Face à la hausse des prix, les secteurs de la « consommation responsable » sont en difficultés. Une tension qui illustre bien la relation entre consommation responsable et partage de la valeur dans nos sociétés.

Ces derniers mois, les prix de pratiquement tous les produits et services ont augmenté considérablement. Pour les produits de grande consommation, LSA estiment qu’en un an (de février 2022 à février 2023) les prix ont augmenté de près de 15%. Dans ce contexte, de plus en plus de citoyens modulent leur consommation, changent certaines habitudes. Et bien souvent, c’est la consommation dite « responsable » qui en pâtit.

Dans un contexte économique difficile, consommer des produits de meilleure qualité, plus écologique, plus éthique, est de plus en plus difficile pour un certain nombre de citoyens dont les moyens financiers sont affectés par l’inflation. Depuis quelques mois, les chiffres montrent clairement la perte de vitesse des secteurs de la consommation responsable.

Bio, éthiques, écologiques : des produits délaissés face à l’inflation

Des secteurs entiers, comme l’alimentation biologique, font aujourd’hui les frais de la hausse généralisée des prix. Jusqu’en 2020, la consommation bio avait le vent en poupe : en 10 ans, le secteur avait multiplié ses ventes par trois en volume. Même les confinements n’avaient pas freiné l’engouement pour la bio, bien au contraire : avec plus de temps chez eux pour cuisiner, beaucoup de Français avaient adopté le fait maison, souvent à base de produits bio.

Mais depuis un an, la courbe s’est brutalement inversée. Selon les sources, on parle de 6 à 15% de baisse des ventes de produits bio à l’échelle nationale. Et ce sont les enseignes spécialisées qui sont les plus frappées, face à une grande distribution qui, elle limite la casse.

Même constat pour les autres produits ou services éthiques ou écologiques. Déjà, certains groupes d’experts prédisent la hausse des prix pour les véhicules électriques, et le ralentissement du marché en Europe. Hausse des prix, difficultés d’approvisionnement en matière premières, blocages sur le marché des composants contribuent à mettre le secteur en difficultés. Et côté consommateurs, les interrogations et inquiétudes se multiplient. Une majorité de français pensent ainsi (à tort) qu’avec la hausse des prix de l’électricité, une recharge de voiture électrique coûte aussi cher qu’un plein d’après les données de l’Association Transport et Environnement. Résultat : le nombre de personnes envisageant d’acheter un véhicule électrique stagne.

Consommation responsable : les entreprises « engagées » en difficultés

Dans tous les secteurs ou presque, on retrouve cette tendance : alimentaire, mode, habillement, etc. Dans l’ensemble, les consommateurs tentent de préserver leur pouvoir d’achat en reportant leur consommation sur les marques « petit prix » : marques distributeur, discount, grandes enseignes… Et les petits commerces, les petits entreprises qui tentent (parfois) d’avoir une démarche plus engagée en matière d’éco-responsabilité, de sourcing ou de qualité subissent.

Dans le secteur de l’habillement par exemple, de nombreuses marques et créateurs surfant sur les tendances du Made in France, Made in Europe, ou proposant des produits plus chers mais (en principe) plus qualitatifs, avec des matières premières mieux sourcées, ont été affectées par la crise. Obligées de monter leurs prix, de brader leurs stocks, certaines en sont même venues à fermer ou à remettre à plat leur modèle.

Il faut dire que, contrairement à ce qu’ont longtemps affirmé certains communicants, les produits plus qualitatifs, plus éthiques, ou plus écologiques, coûtent généralement plus cher. Nettement plus cher parfois. On le sait, les voitures électriques à bas coût sont pratiquement introuvables, même si, grâce aux aides de l’Etat, elles peuvent parfois rivaliser avec les thermiques. Le prix d’une alimentation durable (notamment bio) est généralement au moins 30 à 50% plus chère que la moyenne des prix. Et c’est la même chose pour les producteurs de vêtements bio ou éco-responsables, qui ne rivaliseront jamais avec les prix de la fast-fashion, ou de l’ultra-fast-fashion. Et l’inflation frappe souvent plus durement les chaînes de production « responsables », dont les marges sont souvent réduites par rapport aux multinationales pratiquant généreusement le dumping social et environnemental.

Quel avenir pour la consommation responsable ?

Cette situation confirme que la consommation dite « responsable » (quelle que soit les formes qu’elle prend) est fragile. Par définition, la consommation responsable est un luxe, qui est souvent réservé à ceux qui en ont les moyens financiers notamment. Dès lors, quand le marché n’est plus favorable, ou que le pouvoir d’achat des consommateurs se réduit, comme en ce moment avec la hausse des prix et les problèmes structurels qui affectent l’économie mondiale, la consommation responsable recule. Parmi les classes moyennes qui pouvaient se le permettre, beaucoup se détournent des produits éthiques, bio ou écolo pour retourner vers des productions moins chères, et donc souvent moins qualitatives à tous les points de vue.

Cela illustre d’abord à quel point la lutte contre les inégalités et la pauvreté est importante pour la transition écologique et sociale. Sans un pouvoir d’achat suffisant, impossible pour les consommateurs de soutenir des productions plus vertueuses. Mais cela montre aussi à quel point il est risqué de laisser les marchés économiques décider des orientations prises par nos systèmes productifs et nos systèmes de consommation. Livrés à eux mêmes sur des marchés qui visent toujours plus de rendements et des coûts toujours plus bas, les acteurs qui ont un minimum d’ambition en matière écologique ou sociale sont condamnés à ne jamais être compétitifs.

Voir aussi :

Consommation responsable : une volonté politique

Il faut donc soutenir ces secteurs, encourager la production responsable ainsi que la consommation responsable, grâce à des mesures fiscales incitatives par exemple. Mais il faut aussi réguler, mettre des barrières aux pratiques de dumping social et environnemental qui engendrent un nivellement par le bas de la qualité des productions, au détriment de l’environnement et de la rémunération et de la qualité de vie des travailleurs. Pour cela, il faut une action coordonnée des pouvoirs publics, et une réelle ambition politique.

Or aujourd’hui, c’est bien cette volonté politique qui fait défaut. Par peur de brusquer les marchés et les entreprises, les pouvoirs publics refusent de s’engager dans une transition volontariste vers des productions et des modes de consommation plus vertueux. Ils pourraient agir, par des taxes, des aides, des règles. Mais apparemment, ils préfèrent le plus souvent se défausser de leurs responsabilités sur les citoyens, à grands coups d’injonctions à consommer mieux, à s’engager. Mais qui peut encore s’engager quand les prix s’envolent ? Certainement pas l’écrasante majorité des citoyens, dont les niveaux de rémunération sont à peine suffisants pour leur assurer un niveau de vie digne. Et le résultat est là : en attendant d’avoir le courage de s’attaquer à la racine du problème, la consommation responsable, elle, recule.

Voir aussi : Publicité et transition écologique sont-elles compatibles ?

Photo de Thomas Le sur Unsplash