui d’après la FAO est surtout causée par l’agriculture de subsistance c’est à dire la production agricole vivrière), et réduire nos consommations énergétiques (c’est à dire mieux isoler nos bâtiments et réduire nos consommations inutiles).