2024 est une année d’élections partout dans le monde. L’extrême droite et le populisme y obtiennent des places de choix auprès d’un électorat de plus en plus fracturé et polarisé. Tandis que l’écologie peine à se frayer un chemin dans les programmes politiques. On profite des vacances pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, mais aussi penser le changement ! 

Politique chaos : les hommes de l’ombre

Ils sont les hommes de l’ombre mais ce sont ceux qui ont contribué au succès du populisme version XXIème siècle. Avec leur utilisation des algorithmes au service d’un marketing politique dénué de valeurs et de vision d’intérêt général, ils ont fait élire Donald Trump aux Etats-Unis, Jair Bolsonaro au Brésil ou Viktor Orban en Hongrie. Par leurs manœuvres, ils ont plus que contribué à fragmenter et diviser la société autour de thématiques rances attisant les rancœurs et in fine, au chaos politique actuel. Mais il serait malvenu de voir dans ce décryptage méticuleux des techniques employées, une seule critique de la technologie et des manipulations dont elle fait l’objet. C’est aussi l’aveuglement et le mépris de la classe dirigeante envers une colère légitime d’un peuple dont on s’occupe si peu qui transparaît en filigrane. 

Écrit en 2019 et sans faire spécifiquement référence à la situation politique française, le livre de Giuliano da Empoli nous éclaire pourtant avec acuité sur la situation politique actuelle. Ce qui explique avec raison le regain de vente du livre en France depuis la victoire du Rassemblement national lors des élections européennes et son très fort score aux élections législatives. 

Les ingénieurs du chaos, Giuliano da Empoli, Folio actuel, 2023, 227 pages, 8,30 € à compléter par l’étude  » Minuit moins dix à l’horloge de Poutine » du chercheur David Chavalarias (CNRS) qui décrypte l’influence russe dans la politique française à travers le réseau X. 

Ecologie & lutte des classes 

Comment sortir de l’impasse écologique ? Cette question qui engage notre survie, le sociologue Jean-Baptiste Comby se la pose à travers la question des dynamiques de classes. Pour le sociologue, le tropisme des mouvements écolos institutionnels et des classes moyennes ou supérieures autour d’une écologie réformiste dominante, reste trop peu transformante pour espérer changer la donne économique, politique et sociale nécessaire à l’avènement d’une société à la hauteur du défi écologique. « Tant que les relations sociales seront subordonnées aux logiques de concurrence, de performance, d’excellence, de compétitivité, de rapidité, de rentabilité ou de productivité, la voie réformatrice sera impuissante à réduire les nuisances environnementales quand la voie non capitaliste restera condamnée à une forme de marginalité », souligne ainsi le sociologue.

Parce que ce sont bien les rapports de pouvoir et le type de relations sociales qu’elles induisent et non les comportements individuels qu’il s’agit de changer pour « faire société » autrement, la politisation de la lutte écologique s’avère dès lors indispensable pour instaurer des institutions sociales régies par des impératifs environnementaux, estime Jean-Baptiste Comby. Et alors que l’on sait que les plus précaires, les groupes racisés et les femmes sont les « plus exposées à l’intensification en cours des souffrances environnementales », la cause écologiste gagnerait donc à « s’articuler davantage avec les mouvements féministes, décoloniaux ou syndicalistes pour mieux faire ressortir les inégalités au principe de l’écocide en cours » et construire des alliances de classes contre le mode de vie grand bourgeois, capitaliste et destructeur. 

Ecolo mais pas trop, Jean Baptiste Comby, Raisons d’agir éditions,  2024, 186 pages, 14 €. A compléter par « Mobilisations écologiques », un ouvrage collectif dirigé par Jean-Baptiste Comby et Sophie Dubuisson-Quellier, Puf, 2023, 97 pages, 10 €. 

Cette France qui vote RN

Ils sont plusieurs millions en France à partager une vie semblable. Celle de personnes ordinaires, artisans, employés, commerçants, retraités, parfois propriétaires, qui malgré une situation plutôt stable, votent pour le Rassemblement national (RN). Un vote qui, au contraire des idées reçues, ne se résume pas à un vote naïf et est au contraire, souvent bien réfléchi. Encore moins dans ce bastion historique du RN qu’est la région PACA, située dans le sud-est de la France. 

Félicien Faury, sociologue et chercheur postdoctoral au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) est parti à la rencontre de ces « électeurs ordinaires » pour comprendre les motivations qui les ont amené au vote RN. L’auteur y décrit des électeurs qui se disent n’être « pas à plaindre », mais qui perçoivent un délitement de leur vie quotidienne, et une mise en compétition, parfois réelle, parfois illusoire, pour l’accès aux ressources (services publics, aides publiques, emplois…). Si la préoccupation économique et la peur du déclassement sont deux réalités vécues par les électeurs lepénistes, Félicien Faury démontre dans son ouvrage que leurs revendications socio-économiques sont toutefois empreintes d’un racisme assumé, dont l’influence (matérielle et idéologique) sur la vie des minorités, ethniques comme religieuse (« arabes », « musulmanes », « noires », « turques », « asiatiques »…) est indéniable. Les nombreuses citations issues des entretiens du sociologue, parfois pénibles et douloureuses à lire, en attestent malheureusement.

Des électeurs ordinaires, Félicien Faury, Editions Seuil, 2024, 240 pages, 21,50€

Campagnes : la France oubliée  

« Qui va lire un bouquin qui parle de nous ? », s’interroge Vanessa, l’une des habitantes d’une commune de la région Grand-Est. Dans cet ancien bassin industriel, le sentiment de déclassement est devenu presque une norme. Mais qui sont ces gens qui habitent encore ces régions en déclin ? Sont-ils les derniers résistants d’une France de valeur comme certains aiment décrire ces régions de la « France périphérique », ou bien des « beaufs », racistes et ignorants ? La réalité, comme toujours, est bien plus complexe.

Le sociologue Benoît Coquard, à partir d’une enquête de plusieurs années dans la région Grand-Est, raconte dans un ouvrage publié en 2019 la vie de « Ceux qui restent ». Ces hommes et femmes qui, malgré le chômage, la disparition des services publics, des usines, des cafés… continuent de vivre dans des régions rurales et populaires. Benoît Coquard y décrit une population marginalisée qui valorise l’appartenance à un groupe « qui semble séparer ses membres du ‘reste’ du monde social ». Un « nous », qui permet de ne pas perdre la face devant les autres, ceux des villes, des littoraux ou des campagnes aisées. Une unité qui permet d’exister, mais qui s’effrite malgré tout face à la précarité grandissante et au déclin de ces régions. 

Ceux qui restent, Benoît Coquard, Ed. La découverte, 2019, p. 216, 19.00 €.

L’utopie pour penser la post croissance

En route pour une conférence en Australie, un accident d’avion transporte Sébastien Debourg, professeur en droit dans une université française, dans un pays inconnu de tous, l’Arcanie. Il y découvre une société totalement différente de la société occidentale, qui dans ce cas, est dominée par la « Misarchie ». Un « régime dont le principe est une réduction maximale des pouvoirs et des dominations« . 

Emmanuel Dockès, auteur de l’ouvrage et lui-même professeur de droit, nous fait replonger dans le genre de l’utopie à travers ce voyage initiatique au cœur de l’Arcanie. Et il faut être bien accroché pour lire l’ouvrage. Non pas à cause du style d’écriture, facilement abordable, mais des convictions si fortes que nous avons sur notre société. Sommes-nous vraiment libres ? Les yeux de Sébastien permettent à Emmanuel Dockès de répondre en partie à cette question, et de montrer tous les défauts et les contradictions de la société occidentale et du néo-libéralisme. D’abord arrogant, le héros de Voyage en misarchie apprend dans son périple qu’une société réaliste et désirable est possible. Que la pauvreté, les inégalités, et la violence quotidienne ne sont pas une fatalité. Mais pour que cette société se réalise, elle exige d’être repensée dans tous ses aspects, que l’on parle de la sexualité, du travail, de l’organisation politique et social, de la monnaie, ou de l’éducation…

Voyage en misarchie, Emmanuel Dockès, éditions du détour, 2019, 560 pages, 13,90 €

On parle de ce livre avec l’économiste de la décroissance Timothée Parrique dans le podcast Triple A de de Youmatter, Le média. A écouter ici.